Jules Barbey d'Aurevilly
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2008-07-14T09:51:23Z
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/* Bibliographie */ (pas un livre)
{{Voir homonymes|Barbey (homonymie)}}
{{Infobox Écrivain
| nom = Jules Amédée Barbey d’Aurevilly
| image = [[Image:Barbey.jpg|240px]]
| LégendePhoto = <small>''Jules Barbey d'Aurevilly par [[Émile Lévy]].''</small>
| pseudonyme ={{Guil|Le Connétable des lettres}}
| naissance = [[2 novembre]] [[1808]]
| décès = [[23 avril]] [[1889]]
| Activité = [[Romancier]], [[Essayiste]], [[Critique]], [[Journaliste]]
| Nationalité = [[France|française]]
| genre = [[réalisme]], [[fantastique]], [[surnaturalisme]]
| sujet =
| mouvement =
| influences = [[Lord Byron]], [[Honoré de Balzac|Balzac]], [[Walter Scott]], [[Joseph de Maistre]]
| a influencé = [[Léon Bloy]], [[Bernanos]], [[Joris-Karl Huysmans|Huysmans]], [[Octave Mirbeau|Mirbeau]], [[Marcel Proust|Proust]]
| Site officiel =
| oeuvres principales = ''[[Une vieille maîtresse]]'', ''[[Un prêtre marié]]'', ''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Les Diaboliques]]''
| séries =
| éditeurs =
| récompenses =
}}
'''Jules Amédée Barbey d’Aurevilly''', ([[Saint-Sauveur-le-Vicomte]], {{date|2|novembre|1808}} - [[Paris]], {{date|23|avril|1889}}) est un [[écrivain français|écrivain]], [[romancier]], [[nouvelliste]], [[poète]], [[critique littéraire]], [[journaliste]], et [[polémiste]] français. Surnommé le {{Guil|Connétable des lettres}}, il a contribué à animer la vie littéraire française de la seconde moitié du {{XIXe siècle}}. Son œuvre littéraire, d’une grande originalité, est marquée par la foi catholique et le péché. Ses romans et nouvelles sont au croisement du [[romantisme]], du [[fantastique]] et du [[Symbolisme (art)|symbolisme]] [[décadent]]. Son essai sur [[George Brummell]] en a fait l’un des théoriciens du [[dandysme]].
Né dans la [[Manche (département)|Manche]] à [[Saint-Sauveur-le-Vicomte]], au sein d’une ancienne famille normande, Jules Barbey d’Aurevilly baigne dès son plus jeune âge dans les idées catholiques et monarchistes, en butte au progrès. Il passe son enfance à Saint-Sauveur puis à [[Valognes]], où il fréquente un de ses oncles médecin aux idées libérales et qui exerce sur lui une profonde influence. En [[1827]], il se rend à Paris pour faire ses humanités et rencontre [[Maurice de Guérin]], dont il devient un ami proche. Bachelier, il poursuit des études de droit à [[université de Caen Basse-Normandie|Caen]], où il fonde avec Trébutien (son futur éditeur et correspondant) l’éphémère ''Revue de Caen'' ([[1832]]).
Un moment républicain et démocrate, Barbey, sous l’influence de [[Joseph de Maistre]], finit par adhérer à un monarchisme intransigeant, méprisant le progrès et les valeurs d’un siècle bourgeois. Tout en menant une vie élégante et désordonnée de [[dandy]] il se convertit au catholicisme vers [[1846]] et devient un défenseur acharné de l’[[ultramontanisme]] et de l’[[absolutisme]].
Son premier roman ''L’Amour impossible'' ([[1841]]) passe inaperçu. Son travail de critique littéraire le conduit à collaborer successivement au ''Globe'', au ''Journal des Débats'', au ''Constitutionnel'', au ''Nain jaune'', à la ''Revue de Paris''. Ses articles seront regroupés en volumes dans ''Les Œuvres et les Hommes''. C’est un polémiste redouté, qui s’attaque autant aux hérauts du [[positivisme]] qu’aux hypocrisies du parti catholique.
Ses romans et son recueil de nouvelles ''Les Diaboliques'' ([[1874]]) ont pour toile de fond son Cotentin d’origine. Ils mêlent réalisme historique, [[surnaturalisme]] et exaltation romantique. Son œuvre dépeint les ravages de la passion charnelle (''Une vieille maîtresse'', [[1851]]), filiale (''Un prêtre marié'', [[1865]] ; ''Une histoire sans nom'', [[1882]]), politique (''Le Chevalier des Touches'', [[1864]]) ou mystique (''[[L’Ensorcelée]]'', [[1855]]). Cette littérature de l’insolite et de la transgression, qui plonge le lecteur dans un univers surhumain, a valu à son auteur d’être accusé d’immoralisme et de sadisme. Toutefois, plusieurs écrivains (dont [[Baudelaire]]) ont loué le talent extravagant de cet auteur, notamment à la fin de sa vie. Ses {{Guil|disciples}} ont pour nom [[Léon Bloy]], [[Joris-Karl Huysmans]], [[Octave Mirbeau]] ou [[Paul Bourget]]. Sa vision du catholicisme exercera une profonde influence sur l’œuvre de [[Georges Bernanos|Bernanos]].
== Biographie ==
=== Les racines normandes (1808-1816) ===
[[Image:Armes Barbey.jpg|thumb|left|130px|[[Blason]] de la Maison Barbey d’Aurevilly.]]
Jules-Amédée Barbey naît le {{date|2|novembre|1808}}<ref>L’état civil donne la date du 2 novembre 1808, trois heures du matin, ce qui le place sous le signe du scorpion. Ernestine Barbey ressent les premières contractions vers deux heures du matin, pendant une partie de whist à l’hôtel particulier du chevalier de Montressel, grand-oncle de l’écrivain. Michel Lécureur, ''Barbey d’Aurevilly : le Sagittaire'', p. 25</ref>, le [[Fête des morts|jour des Morts]], à [[Saint-Sauveur-le-Vicomte]], commune française située dans le département de la [[Manche (département)|Manche]] et la région [[Basse-Normandie]]. Jules est l’aîné de trois enfants : Léon (né en 1809), Édouard (né en 1810), Ernest (né en 1811). Son père Théophile Barbey<ref>Dans le cinquième memorandum, Jules livre un portrait de son père : {{Guil|un despotisme, sans distraction, de toutes les minutes. (...) Il mange de très bon appétit, mais il dîne à cinq heures et se couche à sept, ce qui supprime toute espèce de monde, le soir, de notre maison.}}</ref> appartient à une famille dont la présence à Saint-Sauveur est attestée dès la fin du {{s|XIV|e|}}. La famille Barbey accède à la noblesse en 1756, lorsque Vincent Barbey, avocat au [[bailliage]] de [[Valognes]], acquiert une charge<ref>Le 24 mai 1756, Vincent Barbey (1692-1770) est {{Guil|pourvu de l’office de Conseiller secrétaire du Roi}} pour jouir des {{Guil|honneurs, privilège de noblesse et autres droits attribués.}} Jules fut souvent attaqué par des adversaires contestant la noblesse qu’il revendiquait, sa famille n’ayant pas satisfait à toutes les conditions pour qu’elle devienne héréditaire (sur la noblesse personnelle et les conditions de transmission de la noblesse acquise par charge, lire A. Texier, ''Qu’est-ce que la noblesse'', éditions Tallandier). Néanmoins il conservait précieusement chez lui le brevet délivré par [[Louis XV]] à son arrière grand-père, les lettres d’enregistrement et le règlement d’armoiries. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 17</ref>. Sa mère Ernestine Ango<ref>{{Guil|Brillante, mondaine, un goût prononcé pour l’indépendance. Comme, plus tard, son fils Jules, elle aime manier l’épigramme et choquer par son langage audacieux. Sa vivacité contraste avec l’apathie de son mari.}} Catherine Boschian-Campaner, ''Barbey d’Aurevilly'', p. 14</ref>, issue d’une famille de bonne bourgeoisie installée à Caen au {{s|XVI|e|}} est la fille du dernier [[bailli]] de Saint-Sauveur.
[[Image:Saint-Sauveur-le Vicomte (Barbey d'Aurevilly) Maison natale 2.jpg|thumb|right|150px|Maison familiale à [[Saint-Sauveur-le-Vicomte]].]]
L’enfance de Barbey se déroule entre Saint-Sauveur, Valognes et le bord de mer à [[Barneville-Carteret|Carteret]], dans une atmosphère [[conservatrice]] et [[Ultra-royaliste|ultra]] : la [[Révolution française|Révolution]] a durement touché les deux familles<ref>{{Guil|Depuis la Restauration, M. Théophile Barbey s’est rangé dans le parti ultra. Il a suivi les missionnaires avec ferveur et il agit plus par conviction que par haine. Son épouse suit la même bannière.}} Lettre de Clamorgan du 11 mai 1831, citée dans Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 23</ref>. Les Barbey vivent dans l’attente du retour à la monarchie, au milieu des souvenirs et des vieilles coutumes normandes. Jules grandit entre une mère peu aimante<ref>{{Guil|J’ai bien des choses tristes, douloureuses à dire de ma mère et de ses rapports avec moi, mais elle a le titre et le nom sacré : Elle est ma mère.}} ''Lettre à Trébutien'', 11 mai 1856.</ref> et un père austère. Il est attentif aux récits de coin du feu de sa vieille bonne Jeanne Roussel et de Louise Lucas-Lablaierie, sa grand-mère : les exploits plus ou moins mythiques de son oncle le chevalier de Montressel, qui se serait illustré lors des guerres de la [[chouannerie]], impressionnent l’enfant<ref>Barbey, enfant, entendit notamment le récit des aventures de [[Jacques Destouches]], futur héros d’un des ses romans normands. Son père avait bien connu l’un des douze Chouans qui le firent délivrer. Jacques Petit, dans ''Le chevalier des Touches'', éd. Folio classique, p. 242</ref>.
=== Les années de formation (1816-1830) ===
[[Image:Barbey25.jpg|thumb|left|165px|Barbey d’Aurevilly jeune homme, par Martinez, d’après une miniature de Finck.]]
En [[1816]], l’admission de Jules est refusée à l'[[école militaire]]<ref>Et ce malgré les démarches de son grand-oncle auprès du préfet de la Manche. Son père est mortifié car il espérait pousser Jules vers une grande carrière militaire. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 37</ref>. Il poursuit ses études au collège de Valognes. En [[1818]], il habite chez son oncle le docteur Pontas-Duméril<ref>La carrière de Pontas Duméril ne se limite pas au monde médical : ce notable. qui à la veille de la Révolution fréquentait les loges maçonniques, devient maire de Valognes en 1807. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 43 et s.</ref>, un esprit libéral qui encourage l’émancipation intellectuelle et morale de son neveu - dans les ''Diaboliques'', Barbey peindra son oncle sous les traits du docteur Torty<ref>Les sources des ''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Diaboliques]]'' sont présentées dans n’importe quelle édition de poche.</ref>. Cet ancien maire de Valognes attise son imagination lorsqu’il lui confie les détails intimes et croustillants des personnalités de la ville - le {{Guil|dessous de cartes}} de la haute société valognaise<ref>Il initie Jules à la vie mondaine durant les premières années de la Restauration. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 47</ref>. Son cousin Edelestand du Méril, un poète et philosophe érudit, lui communique son admiration pour [[Walter Scott]], [[lord Byron]], [[Robert Burns]], ainsi que son goût pour l’[[histoire]] et la [[métaphysique]]<ref>Parlant d’Edelestand du Méril : {{Guil|il a mis la poudre et le feu dans ce cerveau, qui a été souvent appelé, un cerveau brûlé, par les sages - et qui brûle toujours par tout ce qui lui plaît et ce qu’il aime. Ce fut mon initiateur aux choses littéraires.}} ''Lettre à Louise Read, 24 août 1880''.</ref>.
En [[1823]] Barbey compose sa première œuvre, une [[élégie]] ''Aux héros des Thermopyles'', dédiée à [[Casimir Delavigne]] et qu’il publie l’année d’après<ref>L’édition est précédée d’une lettre de remerciement de la part du dédicataire [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k722295 gallica.bnf.fr]</ref>. Il compose dans la foulée un recueil de [[vers]], qu’en [[1825]] il brûle de dépit faute d’avoir pu l’éditer. En [[1827]], il entre en classe de [[rhétorique]] au [[Collège Stanislas de Paris|collège Stanislas]] à [[Paris]]. Il y rencontre [[Maurice de Guérin]] avec lequel il noue une amitié. Après son [[Baccalauréat (France)|baccalauréat]] en [[1829]], il rentre à Saint-Sauveur la tête pleine d’idées politiques et religieuses nouvelles, contraires à celles de sa famille. Il souhaite ardemment, contre la volonté de son père, entamer une carrière militaire mais il cède et accepte de faire son [[droit]] à [[Caen]]<ref>{{Guil|C’est là que mon père, craignant les excès d’une fougue intraitable m’avait envoyé, afin d’éviter que je ne fisse des folies à Paris, ou bien que je ne devinsse un homme politique, ce qui était l’impardonnable infamie à ses yeux !}} Cité par Octave Uzanne, ''op. cit.'', p. 73-74</ref>. À la mort de son oncle Jean-François Barbey d’Aurevilly, il refuse temporairement, par conviction républicaine de reprendre la particule<ref> Détail de Philippe Berthier, ''Un prêtre marié'', éd. Flammarion, p. 467</ref>.
=== L’élan romantique de la jeunesse (1830-1836)===
[[Image:Barbey Haussoulier.jpg|right|thumb|190px|Portrait par Haussoulier]]
Vers [[1830]], Barbey rencontre Guillaume-Stanislas Trébutien<ref>Barbey a lui-même raconté à [[Octave Uzanne]] sa rencontre avec le libraire de la Place Royale. Octave Uzanne, ''Barbey d’Aurevilly'', p. 74.</ref>, libraire à Caen et correspondant essentiel, et tombe amoureux de Louise du Méril, la femme de son cousin Alfred. Leur liaison est incertaine mais c’est pour Barbey {{Guil|l’époque de sa vie la plus malheureuse}}<ref>Quelle qu’ait été la relation de Barbey avec Louise, elle fut son premier grand amour, et il l’évoquera toujours avec tendresse. À l’annonce de son décès, en décembre 1887, il écrit à Stylite, la fille de Louise : {{Guil|Je ne devais plus la revoir, mais je savais qu’elle existait près de vous ; à présent elle n’existera plus que dans mon cœur… et silencieusement pour n’en jamais sortir.}} Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 64</ref>. Il est alors très marqué par l’influence des romantiques. En [[1831]] il écrit sa première nouvelle ''Le cachet d’onyx''<ref>Inspirée par une lecture. Dans les mémoires de la [[Charlotte-Élisabeth de Bavière (1652-1722)|princesse Palatine]], Charles de Bourbon-Condé imagine de faire boire Madame de Saint-Sulpice, de la déshabiller et de lui appliquer un pétard enflammé sur le sexe, avant de la renvoyer chez elle vêtue d’un drap, ainsi brûlée. Dans la nouvelle, Barbey substitue au pétard le fameux cachet d’onyx.</ref> (inédite jusqu’en [[1919]], et dont il réutilisera le dénouement dans ''Un dîner d’athées''), puis ''Léa''<ref>On ignore tout de la genèse de ''Léa'', le manuscrit étant perdu. On suppose qu’il a dû puiser largement dans ses sentiments pour Louise pour écrire ce court récit d’un romantisme excessif, mélange de mort et de passion. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 69</ref> en [[1832]], publiée dans l’éphémère ''Revue de Caen'' qu’il a fondée avec Trébutien et Edelestand du Méril.
En juillet [[1833]] Barbey soutient sa thèse, ''Des causes qui suspendent le cours de la prescription'' puis s’installe à Paris où il retrouve Maurice de Guérin. Il fonde en [[1834]] une ''Revue critique de la philosophie, des sciences et de la littérature'' avec Trébutien et du Méril, où il publie pendant quelques mois des articles de critique littéraire. Il retourne à Caen en décembre dans l’espoir de revoir Louise et écrit là-bas en une nuit ''La Bague d’Annibal''<ref>Inspirée d’une histoire réelle, et vraisemblablement destinée à Louise : {{Guil|Plein et brûlant de Lord Byron, j’avais pris le ton du ''Juan'' sans y être encore autorisé par les expériences de la vie et j’avais écrit le tout dans une nuit.}} ''Lettre à George Landry, 2 septembre 1875''</ref>, [[poème en prose]] d’inspiration byronienne, qui ne trouve acquéreur qu’en [[1842]]. En [[1835]] il compose un autre poème en prose, ''Amaïdée'' (publié en [[1889]]), et un roman, ''Germaine ou La Pitié'' (qui deviendra ''Ce qui ne meurt pas'' en [[1883]])<ref>Guérin, puis Trébutien échouent à placer ce roman qui ne plaît à personne. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 101</ref>. En [[1836]] il rédige les deux premiers ''Memoranda'' à l’intention de Guérin et rompt avec sa famille.
=== Le dandy : Sardanapale d’Aurevilly (1836-1845) ===
[[Image:Barbey Tassaert.jpg|thumb|left|150px|Peint en 1840 par Octave Tassaert]]
De retour à Paris, Barbey vit sur l’héritage de son oncle et rêve d’une carrière politique en lisant nombre d’ouvrages historiques. Il collabore au ''Nouvelliste'', un journal politique, rencontre [[Victor Hugo|Hugo]]<ref>Episode relaté dans le ''premier memorandum'', au 16 mars 1837 : {{Guil|j' ai passé une heure et demie avec Hugo et chez lui - désirais depuis longtemps le connaître. (...) Il m' a paru clair, net, simple, mais sans aucun trait dans la conversation.}}</ref> et se lie avec [[Eugénie de Guérin]] - la très dévote sœur de [[Maurice de Guérin|Maurice]]. Ses ambitions mondaines l’amènent à composer un personnage de parfait [[dandy]] : il s’applique à {{Guil|se froidir}}, se perfectionne dans l’art de la toilette, fréquente [[Roger de Beauvoir]]<ref>En 1884, une édition de ''L’Amour impossible'', suivi de ''La Bague d’Annibal'', porte une dédicace au dandy parisien.</ref> et le café Tortoni, cultive l’ironie, l’art de l’épigramme et le mystère. Il mène une vie désordonnée : il se jette dans les fêtes et les plaisirs, les soirées noyées dans l’alcool et enchaîne les passades. Il consomme du [[laudanum]] pour s’endormir<ref>Les références à l’opium dans sa correspondance sont nombreuses à cette époque. Michel Lécureur, ''Barbey d’Aurevilly : le Sagittaire'', p. 184</ref> et ses amis le surnomment {{Guil|Roi des ribauds}} ou encore {{Guil|[[Assurbanipal|Sardanapale]] d’Aurevilly}}<ref>Cette période de sa vie est détaillée dans l’ouvrage de Arnould de Liedekerke, ''Talon rouge''</ref>.
[[Image:BrummellEngrvFrmMiniature.jpg|thumb|right|150px|''Du dandysme et de [[George Brummell]]''.]]
Ses causeries spirituelles lui valent de nombreuses conquêtes et lui ouvrent les portes des salons - il fréquente avidement celui de la marquise Armance du Vallon, qu’il entreprend de séduire. Cette bataille l’occupe quotidiennement pendant quelques mois, sans succès : elle se révèle plus dandy que lui. Elle lui inspire une longue nouvelle, ''L’amour impossible'', {{Guil|tragédie de boudoir}} publiée en [[1841]] et qui passe inaperçue. La mort de [[Maurice de Guérin|Guérin]] en [[1839]] l’affecte profondément. Il fréquente le salon à tendance catholique et légitimiste de la baronne Amaury de Maistre, nièce par alliance de [[Joseph de Maistre]], et en [[1842]] il collabore au ''Globe'', un journal politique qui publie sa ''Bague d’Annibal'' remaniée. On le détache à [[Dieppe (Seine-Maritime)|Dieppe]], faire campagne pour le baron Levavasseur, armateur à la fortune considérable, et qui possède des parts dans le journal<ref>Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 155</ref>. En [[1843]] il collabore au ''Moniteur de la Mode'' sous le pseudonyme de Maximilienne de Syrène et commence son étude sur [[Brummell]]. Il entretient une liaison avec une mystérieuse Vellini, la future héroïne d'''[[Une vieille maîtresse]]''. ''Du dandysme et de George Brummell'' paraît en [[1845]], édité à une trentaine d’exemplaire. L’œuvre est un succès de salon<ref>Ouvrage qui eut {{Guil|sa trentaine de lecteurs pour sa trentaine d’exemplaires}}. ''Du dandysme et de George Brummell'', préface.</ref>. Il commence un autre ouvrage sur le dandysme, le ''Traité de la princesse'', manuel de séduction sous forme d’[[aphorisme|aphorismes]], inspiré du ''[[Le Prince|Prince]]'' de [[Machiavel]]. Il le reprendra souvent pour l’enrichir mais l’ensemble restera inachevé<ref>Des extraits de cette œuvre longtemps caressée se retrouveront dans les ''Fragments sur les femmes'', publiés en 1889</ref>.
=== Le retour à l’enfance et au catholicisme (1845-1851) ===
Après une tentative infructueuse pour collaborer à la ''[[Revue des Deux Mondes]]'', puis au ''[[Journal des Débats]]'', Barbey passe les années [[1845]]/[[1846|46]] à sa ''Vieille maîtresse''. Il en compose la moitié avant de connaître une panne d’inspiration passagère. Fin [[1846]] il voyage dans le centre de la France en quête de fonds pour un projet de [[Société catholique]]<ref>Mission que lui a confiée son ami Alphonse de Calonne, rédacteur à ''La Sylphide'', hebdomadaire de modes, de littérature, de théâtre et de musique. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 184</ref>. Il passe un mois dans le [[Forez]], à [[Bourg-Argental]], théâtre de la future ''Histoire sans nom'', et réapparaît assagi à la fin de l’année : même s’il ne pratique pas encore, la lecture de [[Joseph de Maistre]], sa rencontre avec [[Eugénie de Guérin]], ses échanges avec son frère Léon Barbey d’Aurevilly, qui a embrassé la prêtrise, ont amorcé sa conversion<ref>Il le revoit d’ailleurs en août 1847, lorsque Léon vient prêcher à Montfort l’Amaury. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 188</ref>. La lecture des ''Docteurs du jour devant la famille'' de [[Raymond Brucker]], paru en 1844, et dans lequel l’auteur raconte son propre retour au catholicisme, a pu aussi jouer un rôle important.<ref>Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 188</ref> Le retour au catholicisme lui renouvelle l’inspiration : l’écrivain de 38 ans qui sent au même moment resurgir le passé lointain et les impressions de l’enfance<ref>Jacques Petit, ''Barbey d’Aurevilly, Œuvres romanesques complètes'' I, p.1289</ref> reprend son roman dans de nouvelles dispositions. Il place la seconde partie non plus à Paris mais en Normandie, dans le Carteret de sa jeunesse.
La ''Revue du Monde catholique'', journal [[ultramontain]] dont il est rédacteur en chef, l’occupe constamment en [[1847]]. Il achève son roman à la fin de l’année, mais ne peut le publier : la [[Révolution française de 1848|Révolution de 1848]] perturbe les délais de parution. Dans la confusion qui suit les journées de février, il tente de s’adapter à la nouvelle situation et va jusqu’à présider un club d’ouvriers durant quelques semaines<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.1342</ref>. La revue cesse de paraître et Barbey, écœuré par le présent, se retire dans la solitude pour préparer des œuvres très différentes, mais toutes en rapport avec le passé. Il passe le reste de l’année et une partie de [[1849]] à lire et se documenter. Il révise ''Une vieille maîtresse'', en même temps qu’il prépare un grand article sur [[Jacques II d'Écosse|Jacques II Stuart]]<ref>Publié dans ''La Mode'' du 25 février 1850. Jacques II est un roi qui s’est toujours refusé à faire le moindre compromis.</ref> et ''Les prophètes du passé'' - essai de philosophie politique sur [[Joseph de Maistre|Maistre]], [[Bonald]], [[Chateaubriand]] et [[Lamennais]] - ces hommes supérieurs {{Guil|qui cherchent les lois sociales là où elles sont}}, c’est-à-dire {{Guil|dans l’étude de l’histoire et la contemplation des vérités éternelles}}. Il conçoit dans sa retraite le plan d’une série de romans au titre d’ensemble ''Ouest'' - il veut être le {{Guil|[[Walter Scott]] de la Normandie}}. ''Ricochets de conversation : Le dessous de cartes d’une partie de whist'', la première des ''Diaboliques'', est publiée en [[1850]].
=== Le critique littéraire et le romancier (1851-1874) ===
[[Image:Aurevilly.jpg|left|thumb|170px|Portrait de [[Nadar]]]]
En [[1851]] paraissent simultanément ''[[Une vieille maîtresse]]'' et ''Les Prophètes du passé'' - œuvres très contrastées qui étonnent la critique : on comprend mal que le même écrivain livre en même temps un [[pamphlet]] [[catholique]] et [[monarchiste]] et un roman de mœurs aux pages sensuelles et passionnées. La parution d’''Une vieille maîtresse'' est l’occasion de soulever le problème du roman catholique, de la morale et de l’art. La même année Barbey rencontre chez Mme de Maistre Françoise Émilie Sommervogel, baronne de Bouglon, veuve du baron Rufin de Bouglon. Celle qu’il surnomme {{Guil|l’Ange blanc}} va dominer sa vie pour les 10 années à venir. Elle trouve le talent de son fiancé trop féroce : il se modère pour ''[[Le Chevalier des Touches]]'', [[roman historique]] sur un héros [[chouan]], commencé l’année suivante. Il rentre au ''Pays'', un journal bonapartiste, en [[1852]]. Au départ il s’y occupe de critique littéraire en attendant de se voir confier une chronique politique. Il restera 10 ans à cet office. ''[[l'Ensorcelée]]'', l’histoire du retour à son village d’un prêtre chouan défiguré par une tentative de suicide, est publiée cette même année en feuilleton puis en volume en [[1854]], mais passe inaperçue. [[Baudelaire]] toutefois considère ce roman comme un chef-d’œuvre<ref>{{Guil|Je viens de relire ce livre qui m’a paru encore plus chef-d’œuvre que la première fois}}, écrit [[Charles Baudelaire|Baudelaire]] à [[Auguste Poulet-Malassis|Poulet-Malassis]], le 13 novembre 1858</ref>. Les deux hommes se rencontrent à cette époque. Il publie aussi des ''Poésies''. En [[1855]] Barbey se tourne vers la pratique religieuse. Il publie avec Trébutien les ''Reliquiae'' de son amie [[Eugénie de Guérin]] (décédée en 1848) et commence ''[[Un prêtre marié]]'', roman frénétique mettant en scène un prêtre impie et sa fille. En [[1856]], à l’occasion d’un voyage en Normandie et de sa réconciliation avec ses parents, il écrit le troisième ''Memorandum''. Il publie une critique audacieuse contre ''[[Les Contemplations]]'' de [[Victor Hugo]], gloire intouchable<ref>Parue en deux fois dans ''Le Pays'', les 19 et 25 juin 1856. Extrait : {{Guil|C’est là, en effet, un livre accablant pour la mémoire de M. [[Victor Hugo]], et c’est à dessein que nous écrivons ''la mémoire''. A dater des Contemplations, M. Hugo n’existe plus.}}</ref>.
Par ses articles il contribue à faire découvrir [[Stendhal]] et à réhabiliter [[Honoré de Balzac|Balzac]]. Il défend également ''[[Les Fleurs du mal]]'' de [[Baudelaire]] et consacre à ''[[Madame Bovary]]'' de [[Flaubert]] une critique favorable mais sévère. Il déclare son goût pour les romantiques et n’hésite pas à tailler en pièces le réalisme, le naturalisme et les parnassiens : [[Jules Champfleury|Champfleury]], [[Jules de Goncourt|Jules]] et [[Edmond de Goncourt]], [[Théodore de Banville|Banville]], [[Leconte de Lisle]], et plus tard [[Emile Zola]] figurent parmi ses cibles. En [[1858]] il fonde ''Le Réveil'', un journal littéraire, catholique et gouvernemental. Les articles qu’il publie lui valent des inimitiés : [[Sainte-Beuve]], Pontmartin, [[Veuillot]]. Il fait encore parler de lui avec ''Une vieille maîtresse'' : l’œuvre est rééditée et crée le scandale.
En [[1860]] il s’installe au 25 rue Rousselet à Paris, qui sera jusqu’à sa mort son {{Guil|tournebride de sous-lieutenant}}, et publie le 1{{er}} volume des ''Œuvres et les hommes'', vaste ensemble de recueils critiques où il entend juger la pensée, les actes et la littérature de son temps. En [[1862]] ses articles contre ''[[Les Misérables]]'' créent le scandale. Il quitte ''Le Pays'' à la suite d’un autre article contre [[Sainte-Beuve]] et part quelques mois travailler à ses romans chez Mme de Bouglon à la Bastide-d’Armagnac. En [[1863]], une chronique au ''[[Le Figaro|Figaro]]'' qui ridiculise [[François Buloz|Buloz]] et la ''[[Revue des Deux Mondes]]'' lui vaut un procès<ref>Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 354</ref>. Il persévère et s’en prend à l’[[Académie française|Académie]] en publiant dans le ''Nain jaune'' les ''Quarante médaillons de l’Académie'', pamphlet contre les membres de l’[[Institut de France|Institut]]. ''[[Le Chevalier des Touches]]'' paraît la même année, ''[[Un prêtre marié]]'' paraît l’année suivante. Le dernier ''Memorandum'' est composé en [[1864]], à l’occasion d’un voyage à Saint-Sauveur. [[Image:Barbey signature2.jpg|right|thumb|140px|Signature autographe]] En [[1865]] il quitte définitivement ''Le Pays'' et retourne au ''Nain jaune'', devenu démocrate et anticlérical. Ses opinions sont diamétralement opposées à celles du journal, mais on le laisse libre de ses propos<ref>''Le Nain jaune'' est alors dirigé par Grégory Ganesco. Barbey remercie le journaliste républicain et salue son courage dans un article du 1er décembre 1865, à l’occasion duquel il théorise sa conception du journalisme. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 366</ref>. Il y publie les ''Ridicules du temps'' et des articles de critique dramatique. Cette collaboration dure 4 ans. En [[1867]] il rencontre [[Léon Bloy]], qui devient rapidement son disciple<ref>{{Guil|L’amitié entre les deux hommes est importante, dans la mesure où le jeune Léon aura à cœur de faire connaître le vieux Maître à ses amis et relations comme Paul Bourget, Paul Féval et Jean Richepin.}} Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 398</ref>. En [[1869]] il entre au ''Constitutionnel'' où il s’occupera jusqu’à sa mort de critique littéraire. Les années suivantes il alterne vie parisienne et séjours plus ou moins prolongés en Normandie. A la fin du [[Siège de Paris (1870)|siège]] en [[1871]] il retourne à Valognes où il achève ''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Les Diaboliques]]''. Il entretient la flamme polémiste en publiant des articles anti-républicains.
=== Le connétable des lettres (1874-1889) ===
[[Image:Gill Barbey.jpg|left|thumb|170px|[[Caricature|Portrait-charge]] d’[[André Gill]].]]
''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Les Diaboliques]]'' sont publiées en novembre [[1874]]. Les exemplaires sont immédiatement saisis et l’auteur est poursuivi pour {{Guil|outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, et complicité}}. Barbey fait intervenir [[Arsène Houssaye]] et [[Léon Gambetta|Gambetta]] pour éviter le procès. Il accepte de retirer l’ouvrage de la vente et le [[juge d'instruction]] conclut au [[non-lieu]]<ref>Les détails de l’affaire sont dans la préface des ''Diaboliques'' rédigée par Jean-Pierre Séguin (éd. Flammarion)</ref>. L’œuvre sera rééditée en [[1883]] avec une préface, ajoutée par précaution. Durant les années qui suivent il se rapproche de la génération montante : [[Léon Bloy|Bloy]], [[Jules Vallès|Vallès]], [[Alphonse Daudet|Daudet]], [[Paul Bourget|Bourget]], [[Maurice Rollinat|Rollinat]], [[Jean Lorrain]], [[Richepin]], [[Péladan]], [[Joris-Karl Huysmans|Huysmans]], [[François Coppée|Coppée]], [[Ernest Hello|Hello]], [[Octave Uzanne|Uzanne]], [[Octave Mirbeau]]... ainsi que d’écrivains autrefois éreintés : [[Théodore de Banville|Banville]], [[Hérédia]], [[Taine]]. [[Edmond de Goncourt]] l’inscrit sur une des premières listes de l’[[Académie Goncourt|Académie des Dix]]. En [[1878]] il publie ''Les [[Bas-bleu|Bas-bleus]]'', cinquième volume des ''Œuvres et les hommes'', consacré {{Guil|aux femmes qui écrivent, car les femmes qui écrivent ne sont plus des femmes. Ce sont des hommes - du moins de prétention - et manqués}}<ref>Barbey d’Aurevilly, ''Introduction. Du bas-bleuisme contemporain'', in ''Les Bas-bleus'', 1878</ref>.
En [[1879]] il rencontre Louise Read, sa dernière amie et celle qui va se dévouer à sa gloire. En [[1880]] il publie ''Goethe et Diderot'', un pamphlet. ''[[Une histoire sans nom]]'', autre roman catholique dans lequel un moine capucin qui prêche l’Enfer croise la route d’une jeune fille innocente et somnambule, paraît en [[1882]] - c’est un succès. Il collabore au ''[[Gil Blas]]'' et publie en [[1883]] deux histoires d’inceste et d’adultère : ''Retour de Valognes (Une page d’histoire)'' et ''Ce qui ne meurt pas'' (un roman écrit presque 50 ans plus tôt). [[Image:Saint-Sauveur-le Vicomte (Château) Tombe Barbey 2.jpg|right|thumb|170px|La tombe à [[Saint-Sauveur-le-Vicomte]]]]Il donne également les troisième et quatrième ''Memorandum''. En [[1884]] il publie des poésies, ''Les Rythmes oubliés'' et ses derniers articles de critique - il salue notamment ''[[A rebours]]'' le roman-manifeste [[Décadentisme|fin de siècle]] de [[Joris-Karl Huysmans|Huysmans]]<ref>Dans ''Le Constitutionnel'' du 24 juillet 1884, [http://homepage.mac.com/brendanking/huysmans.org/areboursrev/arebour1.htm A rebours par J-K Huysmans]</ref>. Malade du foie, il continue de fréquenter les salons de la baronne de Poilly, des Daudet et des Hayem, où ses causeries émerveillent. Il soutient les débuts à la scène de la jeune [[Marthe Brandès]]. En [[1888]] il publie ''Léa'', l’une de ses premières nouvelles, puis ''Amaïdée'' en [[1889]], avant de tomber malade. Il s’éteint le [[23 avril]] [[1889]]. Les circonstances de sa mort vaudront de violentes attaques autour de son testament (Louise Read est instituée légataire universelle), en mai 1891, du journal ''[[La France]]'' sous la plume du Sâr [[Josephin Péladan]], et un procès de ce dernier à l’encontre Léon Bloy et de [[Léon Deschamps]] rédacteur en chef de la revue ''La Plume''. La quasi-totalité de la presse d’alors salue la condamnation du Sâr en octobre 1891<ref>La crise avait éclaté en avril 1888, lorsque Mme de Bouglon apprend que le {{Guil|secrétaire}} de Barbey est en réalité une femme - Louise Read. Dès lors se dessinent deux partis qui s’affrontent pour la succession de l’écrivain : celui de Bouglon, soutenue par Péladan, et celui de Louise Read, la légataire de Barbey, soutenue par Léon Bloy. Michel Lécureur, ''op. cit.'', p. 451</ref>. L’écrivain normand est inhumé au [[cimetière Montparnasse]] avant d’être transféré en [[1926]] au château de [[Saint-Sauveur-le-Vicomte]]. C’est Louise Read qui poursuivra la publication des ''Œuvres et les hommes''.
== Les influences et modèles ==
=== Les modèles romantiques ===
Dans ses premières œuvres, Barbey imite souvent les romantiques. Son premier poème ''Aux héros des Thermopyles'' est dans la manière de [[Casimir Delavigne]], alors le chantre des vaincus, auquel il est dédié. Les modèles lui servent souvent de repoussoir, il crée par opposition<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.1232</ref> : ''Le cachet d’onyx'' est inspiré de la jalousie d'''[[Othello ou le Maure de Venise|Othello]]'', de ''[[La nouvelle Héloïse|Julie ]]'' et des théories de [[Madame de Staël]] (''Corinne''). ''Germaine ou La pitié'' (''Ce qui ne meurt pas'') est influencé par ''Lélia'' de [[George Sand]]<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.XII</ref>, ''La bague d’Annibal'' par [[Alfred de Musset|Musset]] (''Mardoche'')<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.XIII</ref>. ''[[Une vieille maîtresse]]'' est {{Guil|l’antithèse complète}} de ''Adolphe'' de [[Benjamin Constant]]<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.1288</ref> et de ''Leone Leoni'' ([[George Sand]]), à laquelle il emprunte son sujet - l’amour d’une femme pour un amant dont elle découvre peu à peu la dépravation. La lecture de [[Stendhal]] en [[1839]], pendant qu’il compose ''L’amour impossible'', le marque profondément : il admire la sécheresse et la netteté de l’analyse<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.1246</ref>. Les patriotes écossais des ''Chroniques de la Canongate'' de [[Walter Scott]] lui inspirent vers [[1850]] l’idée d’une série de romans normands sur la chouannerie, dont le titre collectif devait être ''Ouest''<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.1343</ref>.
=== Lord Byron ===
[[Image:Lord Byron.jpg|left|thumb|150px|[[Lord Byron]].]]
Barbey, dès son plus jeune âge, est un passionné de [[Lord Byron]] : {{Guil|Byron et [[Alfieri]], n’ont que trop empoisonné les dix premières années de ma jeunesse. Ils ont été à la fois ma morphine et mon émétique}}<ref>Octave Uzanne, ''Barbey d’Aurevilly'', p.17</ref>. Byron domine son imagination, aucun écrivain n’aura sur lui une influence aussi profonde<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.XXIX</ref> : {{Guil|C’est dans Byron que j’ai appris à lire littérairement.}}<ref>''Lettre'', 4 juin 1875</ref>. Il possède les œuvres complètes et en anglais du poète de ''Childe Harold'', et les connaît {{Guil|à la virgule près}}<ref>''Lettre à Trébutien'', 7 novembre 1844</ref>.
Les héros de Byron, {{Guil|sombres figures de la Force blessée au cœur}}, qui ont {{Guil|ce charme de la goutte de lumière dans l’ombre et d’une seule vertu parmi plusieurs vices}}, l’ensorcellent et influencent les personnages de ses romans<ref>Jacques Petit, Barbey d’Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', {{p.}}XXX</ref> : Jehoël de La Croix-Jugan dans ''[[l'Ensorcelée]]'', Monsieur Jacques du ''[[Chevalier des Touches]]'', Sombreval dans ''[[Un prêtre marié]]''.
Le couple de [[Satan]] et de l’[[Ange]], thème satanique très présent chez Byron, mais également chez [[Alfred de Vigny|Vigny]] (''Éloa''), est récurrent chez Barbey : Jehoël de La Croix-Jugan et Jeanne Le Hardouey (''[[L'Ensorcelée]]''), Hermangarde et Vellini (''[[Une vieille maîtresse]]''), Sombreval et sa fille Calixte (''[[Un prêtre marié]]''). Les personnages de prêtre coupable et impénitent symbolisent la chute de l'ange et Satan. Comme lui, ils pèchent contre l'esprit et choisissent la damnation : La Croix-Jugan, Sombreval, mais aussi le père Riculf (''[[Une histoire sans nom]]'') supportent comme le ''[[Manfred (Lord Byron)|Manfred]]'' de Byron une malédiction et le poids d'une lourde faute.
=== Joseph de Maistre ===
[[Image:Jmaistre.jpg|right|thumb|140px|[[Joseph de Maistre]]]]
[[Joseph de Maistre]] est un des plus fermes partisans de la [[contre-révolution]] et un ennemi des [[Lumières (philosophie)|Lumières]]. Il soutient l'[[ultramontanisme]], la [[théocratie]], l'intolérance religieuse et l'[[absolutisme]]. Barbey découvre ''Les soirées de Saint-Pétersbourg'' vers la fin [[1838]]<ref>Barbey d'Aurevilly, ''Memorandum'', 19 septembre 1838</ref>. Il se délecte de la lecture de cet {{Guil|ouvrage qui coupe la respiration à force d'idées et d'images}}, à la {{Guil|métaphysique toute puissante}}<ref>Barbey d'Aurevilly, ''Memorandum'', 21 septembre 1838</ref>. Il lui consacre ensuite une série d'études importantes : Maistre figure au premier rang, avec [[Bonald]], des ''Prophètes du passé'' ([[1851]]). Il lui rend hommage lors de la parution en [[1853]] des ''Mémoires'' de Mallet du Pan<ref>''Le Pays'', 13 mars 1853</ref>, puis en [[1858]] et [[1860]] lors de la publication de la ''Correspondance diplomatique''<ref>''Le Pays'', 8 septembre 1858 et 12 décembre 1860</ref>, enfin en [[1870]] lors de la parution de ses ''Œuvres inédites''<ref>''Le Constitutionnel'', 4 juillet 1870</ref>. Les connivences de Maistre et de Barbey sont à la fois éthique, métaphysique et esthétique<ref>Pierre Glaudes, Joseph de Maistre, ''Œuvres'', p1133</ref>.
Sur le plan moral, Maistre fait preuve d'une extrême rigueur dogmatique qui le conduit à légitimer l'[[Inquisition]] et à défendre le rôle social du [[bourreau]]. Ce goût de la posture provocante et polémique se retrouve chez Barbey. Maistre combat également l'idée, selon lui néfaste à toute critique, de distinguer la personne des opinions qu'elle formule dans ses écrits<ref>Maistre écrit en 1818 : {{Guil|On n'a rien fait contre les opinions tant qu'on n'a pas attaqué les personnes}}</ref>. Barbey sera fidèle à ce principe dans ses critiques littéraires<ref>Barbey écrit aussi que {{Guil|les hommes tiennent plus de place qu'on ne croit dans leurs doctrines, et la meilleure manière d'atteindre ces dernières, c'est de les frapper, à travers eux}}</ref>.
La métaphysique de Maistre accorde une large place au [[mal]], dont l'origine est la [[Chute (Bible)|Chute]] de l'homme. Le dogme de la réversibilité, souffrance volontaire des hommes offerte à Dieu pour appeler la miséricorde et la rédemption de leurs frères, est considéré par Maistre comme l'une des vérités les plus importantes de l'ordre spirituel. Maistre affirme la possibilité pour tout innocent d'acquitter par sa souffrance le crime des coupables : toute vie étant coupable par nature, tout être vivant étant souillé par la Chute, il lui est possible de répondre à la place d'un autre, et même d'un crime qu'il n'a pas commis<ref>''Les soirées de Saint-Pétersbourg'', huitième entretien</ref>. Cette idée de réversibilité se retrouve dans ''[[Un prêtre marié]]''. La nouvelle ''Le bonheur dans le crime'' illustre une autre idée maistrienne<ref>Développée dans le premier entretien des ''Soirées de Saint-Pétersbourg''</ref>.
Les deux écrivains partagent certaines valeurs esthétiques, opposées à la modernité littéraire : Barbey d'Aurevilly comme Joseph de Maistre affirment la supériorité des classiques et de la tradition littéraire française du {{s|XVII|e|}} sur les écrivains de leur temps. Tous deux ils citent la [[Bible]] et les [[Pères de l'Eglise]]<ref>ainsi que le rapporte Léon Daudet dans ''Souvenirs et polémiques'', p50-51</ref>. Barbey critique subordonne comme de Maistre la création au vrai et au bien, idéal de Beauté classique. Enfin le style net et énergique, parsemé d'ironie de l'écrivain savoyard, plaît à Barbey dont le style partage les mêmes caractéristiques.
Les contemporains avaient remarqué l'influence de Maistre sur Barbey. Pontmartin ironisera sur le paradoxe de cette parenté littéraire entre les deux hommes qui conduit Barbey à {{Guil|penser comme M. de Maistre et à écrire comme le [[marquis de Sade]]}}.
=== Honoré de Balzac ===
[[Image:Balzac 03.jpg|left|thumb|180px|[[Honoré de Balzac|Balzac]]]]
C'est vers [[1849]] que Barbey d'Aurevilly découvre ''[[La Comédie humaine]]''. Immédiatement, il déclare admirer leur auteur {{Guil|comme les Alpes}}<ref>Philippe Berthier, Balzac, ''Nouvelles'', p.8</ref>. Il se charge de l'édition de ses ''Pensées et maximes'', recueil d'aphorismes sélectionnés dans son œuvre et publié en [[1854]]. Il prend sa défense en [[1857]] dans ''Le Pays'', en réponse à une attaque de ''[[La Revue des deux mondes]]''. Le 1{{er}} février sa [[Ewelina Hańska|veuve]] lui envoie une lettre de remerciement et le médaillon de son mari par [[David d'Angers]].
Des œuvres comme ''[[La Vieille Fille (Balzac)|La vieille fille]]'' ou ''Le réquisitionnaire'' vont l'aider à trouver sa voie<ref>D'après les ''Cahiers'' de [[Maurice Barrès]], Barbey aurait dit que toute son œuvre sortait du ''Réquisitionnaire''</ref>. La lecture de [[Honoré de Balzac|Balzac]] lui enseigne tout ce que sa propre expérience renferme de thèmes romanesques, notamment la peinture de la vie provinciale, l'atmosphère des petites villes et leurs drames secrets<ref>Jacques Petit, Barbey d'Aurevilly, Œuvres romanesques complètes I, p.XIX</ref>. Barbey a hérité de Balzac son esthétique de la nouvelle - ce qu'il nomme {{Guil|le dessous de cartes}} ou {{Guil|le fantastique de la réalité}}<ref>Philippe Berthier, Balzac, ''Nouvelles'', p.11</ref> : vectorisation implacable vers un évènement (la nouvelle est comme {{Guil|un roman en raccourci}}), jeu du dehors et du dedans, plongée dans les mystères et faux-semblants de la conscience, révélation de la face cachée des faits et des individus - autant de procédés que l'on retrouve dans ''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Les Diaboliques]]''. L'oralité est très présente dans les œuvres des deux auteurs. Elle permet des effets de réverbération, de carambolage, et démultiplient les perspectives<ref>Philippe Berthier, Balzac, ''Nouvelles'', p.15</ref>. ''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Les Diaboliques]]'' s'appelaient primitivement ''Ricochets de conversation'', en référence à ''Une conversation entre onze heures et minuit''.
== Le roman aurevillien ==
=== Un écrivain régionaliste normand ===
[[Image:Portgranvillelito.jpg|right|thumb|165px|[[Granville]], lieu de naissance de [[Jacques Destouches]]]]
Dès ''Une vieille maîtresse'', les récits de Barbey se déroulent systématiquement dans sa [[Normandie]] natale.<ref>Le site ''Terre des écrivains'' fournit une [http://www.terresdecrivains.com/Jules-BARBEY-D-AUREVILLY?var_recherche=d%27aurevilly liste des lieux de la région qui ont servi de décor à l'écrivain]</ref> Cela fait-il de Barbey d'Aurevilly un écrivain normand, et de ses romans des {{Guil|romans de terroir}} ?
La [[Normandie]], ses paysages, ses coutumes, son histoire tiennent une grande place dans ses romans. Les poissonniers dans ''[[Une vieille maîtresse]]'' y parlent {{Guil|comme des poissonniers véritables}}<ref>Jacques Petit, Barbey d'Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.1342</ref>, c'est-à dire en patois normand. Dans ''[[L'Ensorcelée]]'', son roman suivant, et malgré les objections de ses amis Trébutien et [[Baudelaire]], l'emploi du patois est plus accentué encore : on n'y parle pas {{Guil|normand du bout des lèvres}}. Cette langue devient un élément essentiel de son esthétique : les langues sont {{Guil|le clavier des Artistes}}, {{Guil|le moule-à-balles du Génie dans lequel il coule l'or}}. La poésie pour lui {{Guil|n'existe qu'au fond de la réalité et la réalité parle patois}}.
Barbey demeure fidèle à son pays. L'évocation des paysages de cette région donnent de la profondeur à ses romans. La lande de [[Lessay]] dans ''[[L'Ensorcelée]]'', l'étang du Quesnoy dans ''[[Un prêtre marié]]'', [[Valognes]] sont au centre du récit, et ces romans ne pourraient pas se situer ailleurs<ref>Jacques Petit, Barbey d'Aurevilly, ''Œuvres romanesques complètes I'', p.XVII</ref>. Ces paysages ne sont pas des cadres choisis et adaptés en fonction d'une histoire, ils proviennent des souvenirs de l'écrivain, et ne sont pas toujours fidèles à la réalité.
La Normandie et la vie provinciale, fortement associées à ses impressions de l'enfance, est un atout majeur de son talent : {{Guil|Le premier Milieu dans lequel ont trempé les poètes, voilà l'éducation ineffaçable, la véritable origine de leur genre de talent, ce qui damasquine et fourbit leur acier, ce qui en décide le fil et les reflets.}}<ref>Lettre à Trébutien</ref>. Dès qu'il y revient, qu'il fait cette découverte aux alentours de [[1850]], il devient grand romancier et écrit successivement la fin d' ''[[Une vieille maîtresse]]'', ''Le dessous de cartes d'une partie de whist'' et ''[[L'Ensorcelée]]''.
=== Un romancier catholique ===
Barbey d'Aurevilly développe lui-même sa théorie du roman catholique en [[1866]] dans la préface d'''[[Une vieille maîtresse]]'' alors rééditée, œuvre pour laquelle son [[catholicisme]] est mis en cause. Barbey se défend en rappelant que {{Guil|le catholicisme n'a rien de prude, de bégueule, de pédant, d'inquiet}}, que le catholicisme est {{Guil|la science du Bien et du Mal}}, et que son but a été de montrer {{Guil|non seulement les ivresses de la passion, mais ses esclavages}}.
Barbey estime avoir peint la passion {{Guil|telle qu'elle est et telle qu'il l'a vue}}, mais qu'en la peignant, il l'a {{Guil|à toute page de son livre condamnée}}. Il n'a fait que l'exprimer. Un catholique peut-il toucher au roman et à la passion ? Barbey estime que l'art est permis par le catholicisme, il est même encouragé et protégé par lui. Le catholicisme absout le procédé de l'art qui consiste à {{Guil|ne rien diminuer du [[Péché (christianisme)|péché]] ou du crime qu'on avait pour but d'exprimer.}} Quand on lui reproche l'immoralité de son livre, Barbey oppose que la moralité de l'artiste est {{Guil|dans la force et la vérité de sa peinture}} : en étant vrai, l'artiste est suffisamment moral.
Sa théorie du roman catholique se retrouve dans ses romans où le personnage du prêtre est omniprésent : l'abbé Jéhoël de La Croix-Jugan (''[[L'Ensorcelée]]''), Jean Sombreval (''[[Un prêtre marié]]''), le père Riculf (''[[Une histoire sans nom]]''). ''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Les Diaboliques]]'', où s'épanouissent à chaque page le Mal, les passions et le sadisme, sont l'illustration parfaite de ces idées.
== L'œuvre critique ==
Avec les vingt volumes des ''Œuvres et les hommes'', Barbey d'Aurevilly a voulu dresser l'inventaire intellectuel du {{s|XIX|e}}. Sa critique littéraire est une grande chasse à la sottise<ref>Formule de Rémy de Gourmont, dans ''Promenades littéraires''</ref>. Injustes souvent, mais toujours logiques et en concordance avec ses principes, ses jugements sont légitimés par le talent et par le courage<ref>Rémy de Gourmont, ''Promenades littéraires''</ref>.
Ses victimes portent des noms illustres : [[Victor Hugo]], [[George Sand]], [[Madame de Staël]], [[Jules Michelet]], [[Mérimée]], [[Ernest Renan]], [[Théophile Gautier]], [[Flaubert]], les [[Goncourt]], [[Emile Zola]]. Les [[Parnassiens]], les [[Bas-bleu|bas-bleus]], l'école [[Naturalisme (littérature)|naturaliste]] ont fait les frais de sa plume. Il est également l'auteur de plusieurs pamphlets contre [[François Buloz|Buloz]], l'[[Académie française]], et [[Sainte-Beuve]] - à travers ''[[Goethe]] et [[Diderot]]''<ref>voir la préface de Lionel Richard dans ''Contre Goethe'', Ed. Complexe</ref>. Les rééditions d'auteurs classiques lui donnent l'occasion de stigmatiser la philosophie des [[Lumières (philosophie)|Lumières]], responsable du [[positivisme]], du [[matérialisme]] et de l'idéologie dominante du [[progrès]], qui heurtent son catholicisme et son idéal.
Mais il voit juste lorsqu'il défend ''Les Fleurs du mal'' ([[Baudelaire]]), ''Madame Bovary'' ([[Flaubert]]), les œuvres de [[Honoré de Balzac|Balzac]] et celles de [[Stendhal]], ''Emaux et camées'' ([[Théophile Gautier|Gautier]]), ''A rebours'' ([[Joris-Karl Huysmans|Huysmans]]).
== Le théoricien du dandysme ==
[[Image:Wiener Moden 1841 Herren.jpg|right|thumb|130px|Le [[dandysme]] en [[1840]]]]
Sous le pseudonyme de Maximilienne de Syrène, Barbey signe en [[1843]] des {{Guil|impertinences raffinées}} dans le ''Moniteur de la Mode'', ainsi qu'un article intitulé ''De l'élégance''<ref>Frédéric Schiffter, Jules Barbey d'Aurevilly, ''Du dandysme et de George Brummell'', p.15</ref>. S'appuyant sur une biographie de [[George Brummell]] qui vient de paraître à Londres<ref>William Jesse, ''The life of George Bryan Brummell, esq. commonly called {{Guil|Beau Brummell}}''</ref>, il en extrait quelques anecdotes et le prend pour prétexte afin d'écrire le récit de son propre [[dandysme]]<ref>Frédéric Schiffter, Jules Barbey d'Aurevilly, ''Du dandysme et de George Brummell'', p.15</ref>. ''Du dandysme et de George Brummell'' paraît en [[1845]]. Il est réédité et augmenté en [[1861]], puis en [[1879]], enrichi d'un texte consacré à [[Antonin Nompar de Caumont|Lauzun]] et intitulé ''Un dandy d'avant les dandys''.
Il y développe et analyse les principes du dandysme, plus intellectuels que vestimentaires, le dandy n'étant pas {{Guil|un habit qui marche tout seul}}. Le dandysme est une manière d'être tout en nuances, qui résulte d'un {{Guil|état de lutte sans fin entre la convenance et l'ennui}}<ref>Jules Barbey d'Aurevilly, ''Du dandysme et de George Brummell'', p.47</ref>. Le dandy est le {{Guil|souverain futile d'un monde futile}} et se caractérise par l'absence d'émotion, l'horreur de la nature, l'audace et l'impertinence, la passion du luxe, l'artificialité, et le besoin d'individualité.
Cet [[essai]] est l'un des trois principaux sur la question, avec le ''Traité de la vie élégante'' de [[Honoré de Balzac|Balzac]] et ''Le Peintre de la vie moderne'' de [[Baudelaire]].
== Barbey d'Aurevilly et la postérité ==
=== Réception de ses contemporains ===
Barbey d'Aurevilly a fait l'objet de critiques contrastées. Presque tous s'accordent à trouver dans son art originalité et noblesse. [[Sainte-Beuve]] le juge {{Guil|homme d'un talent brillant et fier, d'une intelligence haute et qui va au grand}}, {{Guil|une plume de laquelle on peut dire sans flatterie qu'elle ressemble souvent à une épée}}<ref>''Causeries du lundi'', 9 février 1856. Les jugements sur Barbey et son œuvre ont été compilés dans l'ouvrage de Jean-Marie Jeanton Lamarche, ''Pour un portrait de Jules-Amédée Barbey d'Aurevilly : regards sur l'ensemble de son œuvre, témoignages de la critique, études et documents inédits''</ref>. Lamartine, lorsqu'il le rencontre, après l'avoir lu, déclare qu'il est le {{Guil|Duc de Guise des belles-lettres françaises}}<ref>Octave Uzanne, ''Barbey d'Aurevilly''</ref>. Pour [[Baudelaire]], c'est un {{Guil|vrai catholique, évoquant la passion pour la vaincre, chantant, pleurant et criant au milieu de l'orage, planté comme Ajax sur un rocher de désolation}}<ref>''L'artiste'', 18 octobre 1857</ref>. Paul de Saint-Victor : {{Guil|le polémiste intraitable est en même temps un écrivain de l'originalité la plus fière}}<ref>''La Presse'', 1861</ref>. [[Jules Vallès]] lui trouve {{Guil|un talent bizarre, tourmenté et fier}}<ref>''Les Francs-parleurs'', 1866</ref>. [[Maupassant]] trouve dans ses œuvres quelques merveilles<ref>''Le Gil Blas'', 17 mai 1882</ref>. [[Edmond de Goncourt]] émet des réserves, mais l'inscrit dans ses premières listes de l'Académie en projet.
Ceux qu'il a éreintés par ses articles lui rendent en général la politesse. [[Victor Hugo]] le pastiche en le surnommant {{Guil|Barbey d'or vieilli}}. La légende veut qu'il ait composé un vers inédit en {{Guil|l'honneur}} du critique : {{Guil|Barbey d'Aurevilly, formidable imbécile !}}<ref>Anecdote rapportée Paul Verlaine, ''Vingt-sept biographies de poètes et de littérateurs'' [http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Jules_Barbey_dAurevilly--Jules_Barbey_dAurevilly_par_Paul_Verlaine]</ref>. [[Flaubert]] dans sa correspondance en parle franchement comme de son ennemi. Il juge ''Les Diaboliques'' {{Guil|à se tordre de rire}} et trouve qu'{{Guil|on ne va pas plus loin dans le grotesque involontaire}}<ref>''Lettre à George Sand'', 2 décembre 1874</ref>. [[Zola]] le rejoint et trouve qu'il a {{Guil|deux ou trois siècles de retard}}. Il condamne son attitude au moment des poursuites contre ''Les Diaboliques'', lorsque Barbey accepte de retirer son œuvre de la vente<ref>''La critique contemporaine'', Documents littéraires. Études et portraits.</ref>.
Sa personnalité inspire au moins par deux fois les romanciers : le personnage de Franchemont, apparaissant dans ''Charles Demailly'' des frères [[Goncourt]], un roman sur les hommes de lettres<ref>[http://www.freres-goncourt.fr/ChDemailly/clefs.htm Voir les clés de Charles Demailly]</ref>, en est inspiré. Le Connétable des lettres sert également de modèle à ''Monsieur de Bougrelon'', roman de [[Jean Lorrain]]<ref> Portrait entre l'hommage et la caricature : [http://www.lire.fr/critique.asp/idC=44420/idR=219/idG=2 Le goût du rare et de l'artifice par Arnould de Liedekerke], Lire (juin 1999)</ref>.
=== La génération symboliste et décadente ===
[[Paul Verlaine]] déplore les systèmes mais ne peut s'empêcher de lui reconnaître {{Guil|un style de race}} et une {{Guil|manière originale}}. Il admire la {{Guil|profusion des images souvent réussies et toujours poétiques, des hardiesses parfois heureuses, et jamais vulgaires}}<ref>L'Art, 30 décembre 1865</ref>.
[[Jean Lorrain]] le trouve {{Guil|admirablement taillé}}<ref>''L'Echo de la semaine'', 5 mai 1889</ref> pour la génération littéraire [[décadentisme|fin de siècle]]. Pour [[Joris-Karl Huysmans|Huysmans]], il fut {{Guil|le seul artiste, au sens pur du mot, que produisit le catholicisme de ce temps}}, ainsi qu'un {{Guil|grand prosateur}} et un {{Guil|romancier admirable}}<ref>Préface d'''A rebours'', 1903</ref>. Dans ''[[A rebours]]'', il fait figurer ses œuvres parmi les préférées de la bibliothèque élitiste de Des Esseintes. Pour [[Rémy de Gourmont]], Barbey d'Aurevilly est {{Guil|l'une des figures les plus originales de la littérature du dix-neuvième siècle}}, qui {{Guil|excitera longtemps la curiosité}} et {{Guil|restera longtemps un de ces classiques singuliers et comme souterrains qui sont la véritable vie de la littérature française}}<ref>''Promenades littéraires'', 1904</ref>.
=== Jugements posthumes ===
[[Julien Green]] lit ''Les Diaboliques'' avec {{Guil|une admiration étonnée}}<ref>Journal, 5 mars 1952</ref>. [[Paul Morand]] préface en 1967 ''[[Une vieille maîtresse]]''. [[Marcel Proust]] dans ''La Prisonnière'' rend hommage à l'œuvre romanesque de l'écrivain normand : la preuve du génie n'est pas dans le contenu de l'œuvre mais dans la qualité inconnue d'un monde unique révélé par l'artiste. Chez Barbey, cette qualité se manifeste par {{Guil|une réalité cachée révélée par une trace matérielle}} : la rougeur d'Aimée de Spens (''[[Le Chevalier Des Touches]]''), les us et coutumes de sa région, l'histoire orale, les nobles cités normandes, les malédictions etc. Autant de détails qui marquent l'identité et l'unité d'un artiste.
=== Editions et adaptations ===
Ses œuvres romanesques ont fait l'objet d'une édition complète en deux volumes dans la prestigieuse collection de la [[Bibliothèque de la Pléiade|Pléiade]]. Son œuvre critique est rééditée aux Belles Lettres, tandis que les Archives Karéline s'est chargée récemment de l'œuvre poétique.
Ses nouvelles et romans ont fait l'objet d'une douzaine d'adaptations à l'écran<ref>Voir la [http://www.imdb.com/name/nm0053571 liste complète], [[IMDb]]</ref>. La plus récente, ''[[Une vieille maîtresse (film)|Une vieille maîtresse]]'', présentée à [[Festival de Cannes|Cannes]] en 2007, est l'œuvre de [[Catherine Breillat]].
[[Jacques Debout]] a adapté au théâtre, sous le titre de ''Sombreval'', le roman ''[[Un prêtre marié]]'', créé à Paris le 5 février 1932. ''Le bonheur dans le crime'', l'une des six ''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Diaboliques]]'', a inspiré en 2003 une bande dessinée, ''[[Hauteclaire]]'', du nom de son héroïne.
=== Musée et œuvres commémoratives ===
Le {{date|28|juin|1925|en littérature}} est inauguré, dans le vieux château de [[Saint-Sauveur-le-Vicomte]], un musée en l'honneur de l'écrivain. Fondé par Louis Yver, qui en sera le premier conservateur, le musée est réinstallé après la guerre au logis Robessard, suite à l'occupation du château par les Allemands. Il déménage une troisième fois en 1989, et {{Guil|réintègre}} la maison familiale de Saint-Sauveur. On y trouve réunis la plupart des objets mobiliers et souvenirs ayant appartenu à Barbey d'Aurevilly. Sa dernière demeure, le 25 de la rue Rousselet à Paris, est décorée d'une plaque. Le collège de Saint-Sauveur-le-Vicomte et un collège de Rouen, situé au 39, boulevard de la Marne, portent son nom<ref>[http://museebarbeydaurevilly.over-blog.com/pages/LHistoire_du_musee-366453.html Histoire du musée]</ref>.
== Œuvres ==
[[Image:Diaboliques manuscrit2.jpg|thumb|right|Manuscrit des ''Diaboliques'']]
=== Œuvres romanesques ===
* ''Le Cachet d’Onyx'', composé en [[1831]]
* ''Léa'', [[1832]]
* ''L’Amour impossible'', [[1841]]
* ''La Bague d’Annibal'', [[1842]]
* ''Le Dessous de cartes d’une partie de whist'', [[1850]] (reprise dans les ''Diaboliques'')
* ''[[Une Vieille Maîtresse]]'', [[1851]]
* ''[[L’Ensorcelée]]'', [[1852]] (sous le titre de ''La Messe de l’abbé de La Croix-Jugan''), [[1855]]
* ''[[Le Chevalier Des Touches]]'', [[1863]]
* ''[[Un Prêtre marié]]'', [[1864]]
* ''Le Plus Bel Amour de Don Juan'', [[1867]] (reprise dans les ''Diaboliques'')
* ''[[Les Diaboliques (nouvelles)|Les Diaboliques]]'', [[1874]]
* ''[[Une Histoire sans nom]]'', [[1882]]
* ''Une Page d’histoire'', [[1882]] (sous le titre ''Retour de Valognes. Un poème inédit de Lord Byron''), [[1886]]
* ''[[Ce qui ne meurt pas]]'', [[1883]]
=== Œuvres poétiques ===
* ''Ode aux Héros des Thermopyles'', [[1825]]
* ''Poussières'', [[1854]]
* ''Amaïdée'', [[1889]]
* ''Rhythmes oubliés'', [[1897]]
=== Essais et textes critiques ===
* ''Du Dandysme et de Georges Brummel'', [[1845]]
* ''Les Prophètes du passé'', [[1851]]
* ''Les Œuvres et les hommes'' [[1860]]-[[1909]]
* ''Les quarante médaillons de l'Académie'', [[1864]]
* ''Les ridicules du temps'', [[1883]]
* ''Pensées détachées, Fragments sur les femmes'', [[1889]]
* ''Polémiques d'hier'', [[1889]]
* ''Dernières Polémiques'', [[1891]]
* ''Goethe et Diderot'', [[1913]]
* ''L'Europe des écrivains'' (recueil d'articles rassemblés en 2000)
=== Mémoires, notes et correspondance ===
{{Wikisourceauteur|Jules Barbey d’Aurevilly|Jules Barbey d’Aurevilly}}
* ''Correspondance générale (1824-1888)'', 9 volumes de [[1980]] à [[1989]]
* ''Memoranda, Journal intime 1836-1864''
* ''Disjecta membra'' (cahier de notes)
* ''Omnia'' (cahier de notes)
== Bibliographie ==
* [[Rémy de Gourmont]], ''Promenades littéraires'', 1904
* [[Octave Uzanne]], ''Barbey d'Aurevilly'', 1927
* Jean Canu, ''Barbey d'Aurevilly'', 1945
* Hermann Quéru, ''Le Dernier grand seigneur : Jules Barbey d'Aurevilly'', 1946
* [[Roger Bésus]], ''Barbey d'Aurevilly'', 1958
* Hubert Juin, ''Barbey d'Aurevilly'', 1975
* Arnould de Liedekerke, ''Talon rouge. Barbey d'Aurevilly : le dandy absolu'', 1986
* Jean-Marie Jeanton Lamarche, ''Pour un portrait de Jules-Amédée Barbey d'Aurevilly : regards sur l'ensemble de son œuvre, témoignages de la critique, études et documents inédits'', 2000
* Patrick Avrane, ''Barbey d'Aurevilly, solitaire et singulier'', 2005
* [[Jean-Pierre Thiollet]], ''Barbey d'Aurevilly ou le triomphe de l'écriture'', 2006
* ''Barbey d'Aurevilly, l'ensorcelé du Cotentin'', textes de Barbey rassemblés par Christine et Michel Lécureur, 2007
* Jean-Pierre Thiollet, ''Carré d'Art : Jules Barbey d'Aurevilly, lord Byron, Salvador Dali, Jean-Edern Hallier'', 2008
* Pierre Leberruyer, ''Au pays et dans l'œuvre de Jules Barbey d'Aurevilly : paysages envoûtants et demeures romantiques'', 2008
* Michel Lécureur, ''Jules Barbey d'Aurevilly : Le Sagittaire'', 2008
==Notes et références==
{{références|colonnes=3}}
==Liens externes==
{{Wikiquote}}
{{Commons}}
=== Documentation ===
* [http://www.barbey-daurevilly.com Site] d'articles, études, thèses, actualités sur Jules Barbey d'Aurevilly
* [http://www.phil.muni.cz/rom/kylousek99.pdf La réception du dandysme en France et la tradition courtoise], par Petr Kylousek, Études romanes de Brno, 1999
* [http://membres.lycos.fr/michelmirbeau/darticles%20francais/Boschian-Campaner-OM%20et%20Barbey.pdf Jules Barbey d'Aurevilly et Octave Mirbeau : de l'analogie à l'antinomie], par Catherine Boschian-Campaner, Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996
* [http://grit.fltr.ucl.ac.be/article.php3?id_article=92&date=2006-02 Rops illustrateur de Barbey d’Aurevilly, ou les miroirs de Méduse], par Myriam Watthee-Delmotte, Groupe de Recherche sur l'Image et le Texte, Université catholique de Louvain
=== Études de contemporains ===
* [http://www.remydegourmont.org/vupar/rub2/barbey/notice.htm Barbey d'Aurevilly] par [[Rémy de Gourmont]]
* [http://www.huysmans.org/bouquins.htm Bouquins. A propos de Barbey d'Aurevilly, Hello, Dom Legeay et Émile Mâle] par [[Joris-Karl Huysmans]], L'Echo de Paris, 26 avril 1899
* [http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Jules_Barbey_dAurevilly--Jules_Barbey_dAurevilly_par_Paul_Verlaine Jules Barbey d’Aurevilly], par [[Paul Verlaine]], {{Guil|Vingt-sept biographies de poètes et de littérateurs}}
* [http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Jules_Barbey_dAurevilly--Barbey_dAurevilly_critique_litteraire_par_Emile_Zola Barbey d'Aurevilly] vu par [[Emile Zola]], extrait de {{Guil|La critique contemporaine}} dans ''Documents littéraires. Études et portraits.''
* [http://www.bmlisieux.com/normandie/uzanne04.htm Barbey d’Aurevilly] (1927) par [[Octave Uzanne]].
=== Musée Barbey d'Aurevilly ===
* [http://ville-saint-sauveur-le-vicomte.fr/musee-barbey-aurevilly.htm Musée Barbey d'Aurevilly] à [[Saint-Sauveur-le-Vicomte]]
* [http://museebarbeydaurevilly.over-blog.com Le blog du Musée Barbey d'Aurevilly]
{{Bon article|vote=BA|oldid=30626470|date=15 juin 2008}}
{{Portail|Littérature|France au XIXe siècle|Normandie}}
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[[Catégorie:Écrivain français du XIXe siècle]]
[[Catégorie:Journaliste français du XIXe siècle]]
[[Catégorie:Écrivain normand]]
[[Catégorie:Écrivain catholique]]
[[Catégorie:Dandy]]
[[Catégorie:Polémiste]]
[[Catégorie:Naissance en 1808]]
[[Catégorie:Décès en 1889]]
[[ca:Jules Barbey d'Aurevilly]]
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[[it:Jules Amédée Barbey d'Aurevilly]]
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[[ru:Барбе д'Оревильи, Жюль Амеде]]