Lapin Agile
534327
31001339
2008-06-25T16:30:33Z
81.57.92.240
[[Image:Aulapinagile.jpg|thumb|275px|<center>[[Lapin Agile]], 2006</center>]]
Le'' [[Lapin Agile]]'' est un [[cabaret]] de [[Paris]] situé au sommet de la butte [[Montmartre (Seine)|Montmartre]] au 22 de la [[rue des Saules]] dans le [[18e arrondissement de Paris|XVIIIe arrondissement]]. Établi dans la seconde moitié du {{s-|XIX|e}}, racheté par [[Aristide Bruant]] en 1913, il fut l'un des lieux de rencontre privilégiés de la bohème artistique du début du {{s-|XX|e}}, de [[Max Jacob]] à [[Pablo Picasso]] (dans sa pièce de théâtre "Picasso at the Lapin Agile," [[Steve Martin]] imagine une rencontre entre [[Picasso]] et [[Albert Einstein]]) en passant par [[Roland Dorgelès]], [[Francis Carco]] ou [[Pierre Mac Orlan]]. Il est encore aujourd'hui en activité.
{{station du métro de paris|Lamarck - Caulaincourt}}
==Aux origines du ''Lapin Agile''==
===Le bas et le haut Montmartre===
{{Article détaillé|Montmartre (Seine)}}
[[Image:Lapin agile.jpg|thumb|300px|<center>[[Lapin Agile]], [[Années 1890|fin XIXe siècle]]</center>]]
Le bas de Montmartre, devenu à la fin du {{s|XVIII|e}}, suite à la construction du mur des [[Fermier général|Fermiers Généraux]] et à l'instauration de taxes sur les produits entrant dans Paris (notamment sur le vin<ref>Les prolétaires se rendaient alors à l'extérieur de l'enceinte pour boire à moindre coût le « vin des barrières. » (cf. Jerrold Siegel, ''Paris Bohème, 1830-1930'', Gallimard, coll. bibliothèque des histoires, Paris, 1991, p.318.)</ref>), « une zone consacrée aux plaisirs<ref>Nicholas Hewitt, « Montmartre : une révolution artistique », in Sarah wilson (dir.), ''Paris, capitale des arts, 1900-1968'', Hazan, Paris, 2002, p.28.</ref> », abrite dans les années 1880, outre de nombreux cabarets ([[Le Chat noir]], le [[Moulin Rouge]]), une population très mêlée et parfois dangereuse (prostituées avec leurs souteneurs, marginaux de toutes sortes<ref>cf. Jerrold Siegel, ''Paris Bohème, 1830-1930'', Gallimard, coll. bibliothèque des histoires, Paris, 1991, p.318</ref>.)
Le haut de Montmartre (la Butte-Montmartre), en revanche, ressemble jusqu'en 1914 à un village, fameux pour son air pur, ses moulins et ses logements à bas prix, qui attirent les artistes, nombreux à venir s'y installer, et dont le nombre à partir de 1890 devient considérable<ref>cf. Jerrold Siegel, op. cit., pp.317-318.</ref>.
[[Roland Dorgelès]], qui l'a connu, a évoqué dans son roman ''Le Château des brouillards'' ([[1932 en littérature|1932]]), « ce coin disparu du vieux Paris » d'avant la [[Première Guerre mondiale|Grande Guerre]], à qui l'on fait peu honneur en le confondant « avec le Montmartre d'en bas, celui des boîtes de nuit et des coiffeurs pour dames » :
{{début de citation}}
Chez nous, on se serait cru à la campagne. Pas d'autobus, pas de grands immeubles, pas de trottoirs encombrés. Chaque carrefour avait sa borne fontaine, chaque maison son bout de jardin[...] Pas de magasins non plus : qu'en ferait-on dans un village ? Juste ce qu'il faut de boutiques pour rendre service aux ménagères : une boulangerie et un fruitier. Quand on voulait d'autres provisions, on descendait [[rue Lepic]], où les marchandes poussaient leurs petites voitures, et l'on rentrait du marché avec des filets pleins<ref>Roland Dorgelès, ''Le Château des brouillards'', Le Livre de poche, 1973, p.24.</ref>.
{{fin de citation}}
Dans ce « village » se côtoyaient, sans se mélanger, des individus de conditions sociales très diverses, qui ont chacun leur espace réservé : « les petits bourgeois en bras de chemise » avaient élu domicile [[rue Lamarck]], « les retraités bêchaient leurs petits pois [[rue de la Bonne]] », « les marlous imberbes se retranchaient dans les petits bars de la [[rue des Abbesses]] », etc.
{{début de citation}}
Seuls, les artistes étaient partout chez eux, prenant le chocolat avec les pèlerins, l'apéritif avec les arsouilles et déjeunant chez le bistrot avec les peintres en bâtiment<ref>Roland Dorgelès, op. cit., p.26, pour cette citation et pour les précédentes.</ref>.
{{fin de citation}}
===Du ''Cabaret des Assassins'' au ''Lapin Agile''===
[[Image:Lapinagile.jpg|150px|thumb|right|Reproduction de l'enseigne du « Lapin à Gill » (l'original a été dérobé en 1893<ref name="Buzelin2"/>)]]
C'est dans la partie haute de Montmartre qu'est construit en 1795 le bâtiment de ce qui abritera le ''Lapin Agile'', qui devient, aux alentours de 1860, une auberge de rouliers baptisée ''Au Rendez-vous des voleurs''<ref name= "Buzelin1">Cf [http://www.au-lapin-agile.com/pdf/asslap.pdf Jean Buzelin, livret pour ''Le Lapin agile. Un siècle de veillées'', coffret de quatre cds, EPM, 2003]</ref>.
À partir de 1869, il prend le nom de ''Cabaret des Assassins'', parce que sont accrochées au mur des gravures représentant des assassins célèbres, de [[François Ravaillac|Ravaillac]] à [[Jean-Baptiste Troppmann|Troppmann]]<ref name= "Buzelin1"/><ref>D'après Jerrold Seigel ce serait en fait à la fin des années 1870 que le Cabaret prend ce nom, et les gravures auraient été exécutées par André Gill (cf. ''Paris bohème'', op. cit., p.320.)</ref>.
Entre 1879 et 1880, le propriétaire de l'époque confie au caricaturiste [[André Gill]], familier des lieux, la confection d'une enseigne ; celui-ci peint un lapin vêtu d'une redingote verte et d'une écharpe rouge s'échappant de la marmite qui lui était destinée : le cabaret devient alors connu sous le nom de ''lapin à Gill'', bientôt transformé en ''lapin Agile''. Le lapin de l'enseigne serait en fait un autoportrait transposé du caricaturiste, qui avait participé à la [[Commune de Paris (1871)|Commune]] (il faisait partie de la Commission des artistes), mais avait réussi à échapper à la répression qui avait suivi<ref>Nicholas Hewitt, in Paris, op. cit., p.39, note 15.</ref>.
Racheté en 1886 par une ancienne danseuse de [[cancan]], Adèle Decerf (surnommée « la mère Adèle »), celle-ci, après s'être débarrassée de la partie la plus douteuse de sa clientèle, en fait un café-restaurant-concert baptisé ''À ma campagne'', que fréquentent pendant la journée les habitués du ''Chat Noir'' ([[Charles Cros]], [[Alphonse Allais]], [[Jehan Rictus]], etc.<ref name="Buzelin2">Cf. [http://www.au-lapin-agile.com/pdf/asslap2.pdf Jean Buzelin, livret cité].</ref>.) Le chansonnier [[Aristide Bruant]] en est également un habitué, et il y amène [[Henri de Toulouse-Lautrec|Toulouse-Lautrec]] et [[Georges Courteline|Courteline]]<ref name="Buzelin2"/>. Des concerts d'amateurs ont lieu le samedi soir et le dimanche matin « sous la surveillance d'un agent (le type de l'agent botté armé du sabre série Z) », se souvient Pierre Mac Orlan<ref>Pierre Mac Orlan, ''Montmartre'', in ''Montmartre/Les Bandes'', Oeuvres complètes, Le Cercle du bibliophile, Genève, s.d., p.41.</ref>.
Au début du {{s|XX|e}}, « la mère Adèle » revend le cabaret à Berthe Sébource, qui s'y installe en compagnie de sa fille, Marguerite Luc (surnommée « Margot », et future épouse de [[Pierre Mac Orlan]].) Elles sont rejointes en 1903 par Frédéric Gérard (1860-1938), dit « le père Frédé », grâce à qui le ''Lapin Agile'' va devenir un lieu incontournable de la bohème artistique montmartroise<ref name="Buzelin2"/>.
==Le ''Lapin Agile'' à l'époque de Frédéric Gérard==
===« Le père Frédé »===
[[Image:Frédé et Boronali.jpg|thumb|right|225px|Frédéric Gérard et son âne, devant le ''Lapin Agile''.]]
Frédéric Gérard avait longtemps arpenté les trottoirs monmartrois, en compagnie de son âne (« Lolo ») et en qualité de vendeur de produits des quatre saisons, avant de devenir propriétaire d'un cabaret, ''[[Le Zut]]'', situé selon les sources [[rue Norvins]]<ref>Selon Francis Lacassin, in Pierre Mac Orlan, ''Le quai des brumes'', p.XIV</ref> ou [[rue Ravignan]]<ref name="Buzelin2"/>, établissement qui, se souvient Mac Orlan qui y assista, « termina sa courte carrière lors d'une bagarre mémorable qui dura toute une nuit<ref>Pierre Mac Orlan, ''Montmartre'', in ''Montmartre/Les Bandes'', Oeuvres complètes, Le Cercle du bibliophile, Genève, s.d., p.42.</ref>. » Lorsqu'il emménage au ''Lapin Agile'', il garde avec lui son singe, son chien, son corbeau, ses souris blanches, ainsi que son âne, avec lequel il vend du poisson dans les rues de Montmartre, afin de compléter ses revenus<ref name="Buzelin2"/>.
Figure pittoresque de la vie montmartroise, avec « sa tenue qui tenait de Robinson Crusoé, du trappeur de l'Alaska et du bandit calabrais<ref>Jean-Paul Crespelle, ''La vie quotidienne à Montmartre au temps de Picasso'', Hachette, 1968, cité par Jean Buzelin, livret cité.</ref> », « Frédé » chantait des romances sentimentales ou des chansons réalistes en s'accompagnant au violoncelle ou à la guitare, dont il jouait avec un talent qui ne faisait pas l'unanimité<ref>Cf. J. Seigel, op. cit., p.320.</ref>. Surtout, il n'hésitait pas à offrir des repas et des boissons dans son cabaret aux artistes désargentés<ref>Jerrold Seigel, op. cit., p.320.</ref>, en échange d'une chanson, d'un tableau ou d'un poème<ref>Francis Lacassin, in Pierre Mac Orlan, ''Le quai des brumes'', p.XII</ref>.
Aristide Bruant, toujours client régulier du ''Lapin Agile'', se lie d'amitié avec le tenancier, et lorsque le bâtiment est promis à la démolition en 1913, il le rachète et laisse « Frédé » en assurer la gérance<ref name= "Buzelin3">Cf [http://www.au-lapin-agile.com/pdf/fredlap.pdf Jean Buzelin, livret pour ''Le Lapin agile. Un siècle de veillées'', coffret de quatre cds, EPM, 2003]</ref>.
===Les artistes et les voyous===
Le ''Lapin Agile'', sous l'impulsion de « Frédé », devient rapidement pour le bohème de Montmartre « une véritable institution culturelle<ref>Nicholas Hewitt, in Sarah wilson (dir.), op. cit., p.31.</ref>. » Le fréquentent [[Pierre Mac Orlan]], qui deux à trois soirs par semaine, aime à chanter des chansons de régiment, [[Roland Dorgelès]], qui chante aussi, mais rarement, ce qui est heureux, car il chante assez mal<ref>Si l'on en croit le témoignage de Pierre Mac Orlan (« La chanson populaire dans la vie de quelques écrivains », in Cahier Pierre Mac Orlan n°11, ''La chanson'', Prima Linea, 1996, p.25.)</ref>, [[Max Jacob]], [[André Salmon]], [[Paul Fort]], etc. [[Gaston Couté]] ne chante jamais<ref>Sauf le soir où il « fit entendre la très belle complainte des conscrits de la Loire » (Pierre Mac Orlan, « La chanson populaire dans la vie de quelques écrivains », in op. cit., p.25.)</ref>, mais finit parfois par dormir sous une table, vaincu par l'ivresse<ref>Cf. Francis Carco, ''Pages choisies'', Albin Michel, Paris, 1935, p.77.</ref> ; [[Guillaume Apollinaire|Apollinaire]] y lit des poèmes d'''[[Alcools]]''<ref>P. Mac Orlan, op. cit., p.44.</ref> ; [[Pablo Picasso|Picasso]] peint un portrait de Marguerite Luc (''Femme à la corneille'', 1904<ref name="Buzelin2"/><ref>Voir une [http://pablo-picasso.paintings.name/rose-period/woman-crow.php reproduction du tableau sur le site painting-names].</ref>), ainsi qu'un [[Arlequin]] buvant au comptoir du cabaret (''Au Lapin Agile : Arlequin au verre'', 1905<ref>N. Hewitt, in op. cit., p.31. On aperçoit à l'arrière-plan Frédéric Gérard (sans barbe), jouant de la guitare (cf. [http://pablo-picasso.paintings.name/rose-period/lapin-agile-harlequin.php reproduction du tableau sur le site painting-names]. Contrairement à ce qui est indiqué sur ce site, Marguerite Luc n'était pas la fille de Frédéric Gérard.)</ref>.) L'acteur [[Charles Dullin]] y fait ses débuts en 1902, avec des récitations hallucinées de poèmes de [[Charles Baudelaire|Baudelaire]], [[François Villon|Villon]], [[Tristan Corbière|Corbière]] ou [[Jules Laforgue|Laforgue]]<ref name= "Buzelin3"/>. Le tout sous le regard placide d'un énorme Christ en plâtre exécuté par le sculpteur anglais [[Leon-John Wesley]]<ref>Qui sera tué sur le front en 1915 : le christ en plêtre du Lapin Agile est la seule œuvre connue de cet artiste. Elle se trouve encore aujourd'hui au ''Lapin Agile'' (cf. [http://www.au-lapin-agile.com/pdf/fredlap2.pdf Jean Buzelin, livret cité].)</ref> : un Christ peu orthodoxe, devait plus tard écrire André Salmon, se rappelant une statue qui faisait « un peu camarade Jésus selon l'esprit de la Sociale de ce temps-là<ref>André Salmon, ''Souvenirs sans fin'', op. cit., p.181.</ref>. »
Mais les artistes ne sont pas seuls à fréquenter le ''Lapin Agile'' : ils cotoient des anarchistes du ''Libertaire'', avec lesquels la cohabitation est parfois tendue<ref>N. Hewitt, op. cit., p.32.</ref>, et surtout des criminels venus du Bas Montmartre et du quartier de la [[Goutte d'Or]]<ref>P. Mac Orlan, op. cit., p.41.</ref>. [[Francis Carco]], débarqué au ''Lapin Agile'' durant l'hiver 1910-1911, se souvient ainsi des « petites filles et des rôdeurs qui chérissaient la poésie » fraternisant avec les « clients ordinaires » et leur offrant à boire, mais qui, « d'autres fois, pénétrant au ''Lapin'' par surprise [...] avaient décidé de corriger leurs femmes et brandissaient des rasoirs effilés, sem[ant] la terreur autour d'eux<ref>Francis Carco, op. cit., pp.76-77.</ref>. »
La tension devint plus vive encore à partir du moment où Frédéric Gérard, qui « voulait créer une clientèle d'artistes » décida, « pour la paix de ceux-ci », de chasser cette clientèle indésirable<ref>P. Mac Orlan, op. cit., p.41.</ref> : « ces Messieurs dont Frédéric n'aimait pas la présence chez lui, entendaient être de la fête », explique Francis Carco, et certaines nuits, des coups de revolver furent tirées de l'extérieur à travers les carreaux du cabaret<ref>F. Carco, op. cit., p.77.</ref>. Dans son roman ''Le Château des brouillards'', Roland Dorgelès mentionne ces incidents comme se produisant « de temps en temps », sans surprendre personne (« la police ne se déplaçait même pas<ref>Roland Dorgelès, ''Le château des brouillards'' (1923), rééd. Le Livre de poche, 1973, p.8.</ref> »), et l'une de ces attaques forme le cœur du roman ''Le Quai des brumes'' de Pierre Mac Orlan<ref>Dont l'intrigue se déroule au ''Lapin Agile''. [[André Salmon]] soutenait toutefois que cette fusillade dont il est question dans le roman de Mac Orlan se produisit en réalité au ''Zut'', en 1904 (cf. Francis Lacassin, in Pierre Mac Orlan, ''Le Quai des brumes'', Gallimard, Folio, Paris, 1995, p.XIV.)</ref>. La violence devait atteindre son paroxysme en 1910, lorsque l'un des fils de Frédéric Gérard, Victor (« Totor »), fut abattu d'une balle dans la tête derrière le bar<ref name= "Buzelin4">Cf [http://www.au-lapin-agile.com/pdf/fredlap2.pdf Jean Buzelin, livret pour ''Le Lapin agile. Un siècle de veillées'', coffret de quatre cds, EPM, 2003]</ref>.
===Une « fumisterie » fameuse : Aliboron/Boronali===
{{Article détaillé|Joachim-Raphaël Boronali}}
[[Image:Boronali - Coucher de Soleil sur l'Adriatique.jpg|right|thumb|400px|Le ''Coucher de soleil sur l'Adriatique'' (1910)]]
La « période de trouble » dura « deux ou trois ans », se souvient Mac Orlan, à l'issue desquels « Frédéric demeura maître de la situation et le vieux ''Lapin'' prit cet aspect paisible qui séduisit tant de jeunes gens et de vieillards<ref>P. Mac Orlan, ''Montmartre'', op. cit., p.42.</ref>. »
Mais d'autres tensions, heureusement bien moins violentes, existaient au sein de la clientèle fréquentant l'établissement : « l'antagonisme règnait entre les artistes d'avant-garde, désignés sous l'appellation méprisante de "bande à Picasso" (et peu appréciés du patron du ''Lapin Agile''<ref>« Divers chroniqueurs, écrit [[André Salmon]] dans ses mémoires, ont exagéré la participation aux fastes du ''Lapin agile'' de ce que ceux de Montmartre qui n'étaient pas de nos amis nommaient "la bande à Picasso". On a été au ''Lapin'', c'est entendu, mais Frédé, le patron, ne nous y attendait jamais. » (André Salmon, ''Souvenirs sans fin. Première époque (1903-1908)'', Gallimard, N.R.F., Paris, p.174.)</ref>)et les traditionnalistes réunis autour de Dorgelès<ref>N. Hewitt, in Sarah Wilson (dir.), op. cit., p.32.</ref> », adversaires de la [[Abstraction (art)|peinture abstraite]], et qui estimaient que « si les artistes n'essayaient plus de reproduire le monde réel, sous une forme reconnaissable, il ne restait aucune possibilité de juger l'art<ref name="Siegelp327">Jerrold Seigel, ''Paris bohême'', op. cit., p.327.</ref>. » C'est ce dernier qui, en 1910, met au point un canular resté fameux : le ''coucher de soleil sur l'Adriatique'', toile prétendument peinte par un artiste italien jusque-là inconnu, [[Joachim-Raphaël Boronali]], par ailleurs théoricien d'un nouveau mouvement artistique (« l'excessivisme ») et exposée au [[salon des Indépendants]].
En réalité, le ''Manifeste de l'excessivisme'' a été rédigé par Dorgelès, et le tableau est de... « Lolo », l'âne de de Frédéric Gérard, à la queue duquel Dorgelès, assisté d'[[André Warnod]] et de [[Jules Depaquit]] a attaché un pinceau ! Révélant la supercherie (constat d'huissier à l'appui), Roland Dorgelès explique dans le journal satirique ''[[Fantasio (revue)|Fantasio ]]'' qu'il a voulu « montrer aux niais, aux incapables et aux vaniteux qui encombrent une trop grande partie de cette exposition [i.e. Le salon des Indépendants], que l'œuvre d'un âne, brossée à grands coups de queue, n'est pas déplacée parmi leurs œuvres », qui insultent les « probes artistes » ([[Maurice Denis]], [[Paul Signac]], [[Paul Sérusier]]...) obligés de subir le voisinage de leurs « petites ordures<ref>Voir sur le [http://www.au-lapin-agile.com/agile.htm site du Lapin Agile], à la rubrique « Le Musée du Lapin Agile », le fac similé du texte de Dorgelès publié dans ''Fantasio''.</ref>. »
La supercherie eut un succès énorme : le tableau fit « l'objet de commentaires peu différents de ceux qui accueillirent d'autres œuvres modernistes, et fut vendu un bon prix<ref name="Siegelp327"/>. » Mais [[André Salmon]], qui fut à la fois l'ami de Dorgelès et celui de Picasso devait dans ses ''Souvenirs sans fin'' (1955) se montrer sceptique quant à la valeur de démonstration que le futur auteur des ''[[Les Croix de bois|Croix de bois]]'' avait voulu donner à son geste. Que le tableau ait été accepté au salon des Indépendants ne prouvait rien, puisque toute œuvre proposée était retenue (aucun jury ne sélectionnait au préalable les œuvres représentées : « n'est-ce pas au [[Salon des Artistes français]] qu'il fallait envoyer le ''Coucher de soleil'', ou au [[Salon d'automne]], si c'est de trop de modernisme qu'on voulait se moquer ?<ref>André Salmon, ''Souvenirs sans fin'', op. cit., p.184.</ref> »
Quoi qu'il en soit, ce canular de Dorgelès et de ses amis appartient à une tradition typiquement montmartroise : la fumisterie, dans laquelle excellait Jules Depaquit, et qui consistait en l'élaboration « de farces complexes, rehaussées par un surprenant déploiement de fantaisie et de jeux de mots éblouissants », pratique qui fait le lien entre les humoristes des cabarets et l'avant-garde des années 1900, et dont l'œuvre d'[[Alphonse Allais]] fournit un exemple achevé<ref>Nicholas Hewitt, in Sarah Wilson, op. cit., p.28 et 30 (pour le rapprochement entre le canular de Dorgelès et la tradition des fumisteries montmartroises.)</ref>.
===La fin d'un monde===
{{début de citation}}
Jusqu'au mois d'août 1914, écrit Pierre Mac Orlan, le ''Lapin'' vécut une vie dont l'indépendance était l'image même de Montmartre, où tout le monde échappait à des disciplines sociales qui, pourtant, n'étaient pas sévères. Les habitants de Montmartre savaient se créer une image assez exacte du bonheur dans l'interprétation la plus large de la loi<ref>Pierre Mac Orlan, ''Montmartre'', in op. cit., p.43.</ref>.
{{fin de citation}}
Cette époque insouciante s'achève le 1{{er}} août 1914, avec la proclamation de la mobilisation générale contre l'Allemagne : « brusquement, tout parut emporté, balayé », rapporte Francis Carco<ref>F. Carco, op. cit., p.78.</ref>. La clientèle se fait rare au ''Lapin Agile'', la plupart des habitués étant partis pour le front, dont beaucoup ne devaient pas revenir :
{{début de citation}}
Souvent, se souvient pourtant Mac Orlan, le casque d'un permissionnaire heurtait le linteau de la porte. C'était un soldat de Paris, né au ''Lapin'' quelques années auparavant. Il buvait rageusement ; son humeur était farouche. On le voyait revenir une fois, quelquefois deux, puis il ne revenait plus<ref>Pierre Mac Orlan, ''Montmartre'', in op. cit., p.46.</ref>.
{{fin de citation}}
==''Le Lapin Agile'' après la Grande Guerre==
[[Image:LapinAgile.jpg|thumbnail|right|250px|<center>Le Lapin agile (2006)</center>.]]
Le ''Lapin Agile'' ne retrouvera plus son statut de lieu de rencontre des écrivains et des artistes de l'avant-garde, même si chaque année, le jour de l'inauguration du Salon d'Automne, les peintres ont l'habitude de finir la soirée au ''Lapin Agile''<ref name="buzelinpaulo">Cf. [http://www.au-lapin-agile.com/pdf/paulo.pdf Jean Buzelin, livret cité].</ref> : le centre de gravité de la création s'est déplacé à [[Montparnasse]], tout comme il se déplacerait à [[Saint-Germain-des-Prés]] après la fin de la [[Seconde Guerre mondiale]]<ref>Cf. Sarah wilson, « Introduction » à ''Paris, capitale des arts (1900-1968)'', pp.12-24.</ref>.
En 1922, [[Aristide Bruant]] revend le cabaret à « Paulo », le fils de Frédéric Gérard à qui il a enseigné le chant<ref name="buzelinpaulo"/>. Celui-ci deviendra d'ailleurs, au témoignage d'André Salmon, le « meilleur interprète » des chansons de son professeur<ref>André Salmon, ''Souvenirs sans fin'', op. cit., p.175.</ref>. Sous sa direction, les « veillées », autrefois informelles et plus ou moins improvisées, sont maintenant organisées, les artistes choisis par le nouveau patron... et payés<ref>Alors qu'avant guerre, se souvient André Salmon, « les chœurs entonnant la chanson gaillarde faisaient ça pour le plaisir », ne recevaient pas de cachet, et « payaient leurs consommations. » (André Salmon, op. cit., p.175.)</ref>. Certains d'entre eux sont même accueillis comme « pensionnaires » du cabaret<ref name="buzelinpaulo"/>.
Parmi les principaux interprètes qui officient au ''Lapin Agile'' durant l'entre-deux guerre, on trouve [[Stello]], [[Jack Mirois]], [[Jean Clément]], et chez les interprètes féminines, [[Rina Ketty]] et [[Yvonne Darle]], qui deviendra la femme de Paulo<ref name="Paulo2">[http://www.au-lapin-agile.com/pdf/paulo1.pdf Cf. Jean Buzelin, livret cité].</ref>. Le ''Lapin Agile'' s'enorgueillit également d'avoir comme clients [[Pierre Brasseur]], [[Georges Simenon]], ainsi que des célébrités américaines de passage à Paris, telles que [[Rudolph Valentino]], [[Vivien Leigh]], ou encore [[Charlie Chaplin]]<ref name="buzelinpaulo"/>.
==De la Seconde Guerre mondiale à aujourd'hui==
Le ''Lapin Agile'' poursuit tant bien que mal ses acvtivités pendant l'[[Occupation]], et redevient après 1945 un lieu de rencontre et un tremplin pour les artistes : c'est là qu'en 1947 le guitariste [[Alexandre Lagoya]] fait la connaissance de [[Léo Ferré]]<ref>[http://www.au-lapin-agile.com/pdf/paulo3.pdf Cf Jean Buzelin, livret cité]</ref>, et qu'en 1955 [[Claude Nougaro]] fait ses premières apparitions sur scène, en tant que poète d'abord, puis comme chanteur<ref>[http://www.au-lapin-agile.com/pdf/paulo4.pdf Cf Jean Buzelin, livret cité]</ref>.<br />
En 1972, Paulo Gérard cède la gestion du cabaret à son beau-fils Yves Mathieu<ref>[http://www.au-lapin-agile.com/agile2.htm Voir sur le site officiel du ''Lapin Agile''].</ref> qui en est toujours le propriétaire : des « veillées » y sont encore organisées, au cours desquelles se produisent chanteurs et humoristes.
==Bibliographie et références==
===Sources utilisées===
*[http://www.au-lapin-agile.com/pdf/home.pdf ''Le Lapin agile. Un siècle de veillées'', coffret de quatre cds, EPM, 2003 (livret de Jean Buzelin)]
*Roland Dorgelès, ''Le château des brouillards'', Le Livre de poche, 1973 (1{{ère}} éd. 1923)
*Pierre Mac Orlan, ''Le Quai des brumes'', Gallimard, Folio, Paris, 1995 (préface de [[Francis Lacassin]])
*Pierre Mac Orlan, ''Montmartre/Les Bandes'', Oeuvres complètes, Le Cercle du bibliophile, Genève, s.d.
*[[André Salmon]], ''Souvenirs sans fin, Première époque (1903-1908)'', Gallimard, N.R.F., Paris, 1955
*Jerrold Siegel, ''Paris Bohème, 1830-1930'', Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », Paris, 1991.
*Sarah Wilson (dir.), ''Paris, capitale des arts, 1900-1968'', Hazan, Paris, 2002
===Liens externes===
[http://www.au-lapin-agile.com Site officiel du cabaret ''Au Lapin Agile'']
==Notes==
{{Références|colonnes=2}}
{{Portail|Littérature|Paris|musique}}
[[Catégorie:Montmartre]]
[[Catégorie:Cabaret parisien]]
[[ca:Lapin Agile]]
[[cs:Lapin Agile]]
[[de:Le Lapin Agile]]
[[el:Λαπέν Αζίλ]]
[[en:Lapin Agile]]
[[es:Lapin Agile]]
[[it:Lapin Agile]]
[[pl:Lapin Agile]]
[[ru:Проворный кролик]]
[[sv:Lapin Agile]]