Les Contes de Cantorbéry
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2008-07-23T16:20:36Z
Tournachon
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/* Argument */
{{Infobox Livre
| auteur = Geoffrey Chaucer
| préface = André Crépin
| directeur =
| genre =
| titre_orig =The Canterbury Tales
| pays = Angleterre
| lieuparution_orig =
| langue = Moyen anglais
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| dateparution_orig = {{s|XIV|e}}
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| traducteur = André Crépin
| titre = Les Contes de Canterbury
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| éditeur = Gallimard
| dateparution = 2000
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| collection = Folio classique
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| pages = 822
| isbn = 2-07-040634-2
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}}
'''''Les Contes de Cantorbéry''''' (''The Canterbury Tales'' en [[anglais]]) est une série d'histoires écrites par [[Geoffrey Chaucer]] au {{s|XIV|e}}. Le texte est écrit en [[moyen anglais]], en [[vers]] pour la majeure partie. Les contes sont intégrés dans une histoire « cadre » et dits par un groupe de pèlerins faisant route de [[Southwark (district londonien)|Southwark]] à [[Cantorbéry]] pour visiter le sanctuaire de [[Thomas Becket]] dans la [[cathédrale de Cantorbéry]].<br >[[Image:Chaucer Hoccleve.gif|thumb|left|300px|Portrait de Chaucer par [[Thomas Occleve]], dans le "Regiment of Princes"(1412)<ref>'''[[Thomas Occleve]]''' ou '''Hoccleve''' (1369 — 1426) Le "regiment" est un long poème, adressé dans le cas présent à Henry Bolingbroke, fils du roi [[Henri IV d'Angleterre|Henry IV]] et futur [[Henri V d'Angleterre|Henri V]], constitué d'une suite d'exemples de bonne et mauvaise gouvernances, destiné à un prince qui pourra y confronter ses propres actions et intentions.</ref>. Occleve l'a connu personnellement, on peut donc supposer que le portrait est assez fidèle.]]
==Introduction==
[[Image:ChaucerPortraitEllesmereMs.jpg|thumb|right|250px|Portrait de Chaucer en pèlerin dans le manuscrit Ellesmere]]
Il existe plusieurs anciens manuscrits des contes datant du {{s-|XV|e}}. Les deux meilleurs, Hengwrt<ref>Qui se trouve à la ''Wales Library'' (Bibliothèque du [[Pays de Galles]] à [[Aberystwyth]].</ref> et Ellesmere<ref>Du nom de sir Thomas Egerton (1540 – 1617), baron Ellesmere, qui avait réuni une collection de manuscrits dans sa bibliothèque à Ashridge ([[Hertfordshire]]). La collection a été transférée à Londres en 1802 puis vendue (en 1917) par Francis Granville Scrope Egerton (1872-1944), 4e comte d'Ellesmere, à Henry Huntington, un magnat du chemin de fer américain. Le manuscrit se trouve maintenant à la [http://www.huntington.org/''Huntington Library], à San Marino, en [[Californie]].</ref>, présentent quelques différences quant au nombre de vers de liaison entre les contes et à l'ordre dans lequel ils sont présentés. Les contes ont été classés suivant leurs références aux lieux et dates du pèlerinage. Le manuscrit Ellesmere, plus richement illustré, est considéré comme le plus complet et le moins hypothétique. Il est à la base de la traduction présentée ici.<ref>traduction nouvelle destinée à la [[Bibliothèque de la Pléiade]], avec une postface de G.K. Chesterton (extraite de son ''Chaucer'' publié en 1932).</ref>.
On a dit que Chaucer s’était parfois contenté de traduire ou adapter [[Guillaume de Lorris]], [[Jean de Meung]] ou ''[[Le Décaméron (littérature)|le Décaméron]]'' de son contemporains [[Boccace]] dans le cas présent. C’est aller un peu vite car, si les thèmes sont souvent très proches, c’est qu’ils étaient « dans l’air du temps » et c’est faire fi du talent particulier de Chaucer à s’approprier la trame d’un récit pour en faire sa chose, une re-création, avec son style propre et sa vision personnelle de la société de son temps.
« ''Ce qui importe n’est pas la nouveauté de l’intrigue mais le ton, la mise en perspective'' » dira André Crépin dans l’introduction à sa nouvelle traduction.
Chaucer enrichit l'idée de la suite de contes, courante à cette époque, en la plaçant dans le cadre du pèlerinage. Cela lui permet, par la diversité des conteurs successifs, et donc des thèmes traités, de s'adresser à des auditoires différents. Comme on le verra plus loin, il conseille au lecteur, si tel conte ne lui plaît pas, de tourner la page et d'en choisir un autre. C'est l'Aubergiste qui fera la liaison, donnant la parole à l'un puis à l'autre, calmant les esprits, mettant fin aux querelles. L'auteur garde son sens spirituel au pèlerinage tout en montrant ses personnages, les pèlerins, dans leur dimension humaine et bien terrestre, chacun différent, parfois antagonistes, mais tous unis dans un même but, le sanctuaire de Thomas Becket. Par la progression du récit, l'enchaînement des différents contes, on peut dire qu'il y a une analogie entre le déroulement du pèlerinage raconté et la vision chrétienne de la marche de l'humanité vers la [[Jérusalem céleste]].
Il y a une grande variété de genres représentés dans les Contes : [[Roman (littérature)|roman]] de chevalerie, [[conte de fées]], [[Lai (poésie)|lai]] breton, [[fabliau]], [[fable]] animalière, conte mythologique, [[nouvelle]], vie de saint, [[allégorie]]…
==Argument==
Une trentaine de pèlerins d’origines diverses<ref>Représentant un échantillon de la société anglaise du {{s-|XIV|e}}, sauf les indigents, qui ne pouvaient s’offrir le séjour en auberge, et les grands seigneurs et prélats, qui se logeaient dans les châteaux ou les résidences épiscopales.</ref> se rassemble dans une auberge de [[Southwark]], partant pour Canterbury afin de se recueillir sur la tombe de saint Thomas Becket.
=== Prologue ===
[[Image:HengwrtChaucerOpening.jpg|thumb|right|250px|Les premières lignes du prologue dans le manuscrit Hengwrt]]
Le récit commence par un prologue qui présente une galerie de portraits des pèlerins. La veille du départ, l’Aubergiste, qui fera partie de la troupe, propose que :
{{Début citation}}''Chacun de vous pour écourter la route<br />
''Dira tout en chevauchant deux histoires<br />
''D’abord à l’aller vers Cantorbéry<br />
''Puis au retour il en dira deux autres,<br />
''D’aventures qui se sont passées jadis.''{{Fin citation}}
Le premier à prendre la parole sera le Chevalier.
===Le Conte du Chevalier===
Deux nobles chevaliers qui se sont juré fidélité, Palamon et Arcite, ont été faits prisonnier par Thésée, roi d'Athènes, lors du siège de Thèbes. De leur prison, ils voient Emilie, sœur de Thésée, se promener dans son jardin et en tombent tous deux follement amoureux. Dès lors ils sont rivaux. Arcite sera finalement libérée suite à l'intervention d'un de ses amis à condition qu'il ne revienne jamais à Athènes.
Arcite ne résiste pas, et revient à Athènes pour voir Emilie. Palamon s'évade dans le même temps et les deux anciens amis se rencontrent et se battent pour leur belle. Thésée survient et décide qu'un tournoi aura lieu, le vainqueur épousera Emilie. Avant le combat, Palamon va implorer Vénus de lui accorder la victoire, et donc Emilie, dans le temple que Thésée vient de faire construire sur le lieu du tournoi.[[Image:EllesmereManuscriptKnightPortrait.jpg|thumb|right|250px|Le début du ''Conte du Chevalier'' dans le manuscrit Ellesmere]]{{Début citation}}''On voyait dans le temple de Vénus<br />
''Décrits sur les murs de tristes spectacles :<br />
''Les insomnies et les soupirs glacés,<br />
''Les vœux sanglotés, les lamentations,<br />
''Les flèches de feu des brûlants désirs,<br />
''Tous les maux qu'Amour inflige ici-bas.<br />
''Les serments qu'on fait de toujours s'aimer.<br />
''Espoir et Joie, Désir, Témérité,<br />
''Jeunesse et Beauté, Richesse et Plaisir,<br />
''Magie et Violence, Mensonge et Flatterie,<br />
''Argent, Souci, et enfin Jalousie<br />
''Portant sur la tête la guirlande d'or jaune<br />
''Et un coucou assis sur sa main ;<br />
''Instruments de musique, rondes et danses,<br />
''De l'entrain, de l'ambiance, et autres modes<br />
''De l'amour qu'il me faudrait détailler<br />
''…<br />
''La statue de Vénus, superbe à voir,<br />
''La représentait nue, flottant sur la mer<br />
''…<br />
''Debout devant elle, son fils Cupidon,<br />
''Deux ailes attachées à ses épaules<br />
''Et les yeux bandés comme à l'habitude.<br />
''Il tenait un arc et de fines flèches.''{{Fin citation}}
Arcite va prier Mars tandis qu'Emilie se recueille au temple de Diane. Le tournoi ne voit pas de vainqueur pour les départager.
Mars, Vénus et Saturne interviennent chacun en son sens. À la fin du combat, Arcite meurt, sous son cheval écrasé que Saturne a effrayé.
Après des années d'un deuil inconsolable, Thésée conclut :
{{Début citation}}''Celui qui est aux cieux est cause première<br />
''Crée le monde le liant par l’amour<br />
''Grandes conséquences, plan vertigineux !<br />
''…<br />
''Ce Prince et Créateur<br />
''A fixé notre triste ici-bas<br />
''…<br />
''Protester, se révolter est absurde<br />
''Quand le maître est celui qui tout gouverne.<br />
…''{{Fin citation}}
Palamon épousera donc Emilie.
L’homme est dans la main de son Créateur et, quoiqu’il fasse, son destin est tracé.
===Prologue du Conte du Meunier===
Vient ensuite le Conte du Meunier, qui est ivre et coupe la parole à l’Aubergiste qui invitait le Moine à enchaîner par une autre histoire. Le conte du Meunier est précédé d’un prologue dans lequel Chaucer s’excuse de devoir répéter les propos choquants qui ont étés tenus :
{{Début citation}}''Il m’en coûte de devoir le reproduire<br />
''… je dois redire<br />
''L’intégralité des contes quels qu’ils soient,<br />
''Pour rester véridique sur tous les points.<br />
''Si donc l’on n’aime guère entendre ce conte,<br />
''Qu’on tourne la page et en choisisse un autre :<br />
''On trouvera suffisamment d’histoires,<br />
''De toutes tailles, louant la courtoisie,<br />
''Ou bien la vertu et la sainteté.<br />
''Ne me blâmez pas si vous choisissez mal.<br />
''Le Meunier est un rustre, c’est évident,<br />
''Le Régisseur aussi, d’autres encore,<br />
''Et leurs contes sont donc des histoires paillardes.<br />
''À vous d’en juger sans me tenir rigueur<br />
''Ni prendre au sérieux ce qui n’est qu’un jeu.''{{Fin citation}}
===Le Conte du Meunier===
C’est l’histoire grivoise d’un riche charpentier, logeur de pensionnaires qui se fera berner par un de ses locataires.[[Image:Chaucer-canterburytales-miller.jpg|thumb|right|250 px|Le Meunier, dans l'édition de Richard Pynson, Londres 1492.<ref>Reproduit avec l'autorisation de Mrs. N. Pollock, Glasgow University.</ref>]]
{{Début citation}}''Le charpentier venait juste d’épouser<br />
''Une fille qu’il aimait plus que sa vie.<br />
''C’était une jeunesse de dix-huit printemps.<br />
''Jaloux, il la tenait sous clé, en cage,<br />
''Car elle était vive et jeune, et lui, vieux :<br />
''Il craignait donc de devenir cocu.''{{Fin citation}}
Nicolas, jeune pensionnaire, « ''pauvre étudiant en faculté de lettres'' », lui fait croire qu’un nouveau Déluge ne saurait tarder. Par amitié pour son logeur il promet de le sauver, ainsi que son épouse : qu’il apporte trois huches à pétrir, assez grandes pour les contenir chacun avec des provisions et flotter comme une barque. Lorsque le "déluge" est annoncé par Nicolas, chacun monte en son vaisseau, et, le charpentier une fois endormi, la belle et Nicolas
{{Début citation}}''Sans plus de paroles ils gagnent le lit<br />
''Qu’occupe d’ordinaire notre charpentier.''{{Fin citation}}
Vient ensuite un épisode plaisant où Absalon, un autre soupirant de la belle Lison, se fait ridiculiser puis en tire vengeance.
{{Début citation}}''Et tout le monde riait de cette histoire.<br />
''La femme du charpentier se fit sauter,<br />
''Trompant la vigilance du mari jaloux ;<br />
''Absalon lui embrassa l’oeil d’en bas<br />
''Et Nicolas a le croupion en feu.''{{Fin citation}}
===Le Conte du Régisseur===
Le Régisseur entre alors en scène. Ancien charpentier, il est ulcéré par le récit du Meunier, et propose l'histoire d'un meunier « ''rusé trafiquant en grain et en farine'' » nommé Simonnet le Teigneux.
Ce conte fait pendant à celui du Meunier, l'argument en est assez voisin : un riche meunier, tricheur, marié et père d'une très jolie fille et d'un nouveau-né, essaie d'escroquer deux jeunes clercs venu faire moudre le blé de leur abbaye voisine.
À la suite d'une série de ruses et de quiproquos des deux parties :
{{Début citation}}''Voilà rossé notre meunier fiérot,<br />
''Qui, loin d'être payé, pour le grain moulu,<br />
''A dû payer tout le fin souper<br />
''D'Alain et de Jean, qui l'ont bien rossé.<br />
''Sa femme est sautée, et sa fille aussi.<br />
''Voilà ce qu'il en coûte à un meunier tricheur.<br />
''Voilà pourquoi le proverbe dit vrai :<br />
''Bien mal acquis ne profite jamais.<br />
''Un trompeur se verra lui-même trompé.''{{Fin citation}}
À cette occasion, Chaucer fait allusion aux différents dialectes<ref>Chaucer, par la grande diffusion de ses œuvres, et les habitudes de l'administration royale, puis la centralisation et l'imprimerie, feront progressivement apparaître un anglais standard qui ne sera généralisé qu'aux {{sp-|XVII|e|et|XVIII|e}}s. S'adressant à son poème ''Troïlus et Criseyde'', il dira :{{Début citation}}''Comme il existe une telle diversité<br />
''En anglais, de dialectes, d'orthographes,<br />
''Dieu veuille que tu sois recopié sans faute<br />
''Et sans faute scandé, fidèle à ma langue,<br />
''Lu ou chanté, peu importe la région,<br />
S''ans contresens. — J'en rendrai grâce à Dieu.''{{Fin citation}}</ref> en usage en Angleterre au Moyen Âge. Les deux clercs s'expriment en anglais du Nord, leur région d'origine.
===Le Conte du Cuisinier===
Conte très court, une soixantaine de vers, un peu plus de cent si l'on compte le prologue, qui décrit les déboires d'un marchand qui a pour apprenti Pierrot le Séducteur.{{Début citation}}''Il n'y avait dans Londres nul apprenti<br />
''Aussi habile à lancer une paire de dés<br />
''Que l'habile Pierrot ; il dépensait<br />
''Sans compter, loin des regards indiscrets<br />
''Son patron s'en aperçut, dans ses comptes,<br />
''Plus d'une fois il trouva sa caisse vide.''{{Fin citation}}
Viendra ensuite le Conte du Juriste, précédé d'un long prologue au cours duquel Chaucer met dans la bouche du Juriste quelques notes d'autodérision.{{Début citation}}''Je suis incapable de trousser un conte<br />
''Tel Chaucer qui, malgré ses ignorances<br />
''En métrique et en rimes savantes,<br />
''En a composé, dans l'anglais qu'il connaît,<br />
''Il y a déjà longtemps, comme on sait.<br />
''S'il n'a pas conté cette histoire, ami,<br />
''Dans ce livre-ci, c'est dans celui-là.''{{Fin citation}}
===Le Conte du Juriste===
Histoire édifiante de plus de 1 000 vers, la vie exemplaire de Constance, fille de l'Empereur de Rome, qui connut de nombreux malheurs avant de revenir dans sa ville natale.{{Début citation}}''Elle possède la beauté, mais point d'orgueil,<br />
''Jeunesse sans enfantillage ni sottise<br />
''Et la vertu guide toute sa conduite.<br />
''L'humilité a vaincu l'égoïsme.<br />
''Elle est miroir de toute courtoisie,<br />
''Son cœur, le reposoir de sainteté,<br />
''Sa main, sa déléguée très charitable.''{{Fin citation}}
Des marchands syriens ont entendu parler de ses vertus lors de leur séjour à Rome et, de retour au pays, en chantent les louanges à leur Sultan tant et si bien que celui-ci[[Image:Canterbury Tales.png|thumb|right|250px|Une illustration des ''Contes'', gravure sur bois de 1484.]]{{Début citation}}''…n'eut plus qu'une seule pensée :<br />
''L'aimer d'amour tout au long de sa vie.''{{Fin citation}}
Le Sultan appelle donc ses conseillers pour envisager la possibilité d'un mariage avec Constance.{{Début citation}}''Mais ils virent alors un obstacle majeur,<br />
''Difficile à nier, avouons-le :<br />
''De telles différences séparaient les mœurs<br />
''De chacun des deux qu'ils en déduisirent :<br />
''"Nul prince chrétien ne voudra accepter<br />
''Pour sa fille un mariage selon la loi<br />
''Si douce de Mahomet notre prophète."{{Fin citation}}
Le Sultan répond qu'il ne veut en aucun cas perdre Constance et, à force d'ambassades, négociations et interventions diverses, il est convenu qu'il l'épousera après s'être converti, lui, ses barons et ses vassaux.
La promise quitte donc Rome en grand cortège, accompagnée de chevaliers et de prélats, en route pour la Syrie. La mère du sultan, furieuse de son [[apostasie]] organise le massacre de tous les convertis, son fils y compris, ainsi que des chrétiens.{{Début citation}}''Aucun ne put échapper au massacre.<br />
''On enleva Constance, au pas de course,<br />
''On la mit dans un barque sans gouvernail,<br />
''En lui criant bon vent et de faire voile<br />
''Loin de Syrie et cap sur l'Italie.<br />
''…<br />
''Des ans et des jours la pauvrette dériva,<br />
''Traversa les mers grecques jusqu'au détroit<br />
''Du Maroc, au gré de sa destinée.<br />
''…<br />
''Il plut à Dieu de montrer sa puissance<br />
''En la sauvant pour notre enseignement.''{{Fin citation}}
Finalement le vaisseau s'échoue près d'un château « ''loin en Northumbrie'' ». Elle y est recueillie et tait son identité. Il n'y a presque pas de chrétiens en ces lieux, chassés qu'ils ont été{{Début citation}}''Vaincus par les païens qui vinrent par mer<br />
''Ou de l'intérieur s'installer au nord.''{{Fin citation}}
Un prétendant éconduit se venge en la faisant accuser d'un crime qu'il a lui-même commis. Seule, éperdue, en terre étrangère, elle ne trouve personne pour la défendre lorsqu'en présence du roi Allé elle est accusée du meurtre. Elle en appelle à Dieu et le roi, ému, fait chercher une Bible pour que l'accusateur jure sur les Evangiles qu'elle est bien la coupable. Il jure, et s'écroule « ''telle une pierre'' » alors que retentit une voix disant{{Début citation}}''Tu as calomnié l'innocente<br />
''Fille de Sainte Eglise en présence du Très-Haut<br />
''Voilà ta conduite, je retiens ma colère.''{{Fin citation}}
Devant ce miracle, le roi et nombre de ses sujets se convertissent au grand déplaisir de la reine mère.{{Début citation}}''Après quoi Jésus, dans sa miséricorde,<br />
''Fit épouser par Allé, en grande pompe,<br />
''Notre sainte fille, si radieuse et si belle.<br />
''Ainsi le Christ fit de Constance une reine.<br />
''…<br />
''Ils mangent et boivent, dansent, chantent et s'amusent<br />
''Gagnent leur couche, désirée, méritée,<br />
''Car une épouse a beau être très sainte,<br />
''Elle doit supporter patiemment, la nuit<br />
''Les nécessités qui font le plaisir<br />
''De celui qui lui a passé l'anneau au doigt,<br />
''Elle doit mettre un peu de côté sa vertu<br />
''Pour le moment — pas d'autre solution.''{{Fin citation}}
Constance est enceinte et le roi part pour l'Ecosse « ''affronter l'ennemi.'' » Son fils naît, un messager est envoyé pour l'en avertir mais la mère du roi change la lettre pour une autre qui annonce la naissance d'une créature démoniaque. Le roi est accablé mais accepte l'épreuve que Dieu lui envoie et recommande dans sa réponse qu'on prenne bien soin de la mère et de l'enfant. Au retour du messager la reine mère échange à nouveau les missives, ordonnant cette foi que Constance soit immédiatement bannie.{{Début citation}}''Tout le monde pleura, les jeunes et les vieux,<br />
''Au reçu de cette lettre maudite.<br />
''Constance, le visage d'une pâleur mortelle,<br />
''Partit, le quatrième jour, vers son bateau, <br />
''Elle accueillait sans la moindre révolte<br />
''La volonté du Christ. Elle s'agenouilla :<br />
''« Seigneur, béni soit ce que tu nous envoies.<br />
''Celui qui m'a prise sous sa protection<br />
''Quand j'étais faussement accusée, ici,<br />
''Saura me protéger ailleurs, en mer,<br />
''Contre tout mal, physique ou bien moral.<br />
''Puissance mystérieuse, mais toujours active,<br />
''En lui j'ai confiance, en sa mère bien-aimée :<br />
''Ils sont mon esquif voile et gouvernail. »''{{Fin citation}}
Accompagnée d'une foule en pleurs Constance emmène son fils et reprend la mer, son bateau « ''tout chargé de vivres, en grande abondance pour son long voyage.'' » Le roi revient de guerre et apprend ce qui s'est passé, le complot est découvert, sa mère est condamnée à mort, car telle est sa justice. Il est inconsolable et pleure son épouse et son fils. Pendant ce temps, Constance{{Début citation}}''Emportée par les flots, en proie au chagrin,<br />
''Cinq longues années, soumise au gré du Christ,<br />
''Avant que son bateau n'approchât terre.''{{Fin citation}}
Elle s'échoue à nouveau près d'un château de païens. Une nuit le sénéchal vient et tente de la violer. Elle se débat et avec l'aide de la Sainte Vierge se défend si bien que le méchant tombe par dessus bord et se noie.{{Début citation}}''Ainsi le Christ garda chaste Constance.''{{Fin citation}}
Le bateau reprend la mer à nouveau et dérive en tous sens{{Début citation}}''Jusqu'à ce que la mère du Christ, bénie soit-elle !<br />
''Fît en sorte, dans son infinie bonté,<br />
''Que prît fin toute l'infortune de Constance.''{{Fin citation}}
Pendant tout ce temps l'empereur de Rome a appris le massacre survenu en Syrie et y envoie un sénateur avec son armée pour en tirer vengeance.{{Début citation}}''Ils brûlèrent, massacrèrent, ravagèrent<br />
''Des jours et des jours puis, nous y voilà,<br />
''Décidèrent de s'en retourner à Rome.''{{Fin citation}}
[[Image:Chaucer-canterburytales-manoflaw.jpg|thumb|right|250px|Le Juriste, dans l'édition de Richard Pynson, Londres 1492.]]
Sur la route du retour, ils croisent le vaisseau de Constance qui dérive et la recueillent. Elle ne dit rien sur elle-même et, arrivé à Rome, le sénateur les confie, elle et son fils, à son épouse. La femme du sénateur, qui est pourtant sa tante, ne la reconnaît pas. Le temps passe, le fils grandit, Constance se répand en bonnes œuvres.
En Northumbrie, le roi Allé inconsolable décide de partir en pèlerinage à Rome pour expier ses péchés, la mort de Constance et de son fils. C'est ainsi, après des concours de circonstances tout aussi extraordinaires que Constance et son fils, le roi Allé et l'Empereur se retrouveront réunis, se reconnaîtront.{{Début citation}}''Tous menèrent une vie de grande vertu<br />
''Et de saintes œuvres. Ils ne se quittèrent plus<br />
''Jusqu'à ce que la mort les séparât.<br />
''Adieu ! Voici mon récit terminé.<br />
''Que Jésus-Christ, qui peut faire succéder<br />
''La joie au chagrin, nous ait en sa grâce<br />
''Et nous protège, nous tous qui sommes ici !''{{Fin citation}}
===Le Conte de la Bourgeoise de Bath===
Dans ce conte, Chaucer met en scène une veuve qui s'est mariée à 5 reprises depuis l'âge de 12 ans<ref>Age nubile selon le [[droit canon]] de l'époque.</ref> et prétend, forte de cette expérience, pouvoir parler en toute connaissance de cause du mariage. Dans un très long prologue de près de 700 vers, elle évoque ses mariages successifs et, à l'aide de nombreuses références bibliques, argumente sur la virginité (qui n'est pas indispensable pour être une femme vertueuse) et le mariage, indispensable pour obéir au commandement divin.[[Image:Wife-of-Bath-ms.jpg|thumb|250px|right|Le première page du Conte de la Bourgeoise de Bath, manuscrit Ellesmere.]]{{Début citation}}''Dieu nous a dit « Croissez et multipliez »,<br />
''Noble parole et facile à comprendre.<br />
''Dieu ajouta que mon mari devait<br />
''Quitter père et mère pour s'attacher à moi,<br />
''Sans jamais parler du nombre de mariages,<br />
''Ni de bigamie ni d'octogamie.<br />
''Alors pourquoi y voir de l'infamie ?<br />
''…''<br />
''La virginité est l'état parfait<br />
''Où la dévotion inspire l'abstinence.<br />
''Le Christ, pourtant source de perfection,<br />
'' N'a pas ordonné à tout un chacun<br />
''De vendre ses biens au profit des pauvres<br />
''Afin de Le suivre et de L'imiter,<br />
''Mais à ceux-là seuls qui visent la perfection :<br />
''J'avoue humblement de n'en être pas.<br />
''Je veux consacrer la fleur de mon âge<br />
''Aux œuvres de chair, aux fruits du mariage.<br />
''…<br />
''Je n'ai rien contre la virginité :<br />
''Les vierges sont des pains de pur froment,<br />
''Le pain d'orge<ref>Allusion à la multiplication des pains. Jean (VI,9) parle de "pain d'orge"</ref> c'est nous les femmes mariées,<br />''…''{{Fin citation}}
Elle s'étend alors sur les organes génitaux dont la fonction est double : l'utile et l'agréable, et sur les rapports entre le mari et son épouse, entre homme et femme. La Bourgeoise de Bath est une maîtresse femme qui sait se faire respecter et obtenir ce qu'elle veut de son mari.
Elle raconte ensuite ce qu'il advint de chacun de ses mariages, décrit sa vie avec chaque époux successivement. Les trois premiers étaient riches et vieux, le quatrième un noceur, qui avait une maîtresse, aussi lui rendit-elle la monnaie de sa pièce et fit-elle de sa vie un enfer. Le cinquième, "''un clerc d'Oxford, épousé par amour et non pour l'argent''", la battait et lui lisait de multiples exemples de la duplicité des femmes tirés des nombreux ouvrages de sa bibliothèque.{{Début citation}}''Qui pourrait imaginer, concevoir<br />
''Le chagrin qu'il me causait, la douleur ?<br />
''Quand je compris qu'il passerait la nuit<br />
''A lire des extraits de son maudit livre<br />
''…''{{Fin citation}} S'ensuit une dispute violente, livre déchiré, coups échangés, qui se termine par une réconciliation et la paix dans le ménage.
La plupart du prologue est également une argumentation sur la supériorité de l'expérience par rapport à l'autorité des textes, et son conte peut être vu comme une réfutation de la façon dont les femmes ont été qualifiées par les auteurs (masculins) de l'époque. Chaucer se rapproche ici du discours de [[Christine de Pisan]].
La Bourgeoise entame alors son conte, qui se déroule{{Début citation}}''Au temps jadis quand régnait ce roi Arthur<br />
''Que les Bretons célèbrent avec éloges<br />
''Tout ce pays était rempli de fées.<br />
''…<br />
''Je parle d'il y a des centaines d'années<br />
''Car à présent les elfes ont disparu,<br />
''A présent c'est le zèle et les prières<br />
''Des frêres quêteurs et autres religieux<br />
''Fouillant le pays, les moindres cours d'eau<br />
''Nombreux comme poussières dans rai de soleil,<br />
''Bénissant les chambres, les salles, les cuisines,<br />
''Les villes et les bourgs, châteaux et donjons,<br />
''Villages et granges, étables, laiteries :<br />
''Aussi les fées se sont-elles enfuies.''{{Fin citation}}
Vient alors l'histoire d'un jeune chevalier de la suite du roi, qui, un jour, revenant seul de la chasse{{Début citation}}''Il aperçut une fille marchant devant lui<br />
''Et aussitôt, malgré sa résistance,<br />
''Il lui prit de force sa virginité.''{{Fin citation}}
Le chevalier est alors condamné à mort par le roi, mais la reine et d'autres dames de la cour implorent sa grâce, si bien{{Début citation}}''Que celui-ci lui laissa la vie.<br />
''Il remit le chevalier à la reine<br />
''Pour qu'à son gré elle le sauve ou le détruise''{{Fin citation}}
Après un temps de réflexion, la reine le fait venir à elle et lui tient ce discours :{{Début citation}}''Je t'accorde la vie sauve si tu me dis<br />
''Ce que les femmes désirent par dessus-tout.<br />
''Fais attention : le billot n'est pas loin.<br />
''Si tu ne peux me répondre tout de suite,<br />
''Je veux bien t'accorder la permission<br />
''De partir un an et un jour chercher<br />
''Une réponse adéquate à cette question<br />
''…''{{Fin citation}}
Le chevalier part donc à la recherche de la réponse, mais nulle part ne trouve « ''deux créatures répondre la même chose'' ». L'une parle d'argent, d'autres de prestige, d'amour, d'attentions et de prévenances ou d'être libre d'agir à sa guise.
Au hasard de sa quête, il aperçoit un jour un groupe de dames en train de danser à la lisère d'un bois. Il s'en approche, mais toutes disparaissent sauf une vieille, assise dans l'herbe. Il lui raconte son histoire et pose sa question, promettant une récompense si elle peut lui venir en aide.{{Début citation}}''— Promets-moi, main dans la main, reprit-elle<br />
''De m'accorder, sauf obstacle impossible,<br />
''La première chose que je te demanderai''{{Fin citation}} Le chevalier promet et la vieille lui murmure son message à l'oreille puis ils partent tous deux porter la réponse à la reine.{{Début citation}}''Mainte noble épouse et mainte jeune fille<br />
''Et mainte veuve, connues pour leur sagesse,<br />
''Entourèrent la reine siégeant comme juge<br />
''Assemblées là pour entendre la réponse.<br />
''…<br />
''Gracieuse suzeraine, dit-il, en général<br />
''Les femmes désirent le pouvoir sans partage,<br />
''Et sur leur mari et sur leur amant<br />
''Dont elles attendent parfaite obéissance.<br />
''Tel est votre désir, et maintenant<br />
''Tuez-moi : je suis à votre merci.''{{Fin citation}}
Toutes alors d'approuver la réponse du chevalier et de dire qu'il méritait d'être sauvé. La vieille femme à ce moment se lève et implore la reine. Que ce tribunal lui rende justice : elle a donné la réponse au chevalier contre sa promesse de lui accorder la première chose qu'elle lui demanderait.{{Début citation}}''Ici donc je te prie, sire chevalier<br />
''Dit-elle, de me prendre pour légitime épouse,<br />
''Car, tu le sais, je t'ai sauvé la vie.<br />
''Si je mens, jure-le donc sur ton honneur !<br />
''— Quel malheur ! répondit le chevalier.<br />
''Telle fut ma promesse, je le reconnais.<br />
''Pour l'amour du ciel, demande autre chose,<br />
''Prends tous mes biens en rançon de mon corps.''{{Fin citation}} La vieille femme refuse tout marchandage, pour rien au monde elle ne renoncera à être sa femme.{{Début citation}}''Rien n'y fit. En conclusion il se vit<br />Condamné et contraint à l'épouser.<br />Qu'il emmène la vieille et qu'il fasse l'amour !''{{Fin citation}}
Tristes noces que celles qui se déroulent alors, sans joie ni fête, à l'aube, en secret.{{Début citation}}''Quel malheur d'avoir cette femme répugnante !<br />Le chevalier avait misère au cœur<br />Quand on les conduisit au lit nuptial.''{{Fin citation}}
Le chevalier repousse sa femme et ne peut se résoudre à faire l'amour avec elle, elle est affreuse et vieille et de basse extraction. Elle critique alors sa notion de la noblesse qui, issue de lointains ancêtres, ne vaut rien si elle n'est pas accompagnée d'une conduite noble en toutes circonstances.{{Début citation}}''Celui qui tire fierté de sa noblesse<br />
''Parce qu'il est fils d'une haute lignée<br />
''Et que ses ancêtres eurent noble vertu<br />
''Mais qui pour sa part ne fait rien de noble<br />
''Et ne suit pas l'exemple de l'ancêtre mort,<br />
''Celui-là, même duc ou comte, n'est point noble.<br />
''Qui se conduit mal n'est qu'un sale manant.{{Fin citation}}
La vieille femme insiste sur la noblesse qui s'acquiert par une vie vertueuse et exemplaire, faisant référence à [[Sénèque]], [[Boèce]] et [[Juvénal]], disant que sa pauvreté, sa laideur et son âge seront « ''de bons gardiens de chasteté.'' »<ref>Au sens de ''fidélité.</ref>''
Le chevalier réfléchit, soupire, et se décide :{{Début citation}}''Dame de mon cœur, épouse chérie,<br />
''Je me soumets à votre sage gouverne.<br />
…<br />
''— Ai-je donc sur vous tout pouvoir, dit-elle,<br />
''Puisqu'à mon gré je choisis et décide ?<br />
''— Oui, ma femme, dit-il, c'est ma solution.<br />
''— Embrassez-moi, ne soyons plus fâchés<br />
…<br />
''Relevez le rideau, voyez ce qu'il en est. »<br />
''Quand le chevalier vit de ses propres yeux<br />
''Qu'elle était si belle, et si jeune aussi<br />
''Fou de joie il la serra dans les bras.''<br />''Son cœur nageait dans le plus grand bonheur.''{{Fin citation}}La Bourgeoise de Bath conclut alors :{{Début citation}}''Je les laisse ici vivre une vie entière''<br />''De parfait bonheur. Que Jésus nous donne''<br />''Des maris dociles, jeunes, actifs au lit,''<br />''Et la grâce de pouvoir surenchérir.''<br />''Veuille Jésus, aussi, raccourcir la vie''<br />''Des maris rebelles au règne de leur femme''<br />''Quant aux vieux grincheux, lents à la dépense,''<br />''Que Dieu leur fasse vite attraper la peste.''{{Fin citation}}
===Le Conte du Frère===
Un religieux prend alors la parole et annonce :{{Début citation}}…<br />
''Et si notre compagnie est d'accord<br />
''Je vais vous faire rire avec un huissier.<br />
''Eh pardi ! rien qu'au nom vous vous doutez<br />
''Qu'on ne saurait dire du bien d'un huisser.''{{Fin citation}}
[[Image:Chaucer-canterburytales-pardoner.jpg|thumb|right|250px|Le Frêre, dans l'édition de Richard Pynson, Londres 1492.]]L'Hôtelier intervient, craignant une querelle au sein de la compagnie, mais l'Huissier le rassure, promettant de répondre {{Début citation}}''… mais quand viendra mon tour<br />
''Je lui rendrai la monnaie de sa pièce<br />
''Je lui dirai, bon Dieu ! quel grand honneur<br />
''C'est d'être frère et de faire de la lèche''{{Fin citation}}
Et le religieux raconte alors l'histoire d'un huissier, homme fort habile et rusé travaillant pour le compte d'un archidiacre, qui détournait à son profit la moitié des amendes perçues et terrorisait qui il pouvait pour pour lui extorquer le plus possible. Il s'était acoquiné avec des prostituées pour qu'elles lui dénoncent leurs clients qu'il pouvait alors poursuivre pour adultère{{Début citation}}''C'était, si je dois tracer son éloge,<br />
''Un voleur, huissier bien sûr et maquereau.<br />
''Il avait aussi des filles à sa solde.''<br />
…<br />
''Adultère ou amoureux clandestin<br />
''C'était là le plus clair de ses ressources<br />
''Et il y concentrait son énergie.''{{Fin citation}}
Parti un jour assigner une vieille pauvresse, il rencontre en chemin un autre voyageur qui se présente comme [[bailli]], et fraternise avec lui. Ils cheminent de concert, se jurent amitié éternelle et se racontent comment chacun ils abusent de leur position pour s'enrichir.{{Début citation}}''— Eh bien, dit l'huissier, c'est pareil pour moi<br />
''Dieu m'est témoin, je prends tout ce qui vient,<br />
''Sauf si c'est trop lourd ou si c'est brûlant.<br />
''Ce que je peux rafler en grand secret,<br />
''Je ne me fais pas scrupule de le prendre.<br />
…<br />
''Mais, frère bien-aimé, dis-moi donc ton nom.<br />
''L'huissier n'avait pas encore terminé que le yeoman esquissait un sourire.<br />
''"Frère, dit-il, veux-tu que je te le dise ?<br />
''Je suis un démon et j'habite l'Enfer.<br />
''Ici j'essaye de trouver ma récolte,<br />
''C'est-à-dire ce qu'on voudra bien me donner.<br />
''Ce gain est, en fait, tout mon salaire''{{Fin citation}}<br />
À ces mots l'huissier, surpris, n'a de cesse d'obtenir tous les renseignements possibles sur l'activité de son compère, quelles formes il peut prendre, la nature de sa mission, comment il s'acquitte de ses devoirs. Chose promise, chose due, il renouvelle son serment d'amitié et s'engage à rester en sa compagnie. Il est convenu qu'ils iront de concert, et que si l'un gagne plus que l'autre, ils feront part égale.<br />
{{Début citation}}''Allons tous deux faire notre récolte.<br />
''Prends ta part, ce qu'on veut bien te donner,<br />
''Je prendrai la mienne et nous vivrons ensemble.<br />
''Si l'un de nous deux obtient plus que l'autre<br />
''La foi jurée l'oblige à partager.<br />
''— D'accord, fit le diable, j'en fait le serment.{{Fin citation}}<br />Ils se rendent ensuite chez la vieille pauvresse et l'huissier tente de lui extorquer quelques argent sous la menace d'un procès et d'excomunication, l'accusant notamment d'adultère. La pauvre femme implore en vain la pitié de l'huissier, puis se fâche.<br />
{{Début citation}}''Que t'emporte le diable hirsute et noir,<br />
''Je te donne à lui...<br />
...<br />
''Sur ce l'affreux démon se saisit de lui<br />
''Et l'obligea, corps et âmes, à descendre<br />
''Là où les huissiers ont leur vraie patrie.{{Fin citation}}<br />
===Le conte de l'Huissier===
Dans un prologue à son conte, l'Huissier, ivre rage parle des frères qui sont proches des démons.<br />
{{Début citation}}''Satan, expliqua-t-il a une queue<br />
''Plus large que la voile d'un très grand bateau.<br />
''Relève ta queue, Satan, ordonna-t-il.<br />
''Montre ton cul et fais voir à ce frère<br />
''Où se trouve le nid des frères en Enfer.{{Fin citation}}
Le conte commence alors par la présentation d'un frère qui s'en va par tout le pays, mendiant contre promesse de rémission des péchés, accompagné de son compère et d'un robuste serviteur.<br />
{{Début citation}}''Donnez-nous un boisseau — blé, orge ou seigle,<br />
''La part du pauvre, ou un bout de fromage,<br />
''À votre bon coeur, car tout nous est bon,<br />
''Le sou du pauvre, ou le prix d'une messe<br />
''Ou un morceau de viande, si vous avez,<br />
''Un coin de votre couverture, bonne dame,<br />
''Soeur bien-aimée, ah! j'inscris votre nom,<br />
''Du boeuf ou du lard, ce que vous trouverez.{{Fin citation}}
À chaque don, le compère prenait soigneusement note du nom du bienfaiteur sur ses tablettes de cire, mais {{Début citation}}
''À peine était-il sorti d'une maison<br />
''Qu'il grattait aussitôt chacun des noms<br />
''Inscrits par le frère sur les deux tablettes.{{Fin citation}}
Ils vont ainsi quêtant de maison en maison et arrivent chez Thomas, « ''le meilleur hâvre de toutes ses tournées.'' » Le maître du logis est alité, malade, le frère s'installe à son chevet, il a envoyé compère et domestique à l'auberge voisine, et entreprend le récit de ses occupations depuis sa dernière visite, les nombreuses prières qu'il aurait faites pour la santé de Thomas et ses visites dans les maisons amies. Il vante la générosité de son hôte, son hospitalité{{Début citation}}''J'ai goûté sur ce banc ton bon accueil<br />
''J'y ai dégusté maint repas joyeux.{{Fin citation}}
Thomas, alors en colère, se plaint que malgré les nombreux dons qu'il a fait « '' à frères de toutes sortes'' », non seulement il ne peut recouvrer la santé, mais encore, il se trouve maintenant fort dépourvu.
{{Début citation}}''— Ça ne va plus, Thomas ? reprit le frère<br />
''Pourquoi recourir à frères de toutes sortes ?<br />
''Pourquoi lorsqu'on a un bon médecin<br />
''Courir la ville pour s'adresser à d'autres ?<br />
''...<br />
''Mais non, Thomas, ça ne peut pas marcher :<br />
''Que vaudra un liard partagé en douze ?<br />
''Tout élément qui garde son unité<br />
''A plus de force que s'il est morcelé.{{Fin citation}}
Suit on long prêche du frère sur les méfaits de la colère, entremêlé de citations et de références à Sénèque et Cyrus, et de demandes réitérées« ''Donne-moi donc de ton or pour notre cloître. »
{{Début citation}}''Notre malade en piqua une colère,<br />
''Il aurait bien jeté le frère au feu,<br />
''Lui et toute sa perverse hypocrisie.<br />
''« Je ne saurais donner, déclara-t-il,<br />
''Que ce qui se trouve en ma possession. »<br />
''Vous dites que je serai frère associé<ref>Les laïques pouvaient faire partie d'une confraternité associée à une communauté ecclésiale. Ainsi, Philippa Chaucer fit-elle partie de la confraternité de la cathédrale de [[Lincoln]].</ref> ?{{Fin citation}}<br />
Le frère promet, il a la lettre portant le sceau du couvent. Thomas alors consent à lui faire un don, qu'il lui remettra en main propre, mais à une condition, une seule : <br />
{{Début citation}}''Que tu le partages, cher frère associé,<br />
''Avec les frères profès, en parts égales.<br />
''...<br />
''Alors glisse ta main au bas de mon dos,<br />
''Dit notre alité, cherche bien derrière.<br />
''Et là, sous mes fesses, tu dois découvrir<br />
''Une chose cachée fort intimement.<br />
''...<br />
''Il lui lâcha un pet en pleine main.<br />
''Nul bidet en plein effort de traction<br />
''N'a jamais lâché un pet aussi sonore.{{Fin citation}}
Le frère est furieux, il promet de se venger et s'en va rejoindre ses acolytes. Il se rend ensuite au manoir où il raconte sa mésaventure et réclame réparation pour l'outrage fait à son ordre et à sa personne qui l'a chargé, en outre, « ''de diviser l'indivisible en parts égales.'' »<br />
{{Début citation}}''Le seigneur restait figé, fasciné,<br />
''Plongé dans un tourbillon de pensées.<br />
''« Le rustre ne manquait pas d'imagination<br />
''Pour poser au frère un si dur problème.<br />
''...<br />
''Quelle solution établirait la preuve<br />
''Que chaque bénéficiaire ait même part<br />
''Du bruit, du goût de ce qui n'est qu'un pet ?<br />
''Farceur de rustre, effronté, quel défi !<br />
''Ah, Messieurs ! gémit le seigneur, c'est dur !<br />
''C'est impossible, on n'y arrivera pas<ref>Le Moyen Àge aimait les casse-tête, aussi bien intellectuels (les ''impossibilia'') que militaires.</ref>.{{Fin citation}}
L'écuyer qui était présent propose alors, contre le prix d'une tunique neuve, une solution au problème : que le seigneur fasse apporter une roue de charrette qui ait douzes rayons, et que viennent douze frères.<br />
{{Début citation}}''Ils se mettront à genoux, tous ensemble,<br />
''Et ainsi contre le bout de chaque rayon<br />
''Un frère appliquera son nez fortement.<br />
''Votre noble confesseur, Dieu le garde !<br />
''Collera son nez contre le moyeu.<br />
''Alors notre rustre au ventre tendu<br />
''Comme un tambour nous rejoindra ici.<br />
''Installez-le sur cette roue de charrette,<br />
''Sur le moyeu, et qu'il pète un bon coup.<br />
''Alors vous verrez, j'en suis convaincu,<br />
''Démontré par preuve, ô combien éloquente !<br />
''L'égale répartition au bout des rayons<br />
''De la pétarade, de la puanteur,<br />
''Sauf que votre révérend confesseur,<br />
''Vu qu'il est homme de grande dignité,<br />
''En aura les prémices, comme il se doit.<br />
''...<br />
''Le maître, sa femme, tout le monde sauf le frère<br />
''Dire que Jeannot avait en la matière<br />
''Parlé comme Euclide ou bien Ptolémée.<br />
''Quant au rustre, on conclut que c'est l'astuce,<br />
''L'esprit très vif qui l'avait inspiré :<br />
''Il n'était ni fou ni possédé du diable.<br />
''Ainsi Jeannot acquit tunique neuve.{{Fin citation}}<br >
===Le conte de l'Universitaire d'Oxford===
Dans son prologue, l'Universitaire déclare qu'il a appris le conte qui va suivre à Padoue, de la bouche de<br >
{{Début citation}}''François Pétrarque<ref>Ce conte est une adaptation du dernier conte du ''[[Decameron]]'' de Boccace, qui fut adapté en latin par [[Pétrarque]] en 1374.</ref>, poète lauréat,<br >
''Était son nom et sa douce rhétorique<br >
''Fit briller l'Italie par sa philosophie,{{Fin citation}}
Le conte commence alors par la description d'un région riante et très fertile où règne en maître Gautier, un marquis{{Début citation}}''Bel homme, bien bâti, en pleine jeunesse,<br >
''Aux nobles sentiments, belles manières,<br >
''Jugement assz sûr pour pouvoir gouverner
''...<br >
''Il ne pensait qu'à son plaisir de l'heure :<br >
''Tout à sa chasse, à courre ou au faucon,<br >
''Il oubliait le reste, il n'en avait cure,<br >
''Et il se refusait — c'était le comble —<br >
''À prendre femme pour assurer l'avenir.{{Fin citation}}
Ses sujets s'inquiètent et viennent le supplier de se marier afin d'assurer sa descendance pour que le pays puisse être toujours gouverné par quelqu'un de sa lignée.
{{Début citation}} ''Courbez le cou sous ce joug bienfaisant<br >
''Qui vous rend maître et pas du tout esclave<br >
''Qu'on appelle épousailles, mariage ou noce{{Fin citation}}
Le marquis se rend à leurs prières, promet de se marier dans un délai fixé, mais pose comme condition qu'il a libre choix de l'épouse et, qu'elle soit ou non de la noblesse, qu'elle soit respectée et vénérée comme si elle était fille d'un empereur.<br ><br >De retour de la chasse, il avait souvent observé Grisildis, fille d'un humble paysan parmi les plus pauvres.
{{Début citation}}''Impressionné par cette figure de femme<br >
''Par sa, vertu que personne d'aussi jeune<br >
''N'égalait, en actions ou en maintien.<br >
''Les gens en général n'aperçoivent pas<br >
''La vertu mais lui, remarqua fort bien<br >
''Ses qualités et prit la décision<br >
''Qu'elle seule serait sa femme, s'il se mariait.{{Fin citation}}
Le jour fixé pour le mariage étant arrivé, tout le monde s'interroge : qui est la promise, où se trouve-t-elle ? Le palais a été décoré, les invités sont là, tout est prêt pour la cérémonie. Le marquis, alors, emmène toute la noce jusqu'au hameau qu'habite Grisildis et demande sa main à son père. En cas d'accord, il l'épousera sur le champ. Le père marque son accord, et fait venir sa fille, et{{Début citation}}''Voici le discours que tint le marquis<br >
''À la douce jeune fille, franche et fidèle :<br >
<br >
''« Grisildis, dit-il, vous devez comprendre<br >
''Que votre père et moi sommes d'accord<br >
''Que je vous épouse, ce qui, je suppose<br >
''Trouvera aussi votre assentiment.<br >
''Vu la rapidité de cette affaire,<br >
''Voulez-vous un délai de réflexion ?<br ><br >
''Attention ! vous prêterez-vous de bon coeur<br >
''À tous mes caprices, accepterez-vous<br >
''Que je vous cause, à mon gré, peine ou joie,<br >
''Sans une plainte, la nuit comme le jour ?<br >
''À mes "oui" n'opposerez-vous pas des "non" ?<br >
''Jurez-le, et je jure ici notre union.
{{Fin citation}}
Grisildis accepte cette condition, le marquis lui remet l'alliance apportée tout exprès et appelle des femmes qui vont la revêtir de riches habits de cérémonie, il la présente alors à toute sa suite comme étant son épouse et l'emmène en son palais.<br ><br > La nouvelle marquise charme vite son entourage par ses qualités :{{Début citation}}
''Elle n'avait jamais manqué de vertus<br >
''Mais elle atteignait un si haut niveau<br >
''De perfection étayée de bonté,<br >
''Elle était si sensée, si élouente,<br >
''Si bienveillante et digne de respect,<br >
''Elle sut si bien gagner le coeur de son peuple<br >
''Que chacun l'aimait au premier regard.{{Fin citation}}
Non seulement elle sait se faire aimer de la cour et des villageois, mais en outre :{{Début citation}}
''Elle savait restaurer le bien public<br >
''Il n'y avait dans tout le pays<br >
''Querelle, rancune ou haine qu'elle ne sût apaiser,<br >
''Ramenant par sa sagesse calme et bien-être.{{Fin citation}}
* à suivre (voir discussion).
==Adaptations et influence==
*[[Pier Paolo Pasolini]] en a tiré un [[Les Contes de Canterbury (film, 1972)|film]] en 1972.
*[[J.K. Rowling]], l'auteur de la saga d'[[Harry Potter]] a reconnu s'être inspirée des contes de Cantorbéry pour écrire le dernier tome de la saga.
== Notes ==
<references/>
==Sources==
*André Crépin, ''Les Contes de Canterbury'', présentation et traduction nouvelle (destinée à la [[Bibliothèque de la Pléiade]]), avec une postface de G.K. [[Chesterton]] (extraite de son ''Chaucer'' publié en 1932), Gallimard, Folio classique, 2000 {{ISBN|2-07-040634-2}}.
*[[:en:The Canterbury Tales|''The Canterbury Tales'']] sur Wikipédia anglais
*Voir le texte original des ''Contes'' [http://rpo.library.utoronto.ca/poet/61.html ici].
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