Renaissance ottonienne
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2008-07-11T04:45:26Z
Jerome66
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La '''renaissance ottonienne''', également qualifiée de ''renaissance'' ou ''renouveau du X{{e}} siècle'' ou ''de l'[[an mille]]'', est une période [[Moyen Âge|médiévale]] de [[renaissances médiévales|renouveau culturel]] de l'Occident chrétien, qui s'étend du début du {{s|IX}} aux environs de l'an [[1030]].
Cette période est caractérisée par une indéniable vitalité culturelle, en particulier grâce à l'activité des écoles en [[Royaume de Germanie|Germanie]] et, de manière plus hétérogène, sur l'ensemble du continent européen. Dominée par les deux figures intellectuelles majeures que sont [[Abbon de Fleury]] et [[Gerbert d'Aurillac]], elle livre également un héritage artistique ([[Art ottonien|livres enluminés]]) et [[Architecture ottonienne|architectural]] notable. Plus limité que la [[renaissance carolingienne]] qui la précède, et indissociable de cette dernière, le renouveau ottonien conclut également le long essor de l'enseignement au Moyen Âge, du {{s|VI}} au {{s|XI}}, avant l'épanouissement culturel de la [[Renaissance du XIIe siècle|renaissance du XII{{e}} siècle]].
[[Image:Liuthar-Evangeliar.jpg|300px|right|thumb|[[Otton III du Saint-Empire|Otton III]], [[évangéliaire de Liuthar]] (folio 16r), [[Monastère de Reichenau|Reichenau]], fin {{s|X}}.]]
==Historiographie==
{{Article général|renaissances médiévales}}
C'est l'historien allemand [[Hans Naumann]] qui le premier utilise le concept de « [[Renaissance (historiographie)|renaissance]] » pour caractériser la période ottonienne. Plus exactement, son ouvrage publié en [[1927]]<ref>Il est intéressant de noter que cette utilisation survient seulement deux ans après celle d'Erna Patzelt pour la renaissance carolingienne (''Die Karolingische Renaissance: Beiträge zur Geschichte der Kultur des frühen Mittelalters'', Vienne, 1924), et l'année même où [[Charles H. Haskins]] publie ''The Renaissance of the Twelfth Century'' (Cambridge Mass., 1927)</ref> regroupe sous ce terme les périodes carolingienne et ottonienne sous le titre ''Karolingische und ottonische Renaissance'' (''La renaissance carolingienne et ottonienne'')<ref>Francfort-sur-le-Main, 1927</ref>.
Cette « renaissance ottonienne » est également évoquée sous le nom de « renaissance du X{{e}} siècle<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.390</ref> » pour en considérer les manifestations hors de [[Royaume de Germanie|Germanie]], ou de « renouveau de l'an mille »<ref>Riché & Verger, p.68</ref>, puisqu'elle mord sur le {{s|XI}}. Elle est en tout état de cause plus limitée que le renouveau carolingien, et constitue surtout la prolongation de ce dernier; Ce qui pousse par exemple [[Pierre Riché]] à préférer l'évocation d'une « Troisième renaissance carolingienne » couvrant le {{Xe siècle}} et débordant sur le {{XIe siècle}}, les deux premières étant intervenues lors du règne de [[Charlemagne]] proprement dit, et sous ses successeurs<ref name=rv59>Riché & Verger, chapitre IV, « La Troisième renaissance caroligienne », p.59 ''sqq.''</ref>.
[[Image:Meister des Registrum Gregorii 001.jpg|270px|left|thumb|[[Otton II du Saint-Empire|Otton II]], ''[[Registrum Gregorii]]'', [[Trèves (Allemagne)|Trèves]], vers [[985]].]]
==Préalables==
===L'héritage carolingien===
====Suites de la renaissance carolingienne====
Le renouveau du X{{e}} siècle ne peut être considéré indépendamment de la renaissance carolingienne. Grâce à [[Charlemagne]] et à ses successeurs (particulièrement [[Louis le Pieux]] et [[Charles le Chauve]]), l'[[Occident chrétien]] connaît en effet une période exceptionnelle de renouveau culturel de la fin du {{s|VIII}} à la fin du {{s|IX}}. Ce renouveau se manifeste d'abord dans le monde des écoles, grâce à une législation scolaire ambitieuse dès l'''[[Admonitio generalis]]'' de [[789]] et à un réseau dense de foyers d'études<ref>Pour une étude approfondie de la carte scolaire, voir Riché, ''Écoles et enseignement'' et Riché & Verger, p.38-43</ref>. L'autre manifestation majeure du renouveau carolingien est la culture de cour, fort vivace à [[Palais d'Aix-la-Chapelle|Aix-la-Chapelle]] où certains évoquent une « [[Académie palatine]] », mais aussi auprès de divers princes et évêques soucieux de s'attirer de lettrés compétents<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.363</ref>.
La richesse de ce mouvement est illustrée par le legs intellectuel de ses nombreux acteurs, dont quelques uns sont à retenir particulièrement. [[Alcuin]], écolâtre d'[[York]] dont Charlemagne s'attache les services en [[781]] après l'avoir rencontré à [[Parme]], et qui devient le principal inspirateur de la politique scolaire impériale, en même temps qu'un auteur prolifique de traités sur les [[arts libéraux]] qu'il remet à l'honneur, notamment dans le cadre de son abbatiat de [[Abbaye Saint-Martin de Tours|Saint-Martin de Tours]] à partir de [[796]]<ref>René Aigrain, Marie-Hélène Jullien, article « Alcuin » du ''Dictionnaire des Lettres françaises'', p.43</ref>. [[Raban Maur]], abbé de [[Abbaye de Fulda|Fulda]] où se situe le principal foyer scolaire de [[Royaume de Germanie|Germanie]], proche de Louis le Pieux puis de [[Lothaire Ier|Lothaire I{{er}}]], qui laisse à son tour de nombreux écrits sur les [[arts libéraux]] et la [[théologie]]<ref>Michel Banniard, article « Raban Maur » du ''Dictionnaire des lettres françaises'', p.1219</ref>. Ou encore [[Jean Scot Érigène]], artisan de la vie intellectuelle dans la [[Francie occidentale|Francie]] de Charles le Chauve, dont l'œuvre théologique novatrice (marqué par l'influence de la [[théologie négative]] du [[Pseudo-Denys]] et le renouveau de la [[dialectique]]) aura une influence sur plusieurs siècles<ref>René Roques, article « Jean Scot Érigène » du ''Dictionnaire des lettres françaises'', p.851</ref>.
{{Article détaillé|renaissance carolingienne}}
On ne remarque pas de rupture majeure qui marquerait la fin du renouveau carolingien. Le développement culturel de l'Occident chrétien est en effet peu affecté par le [[Traité de Verdun|partage de Verdun]] de [[843]] et les [[Viking|invasions vikings]] : la partition de l'Empire n'a finalement que peu de conséquences sur la vie scolaire et intellectuelle<ref>Riché & Verger, p.38</ref>. Tout au plus peut-on constater un simple ralentissement du développement des écoles<ref>Rouche, p.232</ref>, mais la renaissance ottonienne se situe sans conteste dans la lignée de l'œuvre culturelle des [[Carolingiens]].
====Le royaume de Germanie, les Ottoniens et la ''renovatio imperii''====
Lorsqu'en [[936]] [[Otton Ier du Saint-Empire|Otton I{{er}}]] se fait sacrer à [[Aix-la-Chapelle]], il indique clairement qu'il se considère comme le successeur de [[Charlemagne]]<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.281</ref>. Le retour à la tradition carolingienne constitue de fait le principal objectif d'Otton, qui aboutit le [[2 février]] [[962]] par son couronnement impérial à [[Rome]], par [[Jean XII]]. Sans titulaire depuis la mort de [[Bérenger Ier de Frioul|Bérenger I{{er}} d'Italie]] en [[924]], la couronne impériale renforce le prestige dû aux conquêtes d'Otton à l'est de la [[Royaume de Germanie|Germanie]] et en [[Italie]]. Le rêve de la restauration de l'Empire (''[[renovatio imperii]]'') est ranimé par Otton qui prend le titre d' ''Imperator Augustus'', et par ses successeurs [[Otton II du Saint-Empire|Otton II]] (qui préfère le titre d' ''Imperator Romanorum'') et [[Otton III du Saint-Empire|Otton III]].
{{Article détaillé|royaume de Germanie|Ottoniens}}
La restauration impériale n'est pas seulement une réalisation politique, mais également culturelle et religieuse. Les lettrés protégés par les ottoniens ne manquent pas de glorifier le programme de la ''renovatio imperii''<ref name=ottocul>Voir [[#Les Ottoniens et la culture|infra]]</ref>. Otton I{{er}}, sacré à Aix et couronné à Rome, est investi d'une mission religieuse : la protection de l'Église romaine, l'entente entre les chrétiens, la lutte contre les barbares, et l'extension de la [[chrétienté]]<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.298</ref>. Cette mission demeure celle de ses successeurs, à la source de ce que l'historiographie désigne sous le nom de [[Saint-Empire romain germanique]].
===Les moyens du renouveau===
====Réorganisation des bibliothèques====
Les bibliothèques créées et enrichies pendant la [[renaissance carolingienne]] grâce à l'intense activité des ''[[Scriptorium|scriptoria]]'' sont l'objet de nouveaux développements au {{s|X}}, comme en témoignent les catalogues qui nous sont parvenus. Le catalogue de [[Abbaye de Bobbio|Bobbio]] recense près de 600 œuvres, celui de [[Abbaye de Fleury|Fleury]] presque autant<ref name=rv61>Riché & Verger, p.61</ref>. [[Gerbert d'Aurillac|Gerbert]] joue un rôle important dans les acquisitions et l'inventaire de la bibliothèque de Bobbio<ref>François Picavet, ''Gerbert, un pape philosophe, d'après l'histoire et d'après la légende'', Paris, 1897, p.85-86, à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k92278s Gallica]</ref>, et consacre sa fortune à se constituer une honorable collection personnelle<ref>Picavet, ''Op. cit.'', p.119 ''sqq.'', à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k92278s Gallica]</ref>. D'autres lettrés du temps possèdent des bibliothèques fournies, comme [[Adson de Montier-en-Der]] qui fait établir la liste de ses livres avant de partir pour la [[Terre Sainte]] où il mourut en [[992]] :
{{citation bloc|Liste des livres du seigneur abbé Adson que nous avons trouvé dans son coffre après son départ pour Jérusalem.<br/>« 1. ''Isagoge'' de [[Porphyre]], 2. ''Catégories'' d'[[Aristote]], 3. ''Catégories'' de [[saint Augustin]], 4. Un livre des dix ''Catégories'', sans auteur, 5. La Rhétorique de Tullius <nowiki>[</nowiki>le ''De Inventione'' de [[Cicéron]]<nowiki>]</nowiki>, 6. Commentaire de Servius sur [[Virgile]], 7. et 8. deux livres de [[Térence]], 9. Un [[Sedulius]], 10. Livre d'[[Ambroise de Milan|Ambroise]] sur les Sacrements, 11. Vie de [[saint Jean l'Aumônier]], 12. Commentaire de Moridach sur [[Donat]], 13. Un petit livre qui contient tous les titres de Térence, 14. Exposition sur les dix ''Églogues'' de Virgile et les ''Géorgiques'', 15. Un [[Eutychius]], 16. Un petit livre appelé ''Martinellus'', 17. Un glossaire alphabétique, 18. Un glossaire tiré des ''Noces de Philologue'' de [[Martianus Capella|Martianus]], 19. Le ''De Metrica ratione'' de [[Bède]], 20. Histoire d'un certain [[Fréculf de Lisieux]], 21. Déclinaisons, 22. Expositions d'Haymon sur l'Épitre de Paul aux Romains, 23. Extraits des livres de Pompeius Festus.<ref>Éd. Gustav Becker, ''Catalogi bibliothecarum Antiqui'', Bonn, 1885, p.126-127, cité et trad. in Riché & Verger, p.61-62</ref>}}
[[Image:Codex Aug perg 205 72r Gesta Witigowonis Widmungsbild.jpg|330px|right|thumb|L'abbé de [[Monastère de Reichenau|Reichenau]] [[Witigowo]] ([[985]]-[[997]]), ici représenté, permet à l'abbaye de retrouver son rang dans la production de manuscrits de luxe. Purchard, ''Vie de Witigowo'', Reichenau, folio 72r.]]
====Multiplication des échanges====
Grâce à deux siècles de relative stabilité politique, les moyens de communication sont facilités en comparaison avec les siècles antérieurs : les déplacements sont plus aisés, et les influences extérieures à l'Occident se font par conséquent de mieux en mieux sentir. Des influences [[Empire byzantin|gréco-byzantines]], comme en témoigne le mariage d'[[Otton II du Saint-Empire|Otton II]] avec [[Théophano Skleraina|Théophano]] en [[972]]. Des influences arabes, essentiellement via l'[[Espagne]] musulmane. Les contacts avec le [[comté de Barcelone]] notamment jouent un rôle essentiel : les lettrés affluent à la cour de [[Borrell II]] (qui compte notamment le jeune Gerbert de [[967]] à [[970]]), à [[Monastère de Ripoll|Ripoll]] ou à [[Vich (Espagne)|Vich]]<ref>Picavet, ''Op. cit.'', p.30-38, à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k92278s Gallica]</ref>.
Enfin, des influences juives existent aussi, la diaspora comptant des membres éminents comme [[Rabbenou Guershom|Guershom]], « lumière de l'exil » (''Meor haGola''), qui enseigne à [[Mayence]] puis à [[Metz]] et dont l'influence permettra l'émergence de figures comme [[Rachi]].
==Les foyers d'études en Occident==
La carte des principaux centres scolaires monastiques et [[évêché|épiscopaux]] d'Occident évolue assez peu entre la fin du {{s|IX}} et le début du {{s|XI}}. Les principaux foyers restent les mêmes, bien que certains centres émergent, notamment dans des régions à l'activité culturelle croissante ([[Royaume de Germanie|Germanie]], [[Comté de Barcelone|Catalogne]])<ref>Pour la géographie des écoles en Occident, voir Riché & Verger, p.62-66 et 68-73 et Pierre Riché, ''Écoles et enseignement dans le Haut Moyen Âge (fin du V{{e}} siècle - milieu du XI{{e}} siècle)'', 3{{e}} éd., Paris, Picard, 1999</ref>.
===La Germanie===
Au sud de la Germanie (redevenue [[Saint-Empire romain germanique|Empire]] à partir de [[962]]), l'école de [[Abbaye de Saint-Gall|Saint-Gall]] demeure un centre incontournable grâce à des maîtres remarquables : [[Ekkehard Ier|Ekkehard I{{er}}]], auteur d'une épopée de Waltarius ; [[Notker le Physicien]] ; [[Ekkehard II]] ; puis deux disciples brillants de ce dernier, Burchard, abbé de Saint-Gall entre [[1003]] et [[1022]], et [[Notker Labeo]], qui fait surtout œuvre de traducteur des classiques en [[allemand]]. [[Ekkehard IV]] lui succède, dont l'œuvre principale, le ''Casus Sancti Galli''<ref>Éd. Hans F. Haefele, Darmstadt, « Ausgewählte Quellen », 1980</ref>, récapitule l'histoire des maîtres de Saint-Gall depuis la fin du {{s|IX}}. L'école décline par dans la moitié du {{s|XI}} en raison d'une réforme de l'abbaye<ref name=rv69/>. [[Monastère de Reichenau|Reichenau]] connaît un sort plus instable, avec un certain déclin, avant que l'abbatiat de [[Witigowo]] (surnommé « ''Abbas Aureus'' »), entre [[985]] et [[997]], ne permette à l'abbaye de retrouver sa grande réputation, notamment par la production de manuscrits de luxe sous [[Otton III du Saint-Empire|Otton III]] et [[Henri II du Saint-Empire|Henri II]]. Puis l'abbé [[Bernon de Reichenau|Bernon]] ([[1008]]-[[1048]]), élève d'Abbon, compte parmi ses disciples [[Hermann le Contrefait]], l'un des savants les plus complets de son temps, dont les traités sur l'[[astrolabe]], le calcul et la musique sont célèbres. L'abbaye ne compte plus de savants après sa mort en [[1054]]<ref name=rv70>Riché & Verger, p.70</ref>.
En [[Duché de Bavière|Bavière]], [[Abbaye de Tegernsee|Tegernsee]], dont la bibliothèque est enrichie par l'abbé Gozpert, accueille notamment le poète et traducteur Fromond de Tegernsee. Plus au nord, [[Abbaye Saint-Emmeran|Ratisbonne]], sous l'abbé Ramwold ([[975]]-[[1001]]), comprend une école dirigée par le moine Hartwich (formé à [[Chartres]]) dont l'enseignement est axé autour des [[arts libéraux]], et un ''[[scriptorium]]'' produisant des manuscrits de luxe.
En [[Duché de Saxe|Saxe]], Otric (connu pour sa controverse avec Gerbert en [[980]], à [[Ravenne]], sur la classification des connaissances<ref name=richer1>La dispute de Gerbert et d'Otric, en présence d'[[Otton II du Saint-Empire|Otton II]], sur la classification des connaissances est connue par le long récit qu'en fait [[Richer de Reims|Richer]] dans son ''Histoire'', III, 55-65 (éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0900-1000,_Richerus_Remenses,_Historiarum_Libri_Quatuor,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia] ; éd. et trad. A.-M. Poinsignon, à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k361020 Gallica])</ref>) enseigne à l'école épiscopale de [[Magdebourg]]. L'école épiscopale d'[[Hildesheim]] est florissante sous [[Bernard d'Hildesheim|Bernward]], connu pour ses travaux<ref>Voir [[#Des protecteurs rares|infra]]</ref> et futur précepteur d'[[Otton III du Saint-Empire|Otton III]]. Au {{s|XI}}, Hildesheim reste une école active, tandis que se développent plus au sud les écoles de [[Bamberg]] (nouvel évêché créé par [[Henri II du Saint-Empire|Henri II]] et doté dès l'origine d'une riche bibliothèque issue de la bibliothèque impériale<ref name=ottocul/>) et de [[Worms (ville)|Worms]] (rivale de [[Wurtzbourg]])<ref name=rv70/>.
La [[Lotharingie]] demeure riche en centres d'études monastiques et épiscopaux. [[Abbaye d'Echternach|Echternach]] est connu pour sa bibliothèque. [[Cologne]] devient un centre d'études grâce à [[Brunon de Cologne|Brunon]] : son école forme les évêques [[Thierry Ier de Metz|Thierry de Metz]], [[Wigfrid de Verdun]] et [[Gérard de Toul]]<ref name=rich387>Riché, ''Les Carolingiens'', p.387</ref>. [[Liège]] (évêché de la province de Cologne), dont l'école est déjà active sous [[Étienne de Liège|Étienne]] ([[901]]-[[920]]), [[Rathier]] ([[953]]-[[955]]) et [[Éracle]] ([[959]]-[[971]])<ref name=rich387/> devient « l'Athènes du Nord » sous [[Notger de Liège|Notger]] ([[972]]-[[1008]]). Celui-ci veille également à l'[[abbaye de Lobbes]] (comme Éracle qui en était aussi l'abbé), et en confie la direction à ses amis Folcuin, puis [[Hériger de Lobbes|Hériger]], poète, hagiographe, théologien, homme de sciences, et ami de Gerbert. L'écolâtre [[Egbert de Liège|Egbert]], formé par Notger, compose un manuel intitulé ''Fecunda ratis'' (le « navire rempli »), recueil de poèmes religieux et moraux, de proverbes, et de fables dont celle du [[Le Petit Chaperon rouge|petit Chaperon rouge]]. Des élèves de [[Fulbert de Chartres]] s'installent à Liège au début du {{s|XI}}, notamment [[Adelman de Liège|Adelman]] qui chante dans un poème la cité {{citation|nourrice des arts supérieurs<ref>''De Viris Illustribus Sui Temporis'', éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 143, col.1297, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/1050-1062,_Adelmannus_Brixiensis_Episcopus,_De_Viris_Illustribus_Sui_Temporis,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia] : ''Legia magnarum quondam artium nutricula...''</ref>}}. [[Wazon]] y est l'écolâtre avant de devenir évêque en [[1042]], son successeur est Adelman, puis [[Francon de Liège|Francon]], auteur d'un célèbre traité sur la quadrature du cercle<ref>Éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 143, col.1373-1376, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/30_10_1065-1065-_Franco_Leodiensis_Scholasticus.html Documenta Catholica Omnia]</ref>.
===La France===
En [[Francie occidentale|France]], trois écoles dominent, chacune liée à un maître reconnu : Fleury, Reims et Chartres. [[Abbaye de Fleury|Fleury]] gagne en notoriété grâce à [[Abbon de Fleury|Abbon]], écolâtre à partir de [[965]], puis abbé en [[988]] après un bref séjour à [[Abbaye de Ramsey|Ramsey]], en [[Angleterre]]<ref>Sur Abbon, voir [[#Abbon de Fleury|infra]]</ref>. À ce dernier succède l'abbé [[Gauzlin de Fleury|Gauzlin]] dont la vie nous est connu grâce à une biographie de son disciple [[André de Fleury]]<ref>''Vita Gauzlini abbatis Floriacensis monasterii'', éd. Paul Ewald in ''Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde'', 3, Hanovre, 1878, p.351 ; éd. et trad. Robert-Henri Bautier et Gillette Labory, Paris, CNRS éditions, 1969</ref>, slon qui {{citation|le sol de Fleury n'était rien d'autre que le torrent des arts libéraux et le ''gymnasium'' de l'école du Seigneur<ref>Cité par Riché in Riché & Verger, p.68</ref>.}} [[Reims]] doit sa réputation à [[Gerbert d'Aurillac|Gerbert]], qui y enseigne à partir de [[972]] avant de devenir archevêque de [[991]] à [[997]]<ref>Sur Gerbert, voir [[#Gerbert d'Aurillac|infra]]</ref>. [[Chartres]] enfin est reconnu grâce à [[Fulbert de Chartres|Fulbert]], écolâtre vers [[1004]] puis évêque en [[1007]], par ailleurs conseiller réputé d'[[Hugues Capet]] puis de [[Robert II de France|Robert II]]. Il laisse une riche correspondance, des sermons et des poèmes<ref>Éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 141, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/30_10_1016-1029-_Fulbertus_Carnotensis_Episcopus.html Documenta Catholica Omnia] ; éd. Frederick Behrends, Oxford Medieval Texts, 1976</ref>. On compte parmi ses élèves [[Bérenger de Tours]], [[Hartwic de Saint-Emmeran]] et [[Adelman de Liège]], qui se souvient de lui comme d'un « vénérable Socrate » à la tête de « l'Académie de Chartres »<ref>''De eucharistiae sacramento ad Berengarium epistola'', éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 143, col.1289, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/1050-1062,_Adelmannus_Brixiensis_Episcopus,_De_Eucharistiae_Sacramento_Ad_Berengarium_Epistola,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia] : ''(...) in academia Carnotensi sub nostro illo
venerabili Socrate iucundissime duxi (...)''</ref>.
On peut également citer [[Abbaye Saint-Martial de Limoges|Saint-Martial de Limoges]], abbaye liée à Fleury, où s'illustre [[Adémar de Chabannes]] (auteur de poèmes et sermons, historien et même illustrateur de ses propres ouvrages) ; le [[Abbaye du Mont-Saint-Michel|Mont-Saint-Michel]] au ''[[scriptorium]]'' actif ; [[Abbaye de la Trinité de Fécamp|Fécamp]] où l'abbé [[Jean de Fécamp|Jean]] compose son œuvre théologique méditative à l'influence durable<ref>Marie-Henriette de Pomerol, article « Jean de Fécamp » du ''Dictionnaire des lettres françaises'' ; œuvres : éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 147, col.443-480, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/30_10_1028-1079-_Joannes_Fiscamnensis_Abbas.html Documenta Catholica Omnia].</ref> ; [[Abbaye de Saint-Riquier|Saint-Riquier]] dont l'abbé Angilram (✝1045), disciple de Fulbert, connaît la grammaire, la musique et la dialectique<ref name=rv69>Riché & Verger, p.69</ref> ; ou encore [[Abbaye Saint-Bertin|Saint-Bertin]] qui échange manuscrits et maîtres avec les écoles anglaises<ref name=rv69/>.
[[Image:Ecoles XIe s.gif|350px|left|thumb|Les foyers d'études en Occident au milieu du {{s|XI}}.]]
===L'Angleterre===
En Angleterre, les écoles sont réorganisées par trois évêques : [[Dunstan]], archevêque de [[Cantorbéry]] ([[960]]-[[988]]), [[Æthelwold de Winchester|Æthelwold]], évêque de [[Winchester (Angleterre)|Winchester]] ([[963]]-[[984]]) et [[Oswald de Worcester|Oswald]], archevêque d'[[York]] ([[972]]-[[992]]). Les maîtres les plus réputés au début du {{s|XI}} sont [[Ælfric d'Eynsham]] et son disciple [[Ælfric Bata]], auteurs de manuels de conversation latine sous forme de dialogues, et [[Byrtferth de Ramsey|Byrtferth]], élève d'Abbon lors de son séjour à Ramsey, et auteur d'un manuel en [[latin]] et en [[anglo-saxon]].
===Les régions méditerranéennes===
L'activité scolaire est moins intense près de la [[Méditerranée]]. En [[Catalogne]], stimulée par les influences arabes, des lettrés et savants - dont [[Gerbert d'Aurillac|Gerbert]] - sont formés à [[Barcelone]], [[Vich (Espagne)|Vich]] et [[Monastère de Ripoll|Ripoll]]. Ce dernier monastère est la plus grande école d'Espagne, notamment au {{s|XI}} sous [[Oliva de Besalù|Oliva]], qui en est abbé avant de devenir évêque de Vich.
En [[Italie]], les écoles sont peu actives jusqu'au début du {{s|XI}}. L'abbatiat de Gerbert à [[Abbaye de Bobbio|Bobbio]] ([[983]]-[[984]]) est trop bref et troublé par les problèmes administratifs pour qu'il donne lieu à un enseignement fructueux<ref>Picavet, ''Op. cit.'', p.49 ''sqq.'', à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k92278s Gallica]</ref>. Les écoles urbaines se développent cependant dès les alentours de l'an mille. À [[Parme]], où sont éduqués le prolifique [[Pierre Damien]] et [[Anselme de Besate]], auteur d'une ''Rhetorimachia''<ref>Éd. Karl Manitius, Hanovre, Hermann Bohlaus Nachfolger, 1958</ref> qui rejoint ensuite l'Allemagne. [[Lanfranc]] est lui formé dans sa ville natale et capitale du royaume, [[Pavie]], où il apprend les arts libéraux et le droit avant de devenir un maître remarquable en [[Normandie]]. Des écoles vivent également à [[Novare]], à [[Vérone]], à [[Crémone]]<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.389</ref>.
Plus au sud, les écoles renaissent à [[Arezzo]] sous l'évêque Théodald, qui accueille vers [[1030]] le fameux musicien [[Gui d'Arezzo]], surtout connu pour sa « [[solmisation]] » et l'invention de la « [[main harmonique]] ». Les écoles renaissent aussi sous l'influence des ducs de [[Naples]], de [[Capoue]], de [[Salerne]] où s'illustre l'évêque [[Alphane de Salerne|Alphane]], poète, imitateur des auteurs antiques, également intéressé par la musique, l'astronomie et la médecine<ref>Riché & Verger, p.71 ; pour les œuvres d'Alphane, éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 147, col.1213-1282, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/30_10_1058-1085-_Alphanus_Salernitanus_Archiepiscopus.html Documenta Catholica Omnia]</ref>. Ce dernier est formé au [[Abbaye du Mont-Cassin|Mont-Cassin]], qui retrouve son prestige sous l'abbé Théobald (✝[[1035]]), avec des figures comme Laurent, futur évêque d'[[Amalfi]] (à partir de [[1030]]), auteur en tant que moine d'un florilège d'œuvres poétiques païennes et chrétiennes comprenant aussi des textes de [[Boèce]] et des œuvres scientifiques, destiné aux écoliers<ref>Riché & Verger, p.71</ref>.
L'Italie forme d'autres noms encore : Yves le Rhéteur, le philosophe et dialecticien Drogon, ou encore le grammairien Papias, dont le glossaire connaît un rapide succès en Occident<ref>''Papias Vocabulista'', éd. Philippus de Pincis, Venise, 1496, à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k594399 Gallica]</ref>.
==Le contenu de l'enseignement==
===L'enseignement selon Abbon et Gerbert===
Selon les mots de [[Pierre Riché]], {{citation|deux noms symbolisent le mieux cette renaissance, ceux d'[[Abbon de Fleury|Abbon]], abbé de [[Abbaye de Fleury|Fleury]], et de [[Gerbert d'Aurillac|Gerbert]], écolâtre de [[Reims]], plus tard pape de l'an mille<ref name=rv59>Riché & Verger, p.59</ref>.}} Presque exacts contemporains, tous deux nés vers [[940]], morts en [[1003]] pour Gerbert et en [[1004]] pour Abbon, ils sont tous deux {{citation|des savants exceptionnels qui laissèrent des œuvres importantes et formèrent de nombreux disciples<ref name=rv59/>.}}
====Abbon de Fleury====
Né à [[Orléans]], Abbon est présenté très jeune (avant [[950]]) par ses parents à l'[[abbaye de Fleury]] (Saint-Benoît-sur-Loire)<ref>Sur Abbon de Fleury, voir Aflred Cordiolani et Gillette Tyl-Labory, « Abbon de Fleury », ''Dictionnaire des lettres françaises'', p.1-2 ; Patrice Cousin, ''Abbon de Fleury-sur-Loire, un savant, un pasteur, un martyr à la fin du X{{e}} siècle'', Paris, 1954 ; Marco Mostert, ''The political theology of Abbo of Fleury'', Hilversum, Verloren, 1987 ; Pierre Riché, ''Abbon de Fleury : Un moine savant et combatif (vers 950-1004)'', Turnhout, Brepols, 2004.</ref>. Il séjourne à [[Paris]] et à [[Reims]] pour parachever son apprentissage, et revient à Fleury comme écolâtre, vers [[965]]. Il séjourne au monastère anglais de [[Abbaye de Ramsey|Ramsey]] entre [[985]] et [[987]], mais revient à Fleury pour en devenir l'abbé en [[988]]. Engagé pour la défense des droits de son monastère et contre les abus ([[simonie]], possession de biens ecclésiastique par des laïcs), il est le conseiller de [[Robert Ier de France|Robert I{{er}}]] et mène pour ce dernier deux ambassades à [[Rome]], en [[995]] et en [[997]]. Il obtient à l'occasion de celles-ci un privilège pour son abbaye. En [[1004]], alors qu'il se rend au [[monastère de La Réole]], pour inspecter cette dépendance [[Gascogne|gasconne]] de Fleury, il y est assassiné par les moines révoltés. La vie d'Abbon nous est notamment connue grâce à sa biographie rédigée par son disciple [[Aimoin de Fleury|Aimoin]]<ref>Éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/1815-1875,_Migne,_PL_Volumen_139_Rerum_Conspectus_Pro_Columnis_Ordinatus,_MLT.html Documenta Catholica Omnia]</ref>.
{{Article détaillé|Abbon de Fleury}}
L'enseignement d'Abbon de Fleury nous est notamment connu grâce aux œuvres pédagogiques qu'il a laissées, en particulier ses ''Quaestiones grammaticales'', recueil de réponses à des questions grammaticales posées par ses élèves à Ramsey<ref>Éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col.521-534, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0945-1004,_Abbo_Floriacensis_Abbas,_Quaestiones_Grammaticales,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]</ref>, et des traités sur la dialectique et les sciences traduisant un intérêt novateur pour ces disciplines<ref>Voir [[#Les nouveautés : la dialectique et les sciences|infra]]</ref>. Aimoin rappelle ainsi l'œuvre de maître d'Abbon :
[[Image:Tract by Abbo of Fleury.jpg|300px|right|thumb|Représentation stylisée d'[[Abbon de Fleury|Abbon]] dans un manuscrit des ''Catégories'' d'[[Aristote]] et du ''De syllogismis hypotheticis'' d'Abbon ([[Abbaye de Fleury|Fleury]], vers 962-986, folio 62).]]
{{citation_bloc|Comme il atteignait le sommet de la science, on lui demanda d'en faire bénéficier les autres et il eut la charge d'écolâtre.<br/>
« Il apprit aux élèves pendant plusieurs années la lecture et le chant avec tant de soin qu'il se réjouissait ouvertement que les sommes qui lui avaient été créditées augmentaient ses gains. Désirant percer les autres secrets de la science et fréquenter les différentes officines de la sagesse, ayant déjà été initié à la grammaire, l'arithmétique et la dialectique, il voulut ajouter la connaissance des autres arts. C'est pourquoi il se rendit aux écoles de Paris et de Reims pour entendre les philosophes qui y enseignaient. Il étudia quelque temps près d'eux mais il n'y réussit pas autant qu'il aurait souhaité.<br./>
« De retour à Orléans, il se mit en relation avec un clerc qui fort secrètement, à cause des envieux et non sans une grosse somme d'argent, l'initia à la douceur de l'art musical. Dès lors, possédant ceux des arts que l'on nomme libéraux, il dépasse tous ses contemporains par la science. Restaient la rhétorique et la géométrie, qu'il ne posséda jamais parfaitement comme il l'aurait voulu, mais auxquelles il ne demeura pas complètement étranger. En effet, au sujet de la fécondité de la rhétorique, il avait lu [les écrits de] [[Victorius d'Aquitaine|Victorinus]], que Jérôme, le traducteur de la Loi divine, se glorifie d'avoir eu pour précepteur. Et sa connaissance des multiples calculs géométriques était loin d'être médiocre, de sorte qu'après qu'il eût saisi activement toutes ces choses avec la vivacité de son intelligence, leurs ouvrages lui étaient accessibles.
<ref>''Vita Abbonis'', III, éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col. 390, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/1815-1875,_Migne,_PL_Volumen_139_Rerum_Conspectus_Pro_Columnis_Ordinatus,_MLT.html Documenta Catholica Omnia] : ''Cap. III'' Magister scholarum Floriaci. Academias lustrat. Scripta edit. ''Cum vero jam ad tantae praefecisset fastigium scientiae, ut aliis quoque percepti talenti valeret donativum erogare, imbuendis praeficitur scholasticis; quos ille, per aliquot annorum curricula, lectione simul et cantilena cum tanta erudivit cura, ut palam se gaudere monstraret quod pecuniae sibi creditae lucra augmentare valeret. Verum ipse, adhuc majora gliscens scientiae scrutari arcana, diversorum adiit sapientiae officinas locorum, ut, quia grammaticae, arithmeticae, nec non dilecticae jam ad plenum indaginem attigerat, caeteras ingenio suo pergeret superadjicere artes. Quapropter Parisius atque Remis ad eos qui philosophiam profitebantur profectus, aliquantulum quidem in astronomia, sed non quantum cupierat, apud eos profecit. Inde Aurelianis regressus, musicae artis dulcedinem, quamvis occulte, propter invidos, a quodam clerico non paucis redemit nummis. Itaque quinque ex his quas liberales vocant, plenissime imbutus artibus, sapientiae magnitudine cunctos praeibat coaetaneos. Supererant rhetorica, necnon geometria, quarum plenitudinem etsi non ut voluit attigit, nequaquam tamen jejunus ab eis funditus remansit. Nam et de rhetoricae ubertate facundiae Victorinum, quem divinae intepres legis Hieronymus praeceptorem se habuisse gloriatur, legit: et geometricorum multiplicitatem numerorum non mediocriter agnovit. Sic demum, vivaci mentis ingenio haec universa strenue assecuto, facilis erat eorum operatio.'' ; trad. WP avec Pierre Riché in Riché & Verger, p.60</ref>}}
====Gerbert d'Aurillac====
[[Auvergne|Auvergnat]] issu d'un milieu modeste, Gerbert entre comme [[oblat]] au monastère [[Abbaye d'Aurillac|Saint-Géraud d'Aurillac]] avant de rejoindre la [[Catalogne]] entre [[967]] et [[969]]. En [[970]], il séjourne à [[Rome]] où il rencontre [[Otton Ier du Saint-Empire|Otton I{{er}}]]. Il devient en [[972]] écolâtre de [[Reims]] sous l'archevêque [[Adalbéron de Reims|Adalbéron]]. Son enseignement fait bientôt de lui l'un des savants les plus réputés d'Occident<ref>Sur Gerbert, voir Riché, ''Gerbert d'Aurillac'' ; François Picavet, ''Gerbert, un pape philosophe, d'après l'histoire et d'après la légende'', Paris, 1897 ([http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k92278s Gallica]) ; ''Autour de Gerbert d'Aurillac, le pape de l'an mil'', Olivier Guyotjeannin, Emmanuel Poulle (dir.), École des chartes, Paris, 1996 ; ''Gerbert l'Européen'', Actes du colloque d'Aurillac (4-7 juin 1996), Nicole Charbonnel, Jean-Éric Iung (dir.), Aurillac, 1997</ref>.
À partir des années [[980]], le destin de Gerbert le rapproche progressivement des [[Ottoniens]]. Brièvement abbé de [[Abbaye de Bobbio|Bobbio]] grâce à [[Otton II du Saint-Empire|Otton II]], en [[983]], il revient à Reims avec l'ambition de succéder à Adalbéron. [[Hugues Capet]] (à l'élection duquel il contribue) lui préfère Arnoul (fils bâtard du roi [[Lothaire de France|Lothaire]]), mais ce dernier est déposé en [[991]] et Gerbert lui succède dans un certain désordre : le pape ne reconnaît pas son élection et Gerbert doit se réfugier en [[997]] auprès d'[[Otton III du Saint-Empire|Otton III]] qui, à 14 ans, profite de l'enseignement du maître. L'Empereur installe Gerbert au siège archiépiscopal de [[Ravenne]] en [[998]], et surtout sur le trône pontifical en [[999]], sous le nom de Sylvestre II. Symbolisant la mainmise impériale sur la papauté, Gerbert survit à Otton III, mort en [[1002]], mais disparaît l'année suivante.
{{Article détaillé|Gerbert d'Aurillac|Adalbéron de Reims}}
L'écolâtre de Reims doit en partie sa réputation au plus illustre de ses élèves, [[Richer de Reims|Richer]], qui lui réserve une large place dans son ''Histoire'' en quatre livres. Richer se souvient en ces termes de l'enseignement de base de Gerbert, marqué par une culture humaniste mêlant de nombreuses références classiques, mais aussi par un goût neuf pour la [[dialectique]]<ref>Voir [[#La dialectique|infra]]</ref> :
{{citation_bloc|''Comment il prépara ses élèves à l'étude de la rhétorique.''<br/>
Il lut aussi et expliqua avec fruit quatre livres sur les diverses espèces de raisonnement, deux sur les syllogismes catégoriques, trois sur les hypothétiques, un sur les définitions, et un sur les divisions. Après quoi il voulait faire passer ses élèves à la rhétorique ; mais il craignit que, sans la connaissance des formes de style particulières à la poésie, ils ne pussent atteindre à l'art oratoire. Il prit donc les poètes avec lesquels il jugeait bon de les familiariser, lut, commenta [[Virgile]], [[Stace]] et [[Térence]], les satyriques [[Juvénal]], [[Perse (poète)|Perse]] et [[Horace]], l'historiographe [[Lucain]] ; et, quand ses disciples furent faits à ces auteurs et à leur style, il les initia à la rhétorique.<br/>
''Pourquoi il leur donna un sophiste.''<br/>
La rhétorique terminée, il les confia à un sophiste, pour qu'il les exerçât à la controverse, et qu'ils apprissent à manier le raisonnement avec un art qui ôtât tout soupçon de l'art, ce qui semble être pour l'orateur le plus haut degré de perfection.<ref>Richer, ''Historiarum Libri Quatuor'', III, 47-48 (''[[Patrologie Latine]]'', 138, col.103, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0900-1000,_Richerus_Remenses,_Historiarum_Libri_Quatuor,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]) : ''47.'' Quid provehendis rhethoricis providerit. ''Necnon et quatuor de topicis differentiis libros, de sillogismis cathegoricis duos, de ypotheticis tres, diffinitionumque librum unum, divisionum aeque unum, utiliter legit et expressit. Post quorum laborem, cum ad rhetoricam suos provehere vellet, id sibi suspectum erat, quod sine locutionum modis, qui in poetis discendi sunt, ad oratoriam artem ante perveniri non queat. Poetas igitur adhibuit, quibus assuescendos arbitrabatur. Legit itaque ac docuit Maronem et Statium Terentiumque poetas, Juvenalem quoque ac Persium Horatiumque satiricos, Lucanum etiam historiographum. Quibus assuefactos, locutionumque modis compositos, ad rhetoricam transduxit. / 48.'' Cur eis sophistam adhibuerit. ''Qua instructis sophistam adhibuit; apud quem in controversiis exercerentur, ac sic ex arte agerent, ut praeter artem agere viderentur, quod oratoris maximum videtur. Sed haec de logica. In mathesi vero quantus sudor expensus sit, non incongruum dicere videtur. Arithmeticam enim quae est matheseos prima, inprimis dispositis accommodavit.'' ; trad. A.-M. Poinsignon (à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k361020 Gallica]).</ref>}}
===Les nouveautés : la dialectique et les sciences===
Le contenu de l'enseignement n'est donc pas fort différent de l'enseignement carolingien<ref>Voir article « Renaissance carolingienne », § « [[Renaissance carolingienne#Les programmes|Les programmes]] »</ref>. Deux évolutions le caractérisent néanmoins : l'enseignement du ''[[trivium]]'' laisse une place de plus en plus importante à la [[dialectique]], et le ''[[quadrivium]]'' fait l'objet d'un intérêt plus marqué.
====La dialectique====
Alors que jusqu'ici la ''[[logica vetus]]'' (constituée des traductions par [[Boèce]] d'[[Aristote]] et [[Porphyre]] et des ''Topiques'' de [[Cicéron]]) demeurait la base de l'enseignement dialectique<ref>Gerbert en use d'ailleurs toujours pour son enseignement, selon Richer : ''Historiarum Libri Quatuor'', III, 46 (''[[Patrologie Latine]]'', 138, col.102, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0900-1000,_Richerus_Remenses,_Historiarum_Libri_Quatuor,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]) ; trad. A.-M. Poinsignon (à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k361020 Gallica]).</ref>, la discipline est stimulée à la fin du {{s|X}} par la redécouverte d'écrits de Boèce grâce aux échanges avec l'[[Empire byzantin]] : les ''Syllogismes catégoriques'' et les ''Syllogismes hypothétiques'', qui s'ajoutent alors à ses ''Définitions'' et à ses ''Divisions''.
[[Gerbert d'Aurillac|Gerbert]] connaît ces livres<ref>Richer, ''Historiarum Libri Quatuor'', III, 47 (''[[Patrologie Latine]]'', 138, col.102-103, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0900-1000,_Richerus_Remenses,_Historiarum_Libri_Quatuor,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]) : ''Necnon et quatuor de topicis differentiis libros, de sillogismis cathegoricis duos, diffinitionumque librum unum, divisionum aeque unum, utiliter legit et expressit.'' ; trad. A.-M. Poinsignon (à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k361020 Gallica]) : ''Il lut aussi et expliqua avec fruit quatre livres sur les espèces de raisonnements, deux sur les syllogismes catégoriques, trois sur les hypothétiques, un sur les définitions, et un sur les divisions.''</ref>, et se fait remarquer par sa maîtrise de la dialectique lors de la dispute de [[Ravenne]] contre Otric, en [[980]]<ref name=richer1/>, et dans son traité ''De rationalis et ratione uti'' (''Du rationnel et de l'usage de la raison''), composé en [[997]] et dédié à [[Otton III du Saint-Empire|Otton III]]<ref name=gerbrat>Éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col.159-168, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/01p/0999-1003,_SS_Silvester_II,_De_Rationali_Et_Ratione_Uti,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]</ref>. [[Abbon de Fleury|Abbon]], de son côté, commente ces œuvres de Boèce à travers deux traités<ref name=abbondma>Michel Lemoine, article « Abbon de Fleury » du ''Dictionnaire du Moyen Âge'', p.1. Ces traités ont été publiés récemment : éd. A. van de Vyver, ''Abbonis Floriacensis opera inedita'', I, Bruges, 1966 ; éd. Franz Schupp, ''De syllogismis hypotheticis'', Leyde/New York/Cologne, 1997.</ref> appréciés de son élève [[Aimoin]], qui dit de son maître qu'{{citation|il a défait très clairement certains nœuds des syllogismes dialectiques (...)<ref name=aimoin1>''Vita Abbonis'', III, éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col 390, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/1815-1875,_Migne,_PL_Volumen_139_Rerum_Conspectus_Pro_Columnis_Ordinatus,_MLT.html Documenta Catholica Omnia] : ''Denique quosdam dialecticorum nodos syllogismorum enucleatissime enodavit, compotique varias et delectabiles, saecularium in morem tabularum, texuit calculationes. De solis quoque ac lunae seu planetarum cursu, a se editas disputationes scripto posterorum mandavit notitiae.''</ref>}}.
[[Fulbert de Chartres|Fulbert]] connaît les travaux d'Abbon, et plus encore de Gerbert<ref>On a d'ailleurs longtemps cru - à tort - qu'il en avait été l'élève</ref> : le manuscrit 100 de la bibliothèque municipale de Chartres, florilège d'œuvres de dialectique datant de Fulbert et probablement issu de sa bibliothèque, se présente en effet comme un florilège contenant l' ''Introduction'' de [[Porphyre]], les ''Catégories'' d'Aristote, la ''Distinction entre la rhétorique et la dialectique'' de Fulbert lui-même, les ''Topiques'' de Cicéron, le ''Peri Hermeneia'' d'Aristote, trois commentaires de Boèce et le ''De Ratione'' écrit par Gerbert en [[997]]<ref name=rv67>Riché & Verger, p.67</ref><ref>Rouche, p.242-243</ref>. Le maître chartrain développe également l'enseignement de la dialectique, de mieux en mieux maîtrisé au {{s|XI}} commençant, comme par l'abbé [[Maïeul de Cluny|Maïeul]] de [[Abbaye de Cluny|Cluny]]<ref name=rv67/>.
[[Image:Byrthferth enchiridion.jpg|300px|left|thumb|Représentation des mystères de l'univers dans l'''Enchiridion'' de [[Byrthferth de Ramsey|Byrthferth]] : le diagramme présente les points cardinaux, les quatre éléments, les saisons, les âges de la vie, et les signes du zodiaque. [[Angleterre]], vers [[1080]].]]
====Les sciences====
L'intérêt croissant pour les disciplines du ''[[quadrivium]]'' est une réalité que semblent traduire, là aussi, les enseignements des principaux érudits de leur temps.
L'enseignement scientifique d'[[Abbon de Fleury|Abbon]] est évoqué par [[Aimoin]] dans sa ''Vie d'Abbon'' : {{citation|(...) Il exposa des cycles à la manière de tables, des calculs du comput variés et plaisants. Il consigna également par écrit ses exposés sur les trajectoires du soleil, de la lune et des planètes, pour les léguer à la postérité<ref name=aimoin1/>.}} Précisément, Abbon laisse plusieurs traités d'[[astronomie]], un catalogue des étoiles et un commentaire du ''Calculus'' de [[Victorius d'Aquitaine]]<ref>Éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col.569-572, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0945-1004,_Abbo_Floriacensis_Abbas,_Praefatio_Commentarii_In_Cyclum_Victorii,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]</ref> qui lui permet d'établir un [[calendrier julien]] perpétuel. Il ignore cependant les innovations mathématiques d'origine arabe<ref name=abbondma/>.
L'enseignement de [[Gerbert d'Aurillac|Gerbert]] dans les disciplines scientifiques du ''quadrivium'' est mieux connu. [[Richer de Reims|Richer]] relate longuement les méthodes de Gerbert en matière d'arithmétique, de musique et surtout d'astronomie :
{{citation_bloc|Il commença par enseigner l'arithmétique (...), puis il travailla à répandre la connaissance de la musique (...) en disposant les différents genres sur le monocorde, en distinguant les consonances ou symphonies en tons et demi-tons, en [[diton]]s et en dièses, et en distribuant méthodiquement les sons en divers [[Mode (musique)|modes]].<br/>(...) Il ne sera pas non plus hors de propos de dire toute la peine qu'il prit à expliquer l'astronomie ; en admirant la sagacité d'un si grand homme, le lecteur sera à même d'apprécier les ressources de son génie. (...) Il figura d'abord le monde par une sphère en bois plein, qui, dans ses petites proportions, offrait l'image exacte de la nôtre. Il plaça la ligne des pôles dans une direction oblique par rapport à l'horizon, et plus près du pôle supérieur représenta les constellations du nord, près de l'inférieur celles du midi. Il détermina cette position au moyen du cercle, que les Grecs appellent ''horizon'', les Latins ''limitans'' ou ''determinans'', parce qu'il sépare ou limite les astres qu'on voit de ceux qui sont invisibles. Sa sphère ainsi placée sur l'horizon, de façon qu'il pût démontrer d'une manière pratique et convaincante le lever et le coucher des astres, il initia ses disciples au plan de l'Univers et leur apprit à reconnaître les constellations. Car il s'appliquait dans les belles nuits à étudier les étoiles et les faisait remarquer, tant à leur lever qu'à leur coucher, obliquant sur les diverses parties de la terre.<ref>Richer, ''Historiarum Libri Quatuor'', III, 49-50 (''[[Patrologie Latine]]'', 138, col.103, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0900-1000,_Richerus_Remenses,_Historiarum_Libri_Quatuor,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]) : ''49.'' Qui labor et in mathematicis impensus sit. ''Inde etiam musicam, multo ante Galliis ignotam, notissimam effecit. Cujus genera in monocordo disponens, eorum consonantias sive simphonias in tonis ac semitoniis, ditonis quoque ac diesibus distinguens, tonosque in sonis rationabiliter distribuens, in plenissimam notitiam redegit. / 50.'' Sperae solidae compositio. ''Ratio vero astronomiae quanto sudore collecta sit, dicere inutile non est, ut est tanti viri sagacitas advertatur, et artis efficacia lector commodissime capiatur. Quae cum pene intellectibilis sit, tamen non sine admiratione quibusdam instrumentis ad cognitionem adduxit. Inprimis enim mundi speram ex solido ac rotundo ligno argumentatus, minoris similitudine, majorem expressit. Quam cum duobus polis in orizonte obliquaret, signa septemtrionalia polo erectiori dedit, australia vero dejectiori adhibuit. Cujus positionem eo circulo rexit, qui a Graecis orizon, a Latinis limitans sive determinans appellatur, eo quod in eo signa quae videntur ab his quae non videntur distinguat ac limitet. Qua in orizonte sic collocata, ut et ortum et occasum signorum utiliter ac probabiliter demonstraret, rerum naturas dispositis insinuavit, instituitque in signorum comprehensione. Nam tempore nocturno ardentibus stellis operam dabat; agebatque ut eas in mundi regionibus diversis obliquatas, tam in ortu quam in occasu notarent'' ; trad. A.-M. Poinsignon (à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k361020 Gallica]).</ref>}}
Outre le [[monocorde]] pour la musique et la sphère terrestre, Gerbert construit d'autres sphères pour l'étude des planètes et des constellations<ref>Richer, ''Historiarum Libri Quatuor'', III, 52-53 (''[[Patrologie Latine]]'', 138, col.104-105, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0900-1000,_Richerus_Remenses,_Historiarum_Libri_Quatuor,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia])</ref>, ainsi qu'un [[Abaque (calcul)|abaque]], une table à calculer, pour l'enseignement du calcul et de la géométrie :
{{citation_bloc|Gerbert ne donna pas moins de soin à l'enseignement de la géométrie. Pour préparer les voies à l'étude de cette science, il fit construire par un armurier un abaque, c'est à dire une tablette, disposée pour le calcul ; cette tablette était divisée en vingt-sept colonnes longitudinales, où il plaça les neuf chiffres qui lui servaient à exprimer tous les nombres. En même temps il fit exécuter en corne mille caractères sembables, qui, disposés dans les vingt-sept compartiments de l'abaque, donnaient la multiplication et la division de toute sorte de nombres, et cela avec une telle rapidité que, eu égard à l'extrême étendue de ces nombres, il était plus facile de s'en faire une idée que de les exprimer. Celui qui voudra connaître à fond ce système de calcul, n'a qu'à lire l'ouvrage que Gerbert adresse au grammairien Constantin; il y trouvera la matière amplement et convenablement traitée.<ref>Richer, ''Historiarum Libri Quatuor'', III, 54 (''[[Patrologie Latine]]'', 138, col.105, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0900-1000,_Richerus_Remenses,_Historiarum_Libri_Quatuor,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]) : ''54.'' Confectio abaci. ''In geometria vero non minor in docendo labor expensus est. Cujus introductioni, abacum id est tabulam dimensionibus aptam opere scutarii effecit. Cujus longitudini, in 27 partibus diductae, novem numero notas omnem numerum significantes disposuit. Ad quarum etiam similitudinem, mille corneos effecit caracteres, qui per 27 abaci partes mutuati, cujusque numeri multiplicationem sive divisionem designarent; tanto compendio numerorum multitudinem dividentes vel multiplicantes, ut prae nimia numerositate potius intelligi quam verbis valerent ostendi. Quorum scientiam qui ad plenum scire desiderat, legat ejus librum quem scribit ad C. grammaticus; ibi enim haec satis habundanterque tractata inveniet.''; trad. A.-M. Poinsignon (à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k361020 Gallica]).</ref>}}
Ces échanges avec son disciple Constantin, moine de [[Abbaye de Fleury|Fleury]], constituent en fait l'essentiel du legs scientifique de Gerbert. Cette correspondance porte effectivement sur l'arithmétique et l'utilisation de l'abaque<ref>''Libellus de numerorum divisione'', éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col.85-92, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/01p/0999-1003,_SS_Silvester_II,_Libelluls_De_Numerorum_Divisione,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]</ref>. Il faut y ajouter une lettre sur la confection des sphères destinées à l'apprentissage de l'astronomie<ref>''De Sphaeræ constructione'', éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col.155-156, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/01p/0999-1003,_SS_Silvester_II,_Epistola_Ad_Constantinum_Monachum_Floriacensem,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]</ref>. La géométrie est par ailleurs l'objet d'un autre traité de Gerbert<ref>Éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col.91-152, [http://www.documentacatholicaomnia.eu/01p/0999-1003,_SS_Silvester_II,_Geometria,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia]</ref>. Les connaissances scientifiques étendues de Gerbert ont justifié qu'on lui attribue l'introduction en Gaule des chiffres ''ghubar'' ([[chiffres arabes]], sans le zéro)<ref>Guy Beaujouan, article « Gerbert » du ''Dictionnaire des Lettres françaises'', p.515</ref>, mais cette hypothèse reste discutée<ref>Riché & Verger, p.68 ; pour plus de détails voir Riché, ''Gerbert d'Aurillac''</ref>.
[[Fulbert de Chartres|Fulbert]] reprend l'abaque de Gerbert, et enseigne à ses élèves la géométrie. Dans ses poèmes sur les signes du zodiaque, il fait également allusion à l'astrolabe, et est le premier à introduire de manière attestée la numérotation arabe<ref>Riché & Verger, p.68 ; pour les poèmes, voir éd. Frederick Behrends, Oxford, 1976</ref>.
==Protecteurs et mécènes de la vie culturelle et artistique==
===Les Ottoniens et la culture===
Ottonienne, la renaissance du {{s|X}} l'est bel et bien en raison du rôle des [[Ottoniens]] dans le renouveau culturel, par ailleurs en phase avec la ''renovatio imperii'' et son inspiration carolingienne : comme le note Pierre Riché, {{citation|les rois de Germanie, à l'imitation des Carolingiens, attirent et protègent les lettrés pour des raisons personnelles et politiques<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.382</ref>}}. [[Otton Ier du Saint-Empire|Otton I{{er}}]] s'entoure ainsi de lettrés, en particulier son frère [[Brunon de Cologne|Brunon]], son conseiller le plus proche qu'il fait archichapelain puis évêque de [[Cologne]]. D'autres lettrés viennent des grands monastères de Germanie ([[Abbaye de Saint-Gall|Saint-Gall]], [[Abbaye de Fulda|Fulda]], [[Monastère de Reichenau|Reichenau]]) ou de l'[[Italie]] récemment conquise dont proviennent les maîtres Étienne de Novare et Gunzo. [[Otton II du Saint-Empire|Otton II]] poursuit cette politique : il organise notamment la fameuse dispute de [[Gerbert d'Aurillac|Gerbert]] contre Otric, sur le thème de la classification des connaissances, à [[Ravenne]], en [[972]]<ref name=richer1/>. Son discours inaugural, rapporté par [[Richer de Reims|Richer]], témoigne de son amour pour l'étude :
{{citation_bloc|La science humaine, je le crois, se perfectionne par la méditation et l'étude, chaque fois qu'une question bien posée devient l'objet des savantes discussions d'hommes éclairés. Car, si notre esprit s'engourdit souvent dans le loisir, quelqu'un vient-il à le réveiller par des questions, il se détermine bientôt à des méditations fort utiles. C'est ainsi que le génie a enfanté la science ; c'est ainsi que ses découvertes, confiées aux livres, servent à notre instruction. Accueillons donc, nous aussi, quelque sujet de discussion de nature à élever notre esprit et à le conduire plus sûrement à la vérité. Ainsi revoyons aujourd'hui même ce tableau des parties de la philosophie qu'on nous a montré l'année dernière. Que tout le monde l'examine avec attention, et que chacun dise ce qu'il pense pour ou contre. S'il n'y manque rien, qu'il reçoive votre approbation unanime, mais, s'il vous semble défectueux, qu'on le condamne ou qu'on le rectifie.<ref>Richer, ''Histoire'', III, 58, éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/02m/0900-1000,_Richerus_Remenses,_Historiarum_Libri_Quatuor,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia] : ''« Humanam, inquiens, ut arbitror scientiam, crebra meditatio vel exercitatio reddit meliorem, quotiens rerum materia competenter ordinata, sermonibus exquisitis, per quoslibet sapientes effertur. Nam cum per otium sepissime torpemus, si aliquorum pulsemur questionibus, ad utillimam mox meditationem incitamur. Hinc scientia rerum a doctissimis elicita est. Hinc est quod ab eis prolata, libris tradita sunt, nobisque ad boni exercicii gloriam, derelicta. Afficiamur igitur et nos aliquibus objectis, quibus et animus excellentior ad intelligentiae certiora ducatur. Et eia inquam, jam nunc revolvamus, figuram illam de philosophiae partibus, quae nobis anno superiore monstrata est. Omnes diligentissime eam advertant; dicantque singuli quid in ea, aut contra eam sentiant. Si nullius extrinsecus indiget, vestra omnium roboretur approbatione. Si vero corrigenda videbitur, sapientium sententiis, aut improbetur, aut ad normam redigatur. Coramque deferatur jam nunc videnda. » ; trad. A.-M. Poinsignon, à consulter sur [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k361020 Gallica])</ref>
}}
[[Image:Meister der Reichenauer Schule 004.jpg|450px|right|thumb|La [[Slavonie]], la [[Royaume de Germanie|Germanie]], les Gaules et Rome rendent hommage à [[Otton III du Saint-Empire|Otton III]], ''[[Évangéliaire d'Otton III]]'', [[Monastère de Reichenau|Reichenau]], fin {{s|X}}.]]
Son mariage avec la [[Empire byzantin|Byzantine]] [[Théophano Skleraina|Théphano]] comprend également d'importantes implications culturelles : princesse cultivée, elle est accompagnée de clercs et artistes grecs, qui construisent notamment la [[chapelle Saint-Barthélemy de Paderborn]]. L'influence byzantine est également incontestable sur l'[[art ottonien]], à travers des manuscrits et des objets de luxe (tissus, ivoires) exécutés pour l'empereur et les grands<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.383-384</ref>. L'instruction d'[[Otton III du Saint-Empire|Otton III]] est à la hauteur de cet environnement, et conduite par [[Willigis]] (archevêque de [[Mayence]]), [[Bernard d'Hildesheim|Bernward]] (futur évêque d'[[Hildesheim]]), et [[Jean Philagathos]] (chapelain de Théophano et futur archevêque de [[Plaisance]]) qui l'initie au grec. À l'adolescence, en [[996]], Otton III décide de s'attacher les services de Gerbert, qui quitte donc [[Reims]] et ses tourments<ref>Voir [[#Gerbert d'Aurillac|supra]]</ref> et initie l'empereur à l'arithmétique, à la musique et à la philosophie<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.384</ref>. Il dédie d'ailleurs à Otton III son ''De rationalis et ratione uti'', qui ambitionne de guider les actions l'empereur par l'usage de la raison et de la philosophie. L'introduction du traité a par ailleurs les inflexions d'un hymne à la ''[[renovatio imperii]]'' :
{{citation_bloc|Nôtre, nôtre est l'empire romain ! L'Italie riche en fruits, la Gaule et la Germanie fécondes en guerriers donnent ses forces, et les puissants royaumes des Scythes <nowiki>[c'est à dire des slaves]</nowiki> ne nous manquent pas non plus. Tu es bien nôtre, César, empereur auguste des Romains, qui, né du sang le plus prestigieux des Grecs, surpasse les Grecs par l'empire, commande aux Romains en vertu de ton droit héréditaire, distance les uns et les autres par le génie et l'éloquence.<ref>Éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col.159, à consulter sur [http://www.documentacatholicaomnia.eu/01p/0999-1003,_SS_Silvester_II,_De_Rationali_Et_Ratione_Uti,_MLT.pdf Documenta Catholica Omnia] : ''Nostrum, nostrum est Romanum imperium. Dant vires ferax frugum Italia, et ferax militum Gallia et Germania, nec Scythicae nobis desunt fortissima regna. Noster es Caesar, Romanorum imperator et Auguste, qui summo Graecorum sanguine ortus, Graecos imperio superas, Romanis haereditario jure imperas, utrosque ingenio et eloquio praevenis.'' ; trad. Riché, ''Les Carolingiens'', p.384-385</ref>}}
La bibliothèque des Ottoniens est particulièrement riche, comme on le sait grâce à la liste des livres offerts par [[Henri II du Saint-Empire|Henri II]] : ce dernier fait ainsi don de différents manuscrits de [[Boèce]] (''De arithmetica'' ayant appartenu à [[Charles le Chauve]]), de [[Tite-Live]], de [[Sénèque]], de [[Justinien]] (''Institutes''), d'[[Isidore de Séville]] (''De natura rerum''), de [[Cassiodore]] (''Institutiones''), ainsi que de l'autographe de l'''Histoire'' de Richer (offerte à l'empereur par Gerbert)<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.385</ref>.
Les Ottoniens sont également des commanditaires de manuscrits de luxe, mais ne semblent pas avoir réuni des artistes à la cour : les manuscrits de luxe sont réalisés à [[Abbaye de Corvey|Corvey]], à Fulda, et surtout à Reichenau d'où proviennent l'[[évangéliaire d'Otton III]] et l'[[évangéliaire de Liuthar]], aux représentations impériales de grande valeur pour leur soin et leur sens politique ([[:Image:Meister der Reichenauer Schule 004.jpg|Offrandes des quatre provinces de l'Empire]], [[:Image:Liuthar-Evangeliar.jpg|apothéose d'Otton III]] représentant en fait peut-être Otton I{{er}})<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.385-386</ref>.
{{Article détaillé|art ottonien}}
Enfin, certaines réalisations architecturales notables, dans le domaine religieux essentiellement, sont marquées par la double inspiration carolingienne et byzantine, et participent à l'émergence du [[architecture romane|roman]]. Otton I{{er}} est ainsi à l'origine de la construction de la [[cathédrale de Magdebourg]], mais c'est surtout sous Otton III qu'est réalisé le chef d'œuvre de l'architecture ottonienne, [[Église Saint-Michel d'Hildesheim|Saint-Michel d'Hildesheim]], construction confiée au précepteur de l'empereur, l'évêque Bernward.
{{Article détaillé|architecture ottonienne}}
===Des protecteurs rares===
Hormis les Ottoniens, les soutiens à la vie culturelle sont finalement assez rares. La [[Royaume de Germanie|Germanie]] reste la plus fertile en réalisations, grâce à la volonté des acteurs ecclésiastiques. Les foyers monastiques et épiscopaux, déjà mentionnés pour leurs écoles<ref>Voir [[#La Germanie|supra]]</ref> sont en effet souvent également des centres de création artistique ou architecturale. À [[Monastère de Reichenau|Reichenau]], si [[Witigowo]] est plus souvent à la cour qu'à son abbaye il fait néanmoins rétablir la nef de [[Abbaye Sainte-Marie de Mittelzell|Sainte-Marie de Mittelzell]] et orner [[Saint-Georges d'Oberzell]]. Ratwold, abbé de [[Abbaye Saint-Emmeran|Saint-Emmeran]] ([[975]]-[[1001]]) fait restaurer le ''[[Codex Aureus de Saint-Emmeran|Codex Aureus]]'' carolingien de l'abbaye<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.386</ref>.
Les archevêques des grandes métropoles de Germanie, souvent proches des empereurs, adoptent la même attitude. [[Egbert de Trèves|Egbert]] ([[977]]-[[993]]), archevêque de [[Trèves]], ramène d'[[Italie]] le « [[maître du Registrum Gregorii]] » par lequel il fait réaliser le ''[[Registrum Gregorii]]'', et commande à Reichenau le ''[[Codex Egberti]]'' qui le représente avec ses prédécesseurs. [[Brunon de Cologne|Brunon]], archevêque de [[Cologne]] ([[953]]-[[965]]) soutient une école, et fonde le monastère [[Saint-Pantaléon de Cologne|Saint-Pantaléon]], agrandi par ses successeurs ; [[Théophano Skleraina|Théophano]] y est enterrée en [[991]]. [[Liège]] est embelli par [[Notger de Liège|Notger]] ([[972]]-[[1008]]), qui fait construire l'enceinte de la ville, des églises, restaure la cathédrale et le quartier des chanoines, et développe l'[[abbaye de Lobbes]]. Il soutient également des artistes, notamment des ivoiriers et le « maître du Registrum Gregorii » après la mort d'Egbert. À [[Mayence]], [[Guillaume de Mayence|Guillaume]] ([[954]]-[[968]]), fils d'[[Otton Ier du Saint-Empire|Otton I{{er}}]], et [[Willigis]] ([[975]]–[[1011]]) stimulent la création : ce dernier fait construire une nouvelle cathédrale sur le modèle de Fulda, commande des manuscrits à Saint-Alban. De Mayence provient également, peut-être, la [[Couronne d'Otton III|couronne impériale]]<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.386-388</ref>. Enfin, le cas d'[[Hildesheim]] sous [[Bernard d'Hildesheim|Berward]] montre {{citation|le type parfait des évêques impériaux actifs et cultivés}}<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.388</ref> : l'[[Église Saint-Michel d'Hildesheim|église Saint-Michel]], et les [[portes de Bernward|portes]] de la [[cathédrale d'Hildesheim]] sont deux chefs d'œuvres de l'art et de l'architecture ottonienne, tandis que des manuscrits de luxe sont exécutés sous sa commande pour la cathédrale ou pour Saint-Michel, dont un ''De mathematicalis'' inspiré de [[Boèce]] et un [[Vitruve]], qui témoignent de l'intérêt de Berward pour les questions architecturales et laissent imaginer le travail sous-tendant ses réalisations<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.388-389</ref>.
[[Image:Codex egberti - egbert.jpg|280px|left|thumb|[[Egbert de Trèves]] représenté dans le ''[[Codex Egberti]]''. [[Monastère de Reichenau|Reichenau]], fin {{s|X}}.]]
En [[Italie]], l'atelier d'ivoire de [[Milan]] est réputé grâce à ses œuvres destinées aux empereurs, mais c'est surtout à [[Rome]] qu'émerge un foyer culturel majeur. La ville elle-même se transforme au cours du {{s|X}} (croissance démographique, nouveaux quartiers) et la « [[cité léonine]] » attire pèlerins, lettrés et artistes. De nombreux monastères sont restaurés, notamment [[Basilique Saint-Paul-hors-les-murs|Saint-Paul-hors-les-murs]] et [[Basilique des Saints-Boniface-et-Alexis (Rome)|Saints-Boniface-et-Alexis]], sur l'[[Aventin]], deux monastères repris par les clunisiens<ref>Voir [[#L'essor clunisien|infra]]</ref>. L'église [[Basilique Saint-Sébastien (Palatin)|Saint-Sébastien]] est fondée par le médecin Pierre vers [[977]] et décorée de fresques : un synode y est réuni en [[1001]] par Otton III et Sylvestre II. Surtout, Otton III veut faire de Rome sa capitale, bien que sa mort en [[1002]] ne permette pas à ce rêve d'aboutir. Il fait notamment construire [[Basilique Saint-Barthélémy-en-l'Isle (Rome)|une église]] sur l'[[île Tibérine]], où sont réutilisées des colonnes antiques, et où un puits sculpté représente l'empereur entouré d'évêques. Il fait aussi reconstruire une résidence sur le [[Palatin]], à l'emplacement de l'ancien [[palais d'Auguste]]<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.389-390</ref>.
En [[Angleterre]], depuis [[Alfred le Grand]], la cour joue un rôle majeur dans la vie culturelle et intellectuelle. [[Athelstan d'Angleterre|Athelstan]] ([[925]]-[[939]]) collectionne reliques et manuscrits, et initie la réforme des monastères. Puis le règne d'[[Edgar d'Angleterre|Edgar]] est aussi celui de trois grands évêques : [[Dunstan de Cantorbéry]], [[Oswald de Worcester]] et [[Æthelwold de Winchester]]. S'ils encouragent tous trois les écoles (études religieuses et désormais aussi [[arts libéraux]]) et font venir pour cela des maîtres du continent, ce n'est pas tout : Dunstan soutient aussi les ateliers de scribes et de peintres ; Oswald restaure les abbayes ; Aethelwold importe la liturgie depuis [[Abbaye de Corbie|Corbie]] et y fait peindre des manuscrits copiés ou inspirés des créations carolingiennes ou ottoniennes (copies du [[Psautier d'Utrecht]] importé à la fin du {{s|X}}). Le roi Edgar préside également en [[970]] la ''Regularis concordiae'', règle unique pour le royaume, qui parachève la réforme monastique<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.390-391</ref>.
La [[Francie occidentale|France]], enfin, ne connaît guère d'activité culturelle à la cour royale. On ne connaît guère que la préoccupation d'[[Hugues Capet]], lui-même ignorant du latin, pour l'éducation de son fils qu'il confie à Gerbert en [[972]]. En fait, les clercs lettrés fréquentent surtout l'entourage des aristocrates : [[Dudon de Saint-Quentin]] auprès de [[Richard Ier de Normandie|Richard de Normandie]], Vitger auprès d'[[Arnoul Ier de Flandre|Arnoul de Flandre]]<ref>Riché, ''Les Carolingiens'', p.381-382</ref>. Par ailleurs, l'une des initiatives religieuses majeures de la période reste également dénuée de lien avec la royauté : la réforme clunisienne.
===L'essor clunisien===
Le {{s|X}} voit l'émergence en [[Francie occidentale|France]] d'un monastère du [[Mâconnais]], fondé en [[909]] ou [[910]], et qui devient le centre d'un réseau ecclésiastique appelé à s'étendre à l'ensemble de la chrétienté : « l'Église de Cluny » (''Ecclesia cluniacensis''), dont dépendent des abbayes et des prieurés au nombre croissant (on ne pourra parler d'« ordre » structuré qu'à partir du {{s|XIII}}<ref>Dominique Iogna-Prat, article « Cluny » du ''Dictionnaire du Moyen Âge'', p.306</ref>).
Il est à noter que le fondateur de Cluny n'est autre que [[Guillaume le Pieux]], fils du puissant [[Liste des comtes d'Auvergne|comte d'Auvergne]] [[Bernard Plantevelue]], et petit fils de [[Dhuoda]]. Guillaume confie la direction de l'abbaye à [[Bernon (abbé de Cluny)|Bernon]] (✝[[926]]), initiateur d'une réforme qui ambitionne de suivre la [[règle bénédictine]] et d'en retrouver la lettre. Son œuvre est poursuivi par l'abbé [[Odon de Cluny|Odon]] ([[927]]-[[942]]), puis l'abbaye prend son essor sous les abbés Aymard ([[942]]-[[954]]), [[Maïeul de Cluny|Maïeul]], et surtout [[Odilon de Mercœur|Odilon]] qui obtient un privilège d'exemption de [[Grégoire V]] ([[998]]), étendu par [[Jean XIX]] à toutes les dépendances clunisiennes quelle qu'en soit la localisation ([[1024]]). Ce développement se poursuit au {{s|XI}}.
Cette réforme spirituelle dans le contexte de la renaissance du {{s|X}} marque durablement l'Occident, les clunisiens étant destinés à jouer un rôle incontournable dans le monachisme bénédictin jusqu'à la fin de la [[Renaissance du XIIe siècle|renaissance du XII{{e}} siècle]], et même au-delà.
{{Article détaillé|Abbaye de Cluny|Ordre de Cluny}}
==Bilan==
===Un renouveau limité===
De cette « renaissance », qu'on la considère avant tout comme ottonienne, comme du {{s|X}}, comme caractéristique des alentours de l'[[an mille]], ou encore comme poursuite du renouveau carolingien, on perçoit partout les limites.
Des limites géographiques, d'abord. La vitalité culturelle est en effet très variable entre la Germanie et le reste de l'Occident, ou encore entre le nord et le sud du continent<ref>Voir supra, [[#Les foyers d'études en Occident|3]] et [[#Des protecteurs rares|5.2]]</ref>, et le réseau scolaire est en réalité d'une densité fort variable. Des limites humaines aussi : les grands noms de la période ottonienne, au-delà des deux principaux - [[Abbon de Fleury|Abbon]] et [[Gerbert d'Aurillac|Gerbert]] - sont notoirement plus rares et moins productifs que les générations exceptionnelles de lettrés de la période carolingienne, depuis [[Pierre de Pise]] jusqu'à [[Jean Scot Érigène]]. L'héritage quantitatif des X{{e}} et XI{{e}} siècles n'est pas comparable à celui de la période carolingienne. Qu'on ne s'y trompe pas : l'enseignement demeure avant tout basé sur les [[arts libéraux]] et des textes écrits ou redécouverts sous [[Charlemagne]] et ses successeurs<ref>Voir [[#Le contenu de l'enseignement|supra]]</ref>.
Le désengagement des rois et des princes de l'enseignement et de la culture est une autre limite qui permet de distinguer plus nettement la période ottonienne des deux siècles qui l'ont précédée. Si cette remarque doit être tempérée pour ce qui concerne la [[Royaume de Germanie|Germanie]], ce phénomène ne conduit pas moins à aggraver les disparités géographiques et réduire l'ampleur du renouveau, qui n'est presque plus que le fait des milieux ecclésiastiques :
{{citation_bloc|L'alliance entre le pouvoir et le monde savant clérical paraît rompue. L'Église d'ailleurs tombe aux mains des laïcs et le plus grand intellectuel du temps, Gerbert, ne s'intéresse pas du tout au petit royaume des Francs où il est pourtant né. Quant aux moines, ils s'éparpillent comme des volées de moineaux, emmenant en toute hâte reliques et manuscrits sous les coups des Danois, des Sarrasins ou des Hongrois. (...) À partir de 911 la Normandie, et depuis 878 la Bretagne, perdent toute trace de culture.<ref>Rouche, p.235</ref>}}
Ce renouveau qui s'étend donc des années [[900]] aux alentours de l'an [[1030]] doit donc être d'abord considéré comme une période de résistance de l'activité culturelle carolingienne (ce que traduit bien l'expression « Troisième renaissance carolingienne » retenue par [[Pierre Riché]]<ref name=rv59/>), dans un contexte plus instable, traversée par des périodes d'essor limitées dans le temps et dans l'espace. Une période qui conclut un temps long d'unification culturelle de l'Occident, et de gestation progressive de l'enseignement médiéval :
[[Image:St michaelis.jpg|320px|right|thumb|[[Église Saint-Michel d'Hildesheim|Saint-Michel d'Hildesheim]], témoignage majeur de l'[[architecture ottonienne]].]]
{{citation_bloc|Les fondations posées par les pionniers des VI{{e}} et VII{{e}} siècles ont préparé l'édifice carolingien dont la finition a été assurée par les moines et les clercs du X{{e}} siècle. Les institutions scolaires n'ont plus besoin de l'impulsion politique pour progresser et s'implanter. (...) Quelle distance entre la culture à dominante religieuse et liturgique d'Alcuin et celle de Fulbert et de ses élèves ! (...) Dans un monde unifié intellectuellement, bien au-delà des frontières du royaume, une intelligentsia cléricale qui se déplace librement d'une école à une autre et communique facilement grâce à une langue universelle, le latin d'église, va pouvoir faire progresser et répandre très vite toute innovation scientifique et pédagogique. Laintenant que le programme antique est appliqué du début jusqu'à la fin (ce qui n'avait pas été le cas sous l'Empire romain), les fruits de cet enseignement vont pouvoir apparaître.<ref>Rouche, p.244-245</ref>}}
===Des lendemains difficiles===
La dernière limite de la renaissance ottonienne concerne la pérennité du renouveau. En effet, l'épanouissement culturel majeur et remarquable du {{s|XII}} ne suit pas immédiatement le renouveau du {{s|X}}, même en considérant les débordements de ce dernier au-delà de l'[[an mille]]. Car le {{s|XI}}, traversé par des transformations politiques, sociales et économiques, est également une période de crise pour les écoles, et pour l'ensemble du monde intellectuel. La culture humaniste de l'époque carolingienne, riche de références classiques, disparaît ainsi au profit de doctrines moins rigoureuses, et souvent qualifiées d'[[Hérésie|hérétiques]]. [[Bérenger de Tours]] en est le représentant le plus frappant<ref>Riché & Verger, p.75-76</ref>.
{{Article détaillé|Renaissance du XIIe siècle{{!}}renaissance du XII{{e}} siècle}}
==Références==
===Notes===
{{références|colonnes=2}}
===Sources===
*[[Abbon de Fleury]], éd. [[Abbé Migne]], ''[[Patrologie Latine]]'', 139, col.387-584 ([http://www.documentacatholicaomnia.eu/30_10_0945-1004-_Abbo_Floriacensis_Abbas.html Documenta Catholica Omnia]).
*[[Gerbert d'Aurillac]] :
**Oeuvres, éd. Abbé Migne, ''Patrologie Latine'', 139, col.57-350 ([[s:la:Patrologia Latina Vol 139 Silvester II|wikisource]] ou [http://www.documentacatholicaomnia.eu/01_01_0999-1003-_Silvester_II.html Documenta Catholica Omnia]) ;
**Oeuvres, éd. A. Olleris, Clermont/Paris, 1867 ([http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k408322c Gallica]) ;
**Lettres, éd. Jules Havet, 1889 ([http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k556198 Gallica]) ou Pierre Riché & Jean-Pierre Callu, Paris, Les Belles lettres, 1964-1967.
*[[Fulbert de Chartres]], éd. Abbé Migne, ''Patrologie Latine'', 141, col.163-374 ([http://www.documentacatholicaomnia.eu/30_10_1016-1029-_Fulbertus_Carnotensis_Episcopus.html Documenta Catholica Omnia]).
*[[Richer de Reims|Richer]], ''Historiarum Libri Quatuor'' :
**éd. Abbé Migne, ''Patrologie Latine'', 138, col.17-170 ([http://www.documentacatholicaomnia.eu/30_10_0900-1000-_Richerus_Remenses.html Documenta Catholica Omnia]) ;
**éd. et trad. A.-M. Poinsignon, Paris, 1855 ([http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k361020 Gallica]) ;
**éd. et trad. Robert Latouche (''Histoire de France''), Paris, Les Belles Lettres « Classiques de l'histoire de France au Moyen Âge », 2vol., 1930 et 1937, rééd. 1964 et 1967.
*[[Aimoin]] : éd. Abbé Migne, ''Patrologie Latine'', 139
**''Vita Abbonis'', col.387-414 ([http://www.documentacatholicaomnia.eu/1815-1875,_Migne,_PL_Volumen_139_Rerum_Conspectus_Pro_Columnis_Ordinatus,_MLT.html Documenta Catholica Omnia])
**Autres œuvres, , col.627-870 ([http://www.documentacatholicaomnia.eu/30_10_0950-1008-_Aimoinus_Floriacensis.html Documenta Catholica Omnia])
===Bibliographie===
*''Dictionnaire des lettres françaises'', dir. Cardinal Georges Grente, ''Le Moyen Âge'', dir. Robert Bossuat, Louis Pichard, Guy Raynaud de Lage, éd. revue, dir. Geneviève Hasenohr, Michel Zink, Fayard, 1964, rééd. LGF « Pochothèque », 1992
*''Dictionnaire du Moyen Âge'', dir. [[Claude Gauvard]], [[Alain de Libera]], [[Michel Zink]], Paris, PUF "Quadrige", 2002.
*''Religion et culture autour de l'an mil'', éd. Dominique Iogna-Prat et Jean-Charles Picard, Paris, Picard, 1990
*''Autour de Gerbert d'Aurillac, le pape de l'an mil'', éd. Olivier Guyotjeannin et Emmanuel Poulle, Paris, École des chartes, 1996
*[[Jacques Le Goff]], ''La civilisation de l'Occident médiéval'', Paris, Arthaud, 1977, rééd. coll. "Les grandes civilisations", 1984
*Jacques Le Goff, ''Les intellectuels au Moyen Âge'', Paris, Le Seuil, 1957, rééd. "Points Histoire" 1985, 2000
*Pierre Riché, [[Jacques Verger]], ''Des nains sur des épaules de géants - Maîtres et élèves au Moyen Âge'', Paris, Tallandier, 2006
*Pierre Riché, ''Les Carolingiens - Une famille qui fit l'Europe'', Paris, Hachette, coll. "Pluriel", 1983, rééd. 1997
*Pierre Riché, ''L'Empire carolingien'', Paris, Hachette, coll. "La vie quotidienne", 1973, 2e éd., 1994
*Pierre Riché, ''Gerbert d'Aurillac, pape de l'an mil'', Paris, Fayard, 1989
*[[Michel Rouche]], ''Des origines à la Renaissance'', t.I de l'''Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France'', dir. Louis-Henri Parias, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1981, rééd. Perrin, coll. "Tempus", 2003
*Michel Sot (dir.), Jean-Patrice Boudet, Anita Guerreau-Jalabert, ''Le Moyen Âge'', t.1 de l'''Histoire culturelle de la France'', dir. Jean-Pierre Rioux, Jean-François Sirinelli, Paris, Le Seuil, 1997, rééd. "Points Histoire" 2005
===Liens internes===
* [[Renaissance carolingienne]]
* [[Saint Empire romain germanique]]
* [[Renaissances médiévales]]
{{Modèle:Renaissance ottonienne}}
[[Catégorie:Historiographie médiévale]]
[[Catégorie:Saint Empire romain germanique]]
[[Catégorie:IXe siècle]]
[[de:Ottonische Renaissance]]
[[en:Ottonian Renaissance]]
[[es:Arte otoniano]]
[[hr:Otonska renesansa]]