Théâtre anatomique
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2008-07-13T12:54:42Z
Roudoule
1424
/* La conservation et la reconversion en musées */
[[Image:Anatomical theatre Leiden.jpg|thumb|right|upright=1.5|[[Gravure]] de [[1612]] représentant le [[théâtre anatomique de Leyde]] avec des [[Squelette humain|squelettes humains]] et [[Squelette|animaux]] dans les [[gradin]]s prévus pour le [[public]].]]
Pour l'[[histoire de l'anatomie]], un '''théâtre anatomique''' est un [[Bâtiment (construction)|édifice]] spécialisé où l'on procédait à des [[dissection]]s [[Anatomie|anatomiques]] en [[public]] durant les [[Époque moderne|Temps modernes]] et au début de l'[[Époque contemporaine]] en [[Civilisation occidentale|Occident]].
Apparus en [[Europe du Sud]] avec le {{s|XVI|e}}, soit environ deux cents ans après la résurgence historique de la [[Anthropotomie|dissection humaine]] à vocation [[Science|scientifique]], disparue depuis l'[[Grèce antique|Antiquité grecque]], les théâtres anatomiques demeurèrent des structures démontables jusqu'à ce que fussent érigées les premières installations permanentes à [[Salamanque]] au début des [[années 1550]], dans d'autres villes [[Espagne|espagnoles]] durant les années qui suivirent, puis surtout à [[Padoue]] en [[1584]].
La plupart du temps, ils étaient conçus sous la forme d'[[amphithéâtre]]s en [[bois]] au centre desquels le [[cadavre]] à étudier était placé sur une [[table de dissection]], l'anatomiste conduisant la [[leçon]] à proximité, éventuellement installé sur une [[Chaire (église)|chaire]]. Par conséquent, et en plus de parler aussi de « ''théâtre d'anatomie'' » ou de « ''theatrum anatomicum'' », on emploie souvent les termes « ''amphithéâtre anatomique'' » ou « ''amphithéâtre d'anatomie'' » pour désigner ces ensembles imposants qui, en ménageant pour l'assistance des [[gradin]]s [[Concentricité|concentriques]], manifestaient par leur [[architecture]] le triomphe du [[regard]] en tant que nouveau moyen privilégié d'accéder à la [[connaissance]] anatomique, en sus des [[Traité d'anatomie|traités spécialisés]] jusqu'alors sollicités.
Ainsi disposés, les théâtres anatomiques attirèrent bien au-delà des seuls [[médecin]]s et [[étudiant]]s en [[médecine]] à qui ces structures d'[[enseignement]] [[Université|universitaire]] étaient principalement destinées : ils accueillirent de nombreux [[Curiosité (faculté)|curieux]] issus de [[Classe sociale|milieux sociaux]] variés et donnèrent lieu ce faisant, selon toute vraisemblance, à l'invention de la [[place de spectacle]] payante. [[Rite|Rituels]] [[sacré]]s célébrant l'habileté de [[Dieu]] en tant que [[Création (théologie)|Créateur]], les [[Anatomie publique|dissections publiques]] y devinrent dès lors de véritables [[divertissement]]s [[Société mondaine|mondains]], des [[fête]]s inscrites au [[calendrier]] des réjouissances proposées par la [[ville]]. Mais après avoir vu leur attrait culminer aux [[XVIIe siècle|{{Rom|XVII}}{{e}}]] et [[XVIIIe siècle|{{Rom|XVIII}}{{e}}]] siècles, elles perdirent rapidement de leur intérêt au début du [[XIXe siècle|{{Rom|XIX}}{{e}}]] du fait d'une conjonction de facteurs. Ce mouvement entraîna la disparition ou la reconversion des structures dédiées ainsi que la clôture d'un chapitre désormais méconnu de l'[[histoire de l'architecture]], [[Histoire de la médecine|de la médecine]] et [[Histoire du théâtre|de la scène]].
==Origines et diffusion==
===L'apparition des premiers théâtres===
{{Images
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|align=right
|titre=
|Image:Estampe-Anatomie-de-Mondin.jpg|[[Estampe]] représentant un théâtre anatomique démontable dans une édition de l'''[[Anathomia]]'' de [[Mondino de' Liuzzi]] datée de [[1532]].
|Image:Estampe-Anatomia-Mundini.jpg|[[Estampe]] représentant un théâtre anatomique démontable dans une édition de l'''[[Anathomia]]'' de [[Mondino de' Liuzzi]] datée de [[1513]].
|Image:Guillaume-Rondelet-1507-1566.jpg|[[Portrait]] de [[Guillaume Rondelet]], qui enseigna dans un théâtre anatomique démontable à l'[[université de Montpellier]] au milieu du {{XVIe siècle}}.
}}
D'après les [[Recherche scientifique|chercheurs]] [[William Sebastian Heckscher]]<ref name="Heckscher">{{en}} ''Rembrandt's Anatomy of Dr. Nicolaas Tulp: An Iconological Study'', [[William Sebastian Heckscher]], New York University Press, [[New York]], [[1958]].</ref>, William Brockbank<ref name="Brockbank">{{en}} « ''[http://www.pubmedcentral.nih.gov/picrender.fcgi?artid=1033863&blobtype=pdf Old Anatomical Theatres and What Took Place Therein]'' », William Brockbank, ''Medical History'', n°12, [[1968]].</ref>, Rafael Mandressi<ref name="Mandressi">''Le Regard de l'anatomiste. Dissection et invention du corps en Occident'', Rafael Mandressi, [[Éditions du Seuil]], [[Paris]], [[2003]] – ISBN 978-2020540995.</ref> et Gerst-Horst Schumacher<ref name="Schumacher">{{en}} « ''[http://www.scielo.cl/pdf/ijmorphol/v25n1/art02.pdf Theatrum Anatomicum in History and Today]'' », Gerst-Horst Schumacher, ''International Journal of Morphology'', n°25(1), [[2007]].</ref>, qui ont tous interrogé l'[[histoire de l'anatomie]], la première [[description]] connue d'un théâtre anatomique est celle que l'on doit à l'[[Italie]]n [[Alessandro Benedetti]]. On la trouve au premier chapitre de l'''[[Historia corporis humani sive Anatomice]]''<ref name="Ferrari">{{it}} ''[[Historia corporis humani sive Anatomice]]'', [[Alessandro Benedetti]], édition de Giovanna Ferrari, Giunti Gruppo Editoriale, [[Florence]], [[1998]] – ISBN 978-8809214145.</ref>, le [[Traité d'anatomie|traité spécialisé]] que cet [[Anatomie|anatomiste]] publia en [[1502]]<ref name="Mandressi"/>. Elle y accompagne la première liste d'indications sur la manière de disposer une structure de ce type, et elles renvoient toutes les deux à une installation en [[bois]] démontable que l'auteur fit effectivement ériger, vraisemblablement à [[Venise]]<ref name="Mandressi"/>, car si l'on en croit l'[[historien]]ne Giovanna Ferrari, et contrairement à une opinion très commune qu'aucun document n'étaye, Benedetti n'enseigna pas à [[Padoue]], bien qu'il eût fait ses [[Études supérieures|études]] dans cette ville<ref name="Ferrari"/>. En revanche, d'après elle, il est avéré qu'il s'établit dans la [[République de Venise|Cité des doges]] pour y exercer la [[médecine]], et qu'il y commença la rédaction de son ouvrage avant [[1483]]<ref name="Ferrari"/>. Quoi qu'il en soit, c'est en [[Italie]] qu'apparurent donc les premiers théâtres anatomiques, des espèces de [[kiosque]]s déboulonnés chaque année après utilisation<ref name="Schumacher"/>.
Cette origine géographique n'est pas surprenante. L'Italie avait déjà joué un rôle essentiel dans le cadre de la réapparition en [[Europe]] deux siècles plus tôt de la [[dissection]] des [[corps humain]]s à vocation [[Science|scientifique]], une pratique disparue depuis l'[[Grèce antique|Antiquité grecque]] et la fin des travaux réalisés à [[Alexandrie]] par [[Hérophile|Hérophile de Chalcédoine]] et [[Érasistrate|Érasistrate de Céos]] durant une courte période d'une cinquantaine d'années au cours du {{IIIe siècle av. J.-C.}}<ref name="Mandressi"/>. De fait, le premier témoignage explicite quant au retour de ce qu'on appelle l'[[anthropotomie]] en [[Civilisation occidentale|Occident]] se trouve dans un [[Manuel scolaire|manuel]] publié en [[1316]] à l'intention de ses [[étudiant]]s par un [[professeur]] de [[Bologne]], [[Mondino de' Liuzzi]], ou Mondinus<ref name="Mandressi"/> : l'auteur de l'ouvrage indique avoir disséqué deux [[cadavre]]s de [[femme]]s, le premier en {{date||janvier|1315}} et le second en [[Mars (mois)|mars]] suivant<ref>''Anatomies de Mondino dei Liuzzi et de Guido de Vigevano'', Ernest Wickersheimer, [[Paris]], [[1926]].</ref>. Cependant, si le contexte physique où surgirent les théâtres anatomiques fut ainsi à peu près le même que celui où était renée la dissection humaine durant le [[Moyen Âge]] tardif, la situation historique dans laquelle se trouvaient les anatomistes était quant à elle tout à fait différente quand furent enfin montées les premières structures temporaires au début de la [[Renaissance (période historique)|Renaissance]] : d'après l'historien Luke Wilson, les trois cents ans qui suivirent Mondino de' Liuzzi virent l'assimilation de plus en plus forte de la pratique d'ouvrir des [[cadavre]]s pour étudier le corps à une activité sans aucune [[licéité]]<ref name="Wilson">{{en}} « ''William Harvey's ''Prelectiones'': the Performance of the Body in the Renaissance Theatre of Anatomy'' », Luke Wilson, ''Representations'', n°17, [[1987]].</ref>, et c'est dans ce contexte dégradé que les installations pionnières furent érigées.
La création des théâtres anatomiques était une réponse pratique à l'incommodité des dissections en plein air, la configuration qui prévalait jusqu'alors, et qui se justifiait probablement par le souci de disposer d'une bonne [[ventilation]]<ref name="Schumacher"/>. Mais c'était peut-être aussi une façon de répondre à la critique en permettant à la [[Anatomie publique|démonstration d'anatomie en public]] de demeurer ce qu'elle avait toujours été, un moment de [[méditation]] [[morale]], mais aussi d'exhiber avec encore plus de force qu'auparavant l'éphémère humain. C'est ainsi que les édifices provisoires que l'on érigea dans le cours du {{XVIe siècle}} furent souvent montés à l'intérieur de [[chapelle]]s, le [[Autel (religion)|maître-autel]] servant parfois de [[table de dissection]]<ref name="Mandressi"/>. Pour Heckscher, qui s'appuie sur des exemples [[Hollande|hollandais]], cette prédilection pour les [[Lieu de culte|édifices religieux]] était particulièrement nette dans les pays [[Protestantisme|protestants]], où la [[Réforme protestante|Réforme]] avait pris<ref name="Heckscher"/>. De fait, si l'on en croit les historiens Àlvar Martínez-Vidal et José Pardo-Tomás, il semble que l'[[Espagne]] [[Catholicisme|catholique]] plébiscita davantage les [[Hôpital|hôpitaux]], où le nombre des [[Mort|mourants]] permettait d'ailleurs un meilleur approvisionnement en cadavres<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás">{{en}} « ''[http://www.pubmedcentral.nih.gov/picrender.fcgi?artid=1172289&blobtype=pdf Anatomical Theatres and the Teaching of Anatomy in Early Modern Spain]'' », Àlvar Martínez-Vidal et José Pardo-Tomás, ''Medical History'', n°49(3), [[2005]].</ref>. En outre, on sait que la première [[Anatomie publique|dissection publique]] tenue à [[Amsterdam]] eut lieu, vers [[1550]], dans une salle du [[couvent]] de [[Sainte Ursule]], et que le théâtre anatomique fut ensuite installé à l'[[église (édifice)|église]] [[Marguerite d'Antioche|Sainte Marguerite]]. On sait aussi qu'à [[Utrecht]], ce fut la chapelle de Jérusalem qui accueillit le premier édifice de la ville<ref name="Heckscher"/>. Cependant, selon Ruben Eriksson, c'est également dans un bâtiment consacré que les démonstrations anatomiques d'[[André Vésale]] eurent lieu en [[1540]] à [[Bologne]], sur les terres d'où partit la [[Contre-Réforme]] ; il s'agissait de l'[[Église San Francesco (Bologne)|église San Francesco]]<ref name="Eriksson">{{en}} ''Andreas Vesalius' First Public Anatomy at Bologna, 1540. An Eyewitness Report by Baldasar Heseler Medicinæ Scolaris, Together With His Notes on Matthaeus Curtius' Lectures on Anatomia Mundini'', Ruben Eriksson, Almqvist & Wiksells, [[Uppsala]] et [[Stockholm]], [[1959]].</ref>.
Quoi qu'il en soit, la plupart des théâtres anatomiques furent érigés dans un ensemble [[Université|universitaire]], en particulier en Italie et en [[France]], pays où la [[Université de Montpellier|faculté de médecine]] de [[Montpellier]] fut la première à disposer d'une installation<ref name="Mandressi"/>. Étudiant sur place dans les [[années 1550]], le [[Bâle|Bâlois]] [[Félix Platter]] indique à ce sujet dans son [[Journal intime|journal]] personnel qu'en {{date||janvier|1556}} « ''on venait de construire'' » un beau théâtre d'anatomie pour l'établissement d'[[enseignement supérieur]] de la ville<ref name="Platter">''Félix et Thomas Platter à Montpellier, 1552-1559. Notes de voyage de deux étudiants bâlois, publiées d'après les manuscrits originaux appartenant à la bibliothèque de l'[[université de Bâle]], avec deux portraits'', édition de Camille Coulet, [[Montpellier]], [[1892]].</ref>. Le [[6 février]], écrit-il, on tint au nouveau « ''theatrum colegii'' » une séance d'anatomie au cours de laquelle deux sujets furent disséqués en même temps, une femme et une [[Fille|jeune fille]]. Le [[médecin]] et [[naturaliste]] [[Guillaume Rondelet]] présidait la [[leçon]] et le jeune [[Suisse]], lui-même amené à devenir un grand [[Anatomie|anatomiste]], prit soigneusement note de « ''ses admirables explications'' »<ref name="Platter"/>. L'installation était démontable<ref name="Mandressi"/>, et on en avait déjà érigé une première, si l'on en croit les écrits de Platter, dès [[1552]] : le jeune homme indique en effet que le [[14 novembre]] de cette année-là, il fut pratiqué dans un ancien théâtre d'anatomie une dissection « ''sur le corps d'un [[garçon]] qui était mort d'un [[abcès]] dans la [[Thorax|poitrine]]'' »<ref name="Platter"/>. Au même moment, on construisait dans la [[péninsule Ibérique]] le premier ensemble destiné à durer<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>.
===La pérennisation des structures===
{{Chronologie des théâtres anatomiques permanents}}
Si l'on en croit Àlvar Martínez-Vidal et José Pardo-Tomás, le premier théâtre anatomique permanent fut très probablement celui que l'on établit à [[Salamanque]] pour [[Cosme de Medina]], un éminent [[professeur]] d'[[anatomie]] qui, convaincu par les travaux d'[[André Vésale]], avait inauguré en {{date||septembre|1551}} au sein de l'[[Université de Salamanque|université de la ville]], et à la suite d'une intervention [[Roi d'Espagne|royale]] de [[Charles Quint]], une [[leçon]] basée sur des [[dissection]]s<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. La recherche d'un site pour la construction d'un édifice pérenne fut ordonnée par les autorités compétentes en {{date||mars|1552}} via une décision à travers laquelle elles exigèrent par ailleurs de l'anatomiste qu'il y pratiquât au moins trente démonstrations par an, que ce soit sur des [[cadavre]]s humains ou sur des [[charogne]]s [[animal]]es. L'emplacement fut trouvé près d'une [[église (édifice)|église]] et de son [[cimetière]] le [[23 juin]] de la même année, puis on commença les travaux, qui ne coûtèrent que {{formatnum:50000}} [[maravédis]], soit à peine plus que le [[salaire]] annuel d'un professeur de l'université. Terminé le {{date|5|mai|1554}}, l'édifice final présentait vraisemblablement des [[mur]]s en [[Pierre (matériau)|pierre]], du [[tuf]], son [[toit]] étant couvert d'[[ardoise]] et le sol de [[Parquet (construction)|parquet]]. Il commença à fonctionner à plein à compter de l'[[hiver]] [[1554]]-[[1555]]<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>{{,}}<ref>{{es}} « ''La iglesia de San Nicolás y el antiguo teatro anatómico de la Universidad de Salamanca'' », T. Santander Rodríguez, ''Revista Española de Teología'', n°43, [[1983]].</ref>.
L'exemple de Salamanque fut suivi par d'autres villes [[Espagne|espagnoles]] comme [[Barcelone]], où la décision de mettre en place une structure pérenne pour l'[[Hospital de Sant Pau|hôpital de la Santa Creu]] fut prise en [[1573]]<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>{{,}}<ref>{{es}} « ''El primitivo teatro anatómico de Barcelona'' », Àlvar Martínez-Vidal et José Pardo-Tomás, ''Medicina e Historia'', n°65, [[1996]].</ref>. Néanmoins, la plupart des [[historien]]s ont longtemps retenu comme pionnier le théâtre qui fut érigé en [[1584]] à [[Padoue]], le [[théâtre anatomique de Padoue]] : c'est lui que citent et célèbrent William Brockbank<ref name="Brockbank"/>, Rafael Mandressi<ref name="Mandressi"/>, ou encore Andrew Cunningham<ref name="Cunningham">{{en}} « ''[http://www.cbmh.ca/archive/00000517/01/cbmhbchm_v18n2cunningham.pdf The End of the Sacred Ritual of Anatomy]'' », Andrew Cunningham, ''Canadian Bulletin of Medical History'', n°18, [[2001]].</ref>. Il s'agissait d'une structure en [[bois]] pouvant accueillir, sur plusieurs [[étage]]s de [[Galerie (architecture)|galeries]], deux cents personnes environ<ref name="Mandressi"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>. Son érection est restée associée au nom de [[Girolamo Fabrizi d'Acquapendente]], qui y enseigna l'[[anatomie]] et la [[chirurgie]] de [[1565]] à [[1613]]<ref name="Mandressi"/>. Pour cette raison, et du fait du prestige de ses études à l'[[université de Padoue]], Fabrizi d'Acquapendente « ''fut personnellement un des centres de l'anatomie mondiale pendant un demi-siècle'' »<ref>{{en}} « ''Fabricius and the "Aristotle Project" in Anatomical Teaching at Padua'' », Andrew Cunningham, in ''The Medical Renaissance of the Sixteenth Century'', sous la direction d'Andrew Wear, Roger K. French et Ian M. Lonie, Cambridge University Press, [[Cambridge]], [[1985]].</ref>. Mais l'installation où il exerça fut si rapidement détériorée qu'il fallut la reconstruire<ref name="Mandressi"/>.
Entre temps, en [[1586]], l'[[université de Saragosse]] inaugura sa « ''casa de anatomía'' », construite à côté du [[cimetière]] de l'[[hôpital Nuestra Señora de Gracia]]<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>{{,}}<ref>{{es}} ''Monumentos diplomáticos sobre los edificios fundacionales de la Universidad de Zaragoza y sus constructores'', Angel San Vicente, Institución Fernando el Católico, [[Saragosse]], [[1981]] – ISBN 978-8400048174.</ref>. En outre, en [[1593]], un autre édifice, le [[théâtre anatomique de Leyde]], fut dressé à [[Leyde]], aux [[Pays-Bas]], sous l'impulsion de l'anatomiste [[Pieter Pauw]], un ancien élève de Fabrizi d'Acquapendente<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Mandressi"/>. Il fut mis en service à la fin de l'année [[1594]]<ref name="Huisman">{{en}} « ''The finger of God : anatomical practice in 17th century Leiden'' », Tijs Huisman, [[thèse]] de [[doctorat]] à l'[[université de Leyde]], [[2008]].</ref>, soit exactement l'année où le bâtiment padouan fut monté à nouveau<ref name="Mandressi"/>.
D'après Mandressi, il est fort probable que l'opération de reconstruction bénéficia une nouvelle fois de la coopération entre Fabrizi d'Acquapendente et celui qui lui avait très probablement suggéré les plans originels, le [[théologie]]n [[Paolo Sarpi]], qui fut son ami et son [[patient]] quand il fit l'objet d'une tentative d'[[assassinat]] en [[1607]], c'est-à-dire quelques mois après son [[excommunication]]<ref name="Mandressi"/>. Dès lors, il ne fait guère de doute que les conceptions du religieux purent être transmises, à un moment ou à un autre, par l'anatomiste à l'[[architecte]] du théâtre<ref name="Mandressi"/>, peut-être [[Dario Varotari]]<ref name="Mandressi"/>{{,}}<ref name="Rippa Bonati">{{en}} « ''[http://www.unipd.it/esterni/visiteweb/english/pagine/teatro.htm Some traditions regarding the old Anatomy Theatre of Padua University]'' », Maurizio Rippa Bonati, [http://www.unipd.it site Internet] de l'[[université de Padoue]].</ref>, et que ce dernier s'en inspira pour son projet<ref name="Mandressi"/>. Quoi qu'il en soit, il livra un édifice où le plus petit des éléments [[Concentricité|concentriques]] se rapproche d'une [[ellipse]], et celui qui a le plus grand [[diamètre]] d'un [[cercle]]<ref>« ''Le théâtre anatomique de l'université de Padoue'' », in ''Les Siècles d'or de la médecine, Padoue, XVe-XVIIIe siècles'', Electa, [[Milan]], [[1989]] – ISBN 978-8843528602.</ref>. Il eut un grand succès : le théâtre de Padoue fut frénétiquement copié à travers l'[[Europe]]<ref name="Schumacher"/>.
===La diffusion en Europe et ailleurs===
{{Images
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|Image:Gustavianum with garden - from Busser, Om Upsala Stad etc.jpg|[[Gravure]] de la fin du {{XVIIIe siècle}} représentant le [[Gustavianum]], bâtiment accueillant le théâtre anatomique de l'[[université d'Uppsala]].
|Image:University of Virginia Anatomical Theatre sketch.jpg|Plan du théâtre anatomique de l'[[université de Virginie]] dessiné par [[Thomas Jefferson]] à la fin de sa vie.
}}
Durant les décennies et les siècles qui suivirent la mise en service des structures permanentes livrées à [[Padoue]] et [[Leyde]], de nombreux théâtres furent érigés dans toute l'[[Europe de l'Ouest]], notamment à [[Copenhague]] de [[1640]] à [[1643]]<ref name="Schumacher"/>, [[Altdorf bei Nürnberg|Altdorf]] en [[1650]]<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>, [[Madrid]] autour de [[1689]]<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>{{,}}<ref>{{es}}« ''Los orígenes del teatro anatómico de Madrid (1689-1728)'' », José Pardo-Tomás et Àlvar Martínez-Vidal, ''Asclepio'', n°49, [[1997]].</ref>, [[Amsterdam]] en [[1691]]<ref name="Schumacher"/>, [[Berlin]] en [[1720]]<ref name="Schumacher"/>, [[Halle (Saxe-Anhalt)|Halle]] en [[1727]]<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>, [[Ferrare]] en [[1731]]<ref name="Schumacher"/> et [[Pavie]] en [[1785]]<ref name="Brockbank"/>.
Le mouvement finit par s'étendre jusqu'aux [[États-Unis]], où il y avait déjà deux autres installations dans le pays quand l'ancien [[Président des États-Unis|président]] [[Thomas Jefferson]] dessina les plans d'un théâtre d'anatomie pour l'[[université de Virginie]] à [[Charlottesville]] autour de {{date||février|1825}}, peu de temps avant sa mort<ref>{{en}} « ''[http://www.nps.gov/history/nr/twhp/wwwlps/lessons/92uva/92visual3.htm Drawing 4: Study for Anatomical Theatre by Thomas Jefferson, c. February 1825]'' », [http://www.nps.gov site Internet] du [[National Park Service]].</ref>. De fait, disposer d'un tel équipement devint rapidement « ''un atout de prestige, le signe de la [[Innovation|vigueur scientifique]] des [[université]]s'' »<ref name="Mandressi"/>, voire des [[ville]]s elles-mêmes, ce qui peut expliquer pourquoi les grandes [[métropole]]s disposaient parfois de plusieurs installations en même temps, comme ce fut visiblement le cas à [[Londres]] et [[Paris]] au cours du {{XVIIIe siècle}}<ref name="Brockbank"/>.
À ce titre, il est important de ne pas sous-estimer les effets des configurations locales ; elles jouèrent en effet un rôle essentiel dans l'histoire des théâtres anatomiques à travers le temps. Dans la [[capitale]] [[Angleterre|anglaise]], par exemple, il convient de considérer avec attention les oppositions entre les différentes [[corporation]]s du monde sociomédical, en particulier celle qui confrontait les anatomistes aux [[chirurgie]]ns et [[Barbier (métier)|barbier]]s<ref name="Wilson"/>. Lorsqu'on analyse la situation à Leyde, de même, il faut bien prendre en compte la concurrence qui existait entre le [[Théâtre anatomique de Leyde|théâtre anatomique]] et les autres espaces où avaient lieu des [[Anthropotomie|dissections humaines]]<ref name="Huisman"/>. Enfin, pour comprendre ce qui eut lieu en [[Espagne]], d'après Àlvar Martínez-Vidal et José Pardo-Tomás, il est recommandé de ne pas perdre de vue la plus ou moins grande bienveillance avec laquelle le pouvoir royal traita les premiers projets avant de les valider, tout comme le firent par ailleurs les autorités [[Mairie|municipales]]<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>.
Pour le reste, et à un niveau encore plus [[Microhistoire|microhistorique]], il est diffcile de ne pas étudier les [[biographie]]s de tous ces [[étudiant]]s ou passionnés qui circulèrent à travers l'[[Europe]] en ramenant chez eux, une fois leur [[voyage]] terminé, les idées et les plans utiles à l'édification des installations nécessaires aux [[leçon]]s. De ce point de vue, et parmi les enceintes les plus remarquables qui furent effectivement mises en chantier et terminées, on peut citer le théâtre anatomique que le [[Suède|Suédois]] [[Olof Rudbeck]], professeur en médecine et [[architecte]] amateur, aménagea au milieu du {{XVIIe siècle}} dans le [[Gustavianum]], l'ancien bâtiment principal de l'[[université d'Uppsala]], lui-même construit entre [[1622]] et [[1625]]<ref name="Gustavianum">{{sv}} « ''[http://www.gustavianum.uu.se/anatomen/anatomen.shtml Anatomiska teatern]'' », [http://www.gustavianum.uu.se/english.shtml site Internet] du [[Gustavianum|Museum Gustavianum]].</ref>. Livré en [[1662]]<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>, il est installé à l'intérieur d'une [[coupole]] qui sert aussi de [[cadran solaire]] et le fait ressembler à un [[temple]]<ref name="Schumacher"/>. Il dispose ainsi d'un excellent [[éclairage]]<ref name="Fontoynont">{{en}} ''Daylight Performance of Buildings'', Marc Fontoynont, Earthscan Pbns Ltd, [[1999]] – ISBN 978-1873936870.</ref>, un des ingrédients majeurs d'une [[architecture]] réussie pour les premiers théâtres anatomiques permanents.
==Architecture==
===L'objectif de confort et de visibilité===
{{Images
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|Image:Plan-théâtre-anatomique-Charles-Estienne.jpg|Plan du théâtre anatomique rêvé par [[Charles Estienne]].
|Image:Interior of the Colosseum 6465.jpg|[[Photographie]] récente du [[Colisée]] de [[Rome]], une source d'inspiration pour le théâtre anatomique de [[Charles Estienne]].
}}
Après [[Alessandro Benedetti]], la [[description]] de théâtres anatomiques dans les [[Traité d'anatomie|traités d'anatomie]], plus ou moins longue et détaillée, devint une pratique relativement courante<ref name="Mandressi"/>. Les textes renvoyaient parfois à des structures effectivement mises en œuvre, comme chez [[André Vésale]], qui indique dans une note marginale avoir aménagé à [[Bologne]] et [[Padoue]] des structures telles que celle qui est représentée sur le frontispice de son œuvre majeure, parue en [[1543]] sous le titre ''[[De humani corporis fabrica]]''<ref name="Vésale">{{la}} ''[[De humani corporis fabrica]]'', [[André Vésale]], [[1543]].</ref>. Mais, d'après Rafael Mandressi, il pouvait également s'agir de descriptions « ''purement [[Norme|normatives]]'' » de ces espaces, de leur configuration et de leur usage, tels qu'ils devaient être conçus et installés. Selon lui, c'est vraisemblablement le cas chez le [[Florence|Florentin]] [[Guido Guidi]], qui décrit un ensemble [[Octogone|octogonal]] dont les [[gradin]]s s'élargissent au fur et à mesure que l'on y monte<ref name="Guidi">{{la}} ''De anatome corporis humani libri VII'', [[Guido Guidi]], Giunta, [[Venise]], [[1611]].</ref>. C'est aussi le cas chez le [[France|Français]] [[Charles Estienne]], dont le théâtre idéal « ''était loin d'être réalisé à la [[Université de Paris|faculté de Paris]]'' »<ref>''La Médecine et les médecins en France à l'époque de la Renaissance'', Ernest Wickersheimer, Maloine, [[1905]].</ref>, et n'a probablement jamais existé<ref name="Mandressi"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>.
Pourtant, la description qu'il en donne dans ''[[La Dissection des parties du corps humain]]'', traité paru en [[français]] en [[1546]], est l'une des plus minutieuses qui soient<ref name="Mandressi"/> : l'auteur consacre à la question les quinzième et seizième chapitres du troisième livre de son ouvrage, respectivement intitulés « ''De l'appareil du theatre anatomique'' » et « ''De la situation & position du corps que lon doibt dissequer au devant du theatre anatomique'' »<ref name="Estienne">''[[La Dissection des parties du corps humain]]'', [[Charles Estienne]], Simon de Colines, [[1546]].</ref>. Estienne imagine une installation temporaire dont la structure serait construite en [[bois]], ou en [[charpente]]rie. Elle aurait la forme d'un [[hémicycle]] à trois [[étage (architecture)|étage]]s, ou au moins deux. On l'érigerait à l'intérieur d'un espace ample et aéré, avec des sièges disposés tout autour en forme de [[cercle]], « ''du type de ceux que l'on peut voir à [[Rome]] ou à [[Vérone]]'' »<ref name="Estienne"/>. Cette comparaison avec le [[Colisée]] et les [[Arènes de Vérone|arènes véronaises]] indique qu'il décrit en fait un [[amphithéâtre]]<ref name="Mandressi"/>.
De fait, l'édifice auquel pense l'auteur est à ciel ouvert, sans [[toit]], mais il se propose néanmoins de former au-dessus un [[pavillon (architecture)|pavillon]] en tendant une [[Textile|toile]] cirée, ou une toile simple en l'absence de toile cirée. Il s'agit de faire de l'[[ombre]] pour les personnes présentes et de les protéger de la [[pluie]] et du soleil, mais aussi de s'assurer que la [[voix]] de celui qui expliquera l'agencement des différentes parties du corps porte loin et ne se perde pas dans l'air<ref name="Estienne"/>. Cette exigence [[acoustique]] n'est pas excessive : dans un texte bien ultérieur, le Français [[Guillaume Lamy]] rapporte qu'il s'est rendu au [[Jardin du roi]] de [[Paris]] pour écouter une démonstration d'anatomie de son grand rival [[Pierre Cressé]], mais qu'il n'a pu entendre que l'[[avant-propos]] de l'anatomiste à cause du bruit dans le théâtre<ref name="Lamy">''Discours anatomiques de M. Lamy… Avec des Reflexions sur les Objections qu'on luy a faites contre la maniere de raisonner de la nature de l'Homme & de l'usage des parties qui le composent, et cinq Lettres du mesme Autheur, sur le sujet de son Livre'', [[Guillaume Lamy]], Jean Lucas, [[Rouen]], [[1675]].</ref>.
Cependant, tout bien considéré, et au-delà des questions purement techniques, le texte d'Estienne insiste surtout, finalement, sur ce que l'on appellerait aujourd'hui le [[confort (bien-être)|confort]] des personnes situées dans les [[Galerie (architecture)|galeries]]. Il milite par exemple pour qu'elles voient toutes également, et il est très précis dans ses requêtes chiffrées à ce sujet : les [[banc]]s dans les [[gradin]]s « ''ne devront pas être moins hauts que le [[Pied (unité)|pied]] et demi'' »<ref name="Estienne"/>. De fait, à l'époque, l'un des enjeux majeurs de l'agencement des enceintes était d'assurer une visibilité maximale à l'intérieur, comme le montrent la confusion des textes normatifs et de la réalité historique à ce sujet. Ainsi, alors que Guidi recommande de placer une [[bougie]] à chaque coin de la [[table de dissection]]<ref name="Guidi"/>, dans le [[théâtre anatomique de Padoue]], par exemple, des [[étudiant]]s étaient effectivement chargés de porter des [[Cierge (bougie)|cierges]] à proximité immédiate de cette [[table]]<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>. Tout cela n'est pas gratuit : l'[[anatomie]] en était arrivée à un point où le [[savoir]] [[Science|scientifique]] au sujet du [[Corps (biologie)|corps]] semblait ne plus pouvoir se passer d'une observation attentive de celui-ci, c'est-à-dire de l'usage intensif de la [[vision]]<ref name="Mandressi"/>.
===Les plans et leur origine===
{{Images
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|Image:Gravue-Gymnasium-Patavium.jpg|[[Gravure]] de [[1654]] représentant le [[théâtre anatomique de Padoue]] et illustrant bien sa ressemblance avec un [[œil]].
|Image:Théâtre-anatomique-Padoue.JPG|[[Photographie]] récente du [[théâtre anatomique de Padoue]] et de ses [[balustrade]]s en [[bois]].
|Image:Girolamo Fabrizi d'Acquapendente.jpg|[[Portrait]] de [[Girolamo Fabrizi d'Acquapendente]], qui fit construire en [[1584]] à [[Padoue]] l'un des premiers théâtres anatomiques permanents connus, le [[théâtre anatomique de Padoue]].
}}
Parmi les premiers théâtres anatomiques permanents qui furent construits hors de la [[péninsule Ibérique]], on peut distinguer, selon Gerst-Horst Schumacher, deux grands modèles architecturaux, [[Théâtre anatomique de Padoue|celui de Padoue]] et [[Théâtre anatomique de Bologne|celui de Bologne]]<ref name="Schumacher"/>. Installé dans le [[palais Bo]], le premier, en forme d'[[entonnoir]]<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>, mesurait dix [[mètre]]s de long pour 8,75 de large et douze de haut<ref name="Schumacher"/>. Il était équipé de six [[Galerie (architecture)|galeries]] de 92 centimètres chacune et toutes protégées par une [[balustrade]] similaire à celles que l'on trouve autour des [[chalet]]s [[Alpes|alpins]]<ref name="Schumacher"/>. Il n'y avait pas de sièges, et il fallait être mince pour tenir dans les travées<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>. De plus, autre désavantage, la forme de la structure demandait des bâtiments hôtes élevés, chose rare dans les [[université]]s de l'époque<ref name="Schumacher"/>.
D'après Rafael Mandressi, cette forme [[Ellipsoïde|ellipsoïdale]] était issue de la recherche anatomique elle-même<ref name="Mandressi"/>. [[Paolo Sarpi]], qui l'imagina, s'intéressait non seulement à la [[chimie]], à la [[logique]], au [[magnétisme]] et aux [[mathématiques]], mais aussi à la [[médecine]] et à l'[[optique]]<ref>{{it}} ''La prosa e il mondo. Avvisi del moderno in Sarpi, Galilei e la nuova scienza'', Pasquale Guaragnella, Adriatica, [[Bari]], [[1986]].</ref>{{,}}<ref>{{it}} ''Fra Paolo Sarpi e la ricerca scientifica crist-cattolica'', Antonia Dagostino, Libreria del Teatro, [[1988]].</ref>, et il travailla sur ces sujets avec Fabrizi d'Acquapendente dans le cadre de recherches sur l'[[œil]] menées entre [[1581]] et [[1584]], c'est-à-dire au cours des années précédant immédiatement l'érection de l'édifice padouan<ref name="Mandressi"/>. Plus tard, lorsque celui-ci dut être reconstruit, le [[médecin]] commençait à nouveau à se pencher sur la question, encore sous l'influence des idées de Sarpi. Pour l'historien, il y a là une « ''coïncidence dans le temps qui est aussi une coïncidence dans les formes : on retrouve dans l'architecture du théâtre d'anatomie la composition de [[cercle]]s et d'[[ellipse]]s des [[Illustration anatomique|illustrations]] de l'anatomie de l'[[œil]] du ''De visione, voce, auditu<ref>{{la}} ''Hieronymi Fabricii ab Aquapendente de Visione, voce, auditu'', [[Girolamo Fabrizi d'Acquapendente]], F. Bolzettam, [[Venise]], [[1600]].</ref>'' publié par Fabrizi en [[1600]]'' », et où Sarpi est cité, sa contribution mise en avant<ref name="Mandressi"/>. Dès lors, on peut considérer que le théâtre anatomique de Padoue était « ''une gigantesque [[métaphore]] concrète du [[regard]]'' »<ref name="Mandressi"/>.
Mais la pratique à l'intérieur d'une structure en forme d'œil n'était pas, selon Mandressi, qu'une simple métaphore. Il s'agissait également d'une [[mise en abyme]] du [[savoir]] [[Science|scientifique]] de l'époque « ''qui permettait à un public nombreux de participer à la consécration de l'expérience [[Vision|visuelle]] comme pierre angulaire de la [[connaissance]] anatomique'' »<ref name="Mandressi"/>. De fait, l'apparition des amphithéâtres d'anatomie en tant que dispositifs spatiaux ''ad hoc'' relève d'une période qui fit de la [[vue]] de l'intérieur du [[cadavre]] ouvert la source principale de la [[vérité]] scientifique quant à l'[[anatomie humaine]], au détriment des [[Traité d'anatomie|traités]] signés par les autorités<ref name="Mandressi"/>. On remarquera à ce titre que l'ouvrage d'[[Alessandro Benedetti]], celui-là même qui fournit la première description connue d'un théâtre anatomique, se termine par un chapitre consacré à l'éloge de la [[dissection]], « ''De laude dissectionis'' ». L'auteur y exhorte le lecteur à s'appliquer à la [[contemplation]] des œuvres de la [[Nature]] et à les laisser se déployer sous ses yeux. Les [[texte]]s, ajoute Benedetti, pourront éventuellement rafraîchir la [[mémoire]], mais si on se laisse mener par eux seuls, on aura ''in fine'' bien davantage d'[[opinion]]s que de vérités<ref name="Ferrari"/>. De fait, son propre ouvrage est justement conçu pour être consulté pendant des démonstrations anatomiques. Il y fait un usage abondant des [[verbe]]s relatifs à la [[vision]]. Enfin, il s'inscrit dans un contexte éditorial marqué par la place de plus en plus importante prise par les [[Illustration anatomique|illustrations anatomiques]] dans les traités, en particulier après les travaux de [[Jacopo Berengario da Carpi]] au début des [[années 1520]], mais surtout suite au ''[[De humani corporis fabrica]]'' d'[[André Vésale]], paru en [[1543]]<ref name="Mandressi"/>.
Tout indique donc que si l'appréhension [[Sens (physiologie)|sensorielle]] était jusqu'alors recommandée dans les livres, elle devait désormais être concrétisée et mise en actes dans les pages de ces ouvrages, mais aussi et surtout dans un espace singulier, qui servirait ainsi « ''à montrer mais aussi [[Démonstration|démontrer]] la vigueur de la nouvelle [[science]]'' »<ref name="Mandressi"/>, comme en témoigne l'usage du terme « ''théâtre'' », « ''theatron'' » signifiant littéralement « ''le lieu d'où l'on voit'' »<ref name="Mandressi"/>{{,}}<ref name="Cunningham"/>. Ainsi, l'érection effective des amphithéâtres d'anatomie constitua donc « ''la mise en place d'un dispositif qui [cherchait] à optimiser cette perception et qui [était] en soi la marque la plus éloquente de la consécration du visuel'' »<ref name="Mandressi"/>. Elle rendit l'[[anatomie]] moderne. En conséquence, on peut dire que la pratique des [[Anthropotomie|dissections humaines]] réapparue en [[Europe]] à compter de la fin du {{XIIIe siècle}}, « ''ne s'est généralisée, n'a cessé d'être une rareté et ne s'est transformée en routine que deux cents ans plus tard dans les amphithéâtres d'anatomie des [[université]]s [[Europe|européennes]]'' »<ref name="Mandressi"/>, qui prirent des décennies à leur accorder une certaine autonomie architecturale.
===L'évolution des formes===
{{Images
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|Image:Théâtre-anatomique-Paris.jpg|Représentation de l'extérieur du théâtre anatomique de [[Paris]] en [[1694]].
|Image:Grand-amphithéâtre-chirurgie-Paris.jpg|[[Gravure]] de [[1780]] représentant le grand [[amphithéâtre]] des écoles de [[chirurgie]] de [[Paris]].
}}
Lorsque [[Pieter Pauw]] envisagea la construction du [[théâtre anatomique de Leyde]], il tenta d'atténuer les désavantages que présentait [[Théâtre anatomique de Padoue|celui de Padoue]], dont la forme empêchait l'entrée de la [[lumière]] du jour, ce qui condamnait à l'usage de [[torche]]s<ref name="Schumacher"/>. Aux [[Pays-Bas]], il fit donc ériger un édifice dont les plans atténuaient les excès italiens : les [[gradin]]s étaient plus larges et moins élevés, ce qui permettait de ménager des ouvertures sur l'extérieur<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>. Conséquemment, l'[[éclairage]] était meilleur, et compensait la plus grande austérité générale du bâtiment<ref name="Brockbank"/>.
Son architecture inspira celle des théâtres construits à [[Groningue (ville)|Groningue]] de [[1654]] à [[1655]] et à [[Kiel]] en [[1666]], ainsi que dans plusieurs universités d'[[Europe du Nord]]. Mais il fallut attendre le [[théâtre anatomique de Bologne]] pour une véritable innovation, le recours à une salle [[Rectangle|rectangulaire]] reprenant certaines caractéristiques de l'architecture du [[Moyen Âge]]<ref name="Schumacher"/>. Selon Gerst-Horst Schumacher, cette enceinte constitua le second grand modèle de théâtre anatomique. Cependant, il indique également qu'il ne fut jamais imité par la suite, exception faite du théâtre de [[Ferrare]] construit en [[1731]]<ref name="Schumacher"/>. On pourrait y ajouter quelques autres en [[Espagne]]. Ainsi, d'après Àlvar Martínez-Vidal et José Pardo-Tomás, une illustration de [[1728]] indique que le théâtre anatomique de [[Madrid]] était une pièce [[carré]]e avec une grande fenêtre au fond et une [[arche]] à l'entrée sur laquelle était inscrite « ''Amphitheatrum Matritense'' »<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/> (« ''Amphithéâtre madrilène'' » en [[latin]]). Celui de [[Saragosse]] était également de la même forme, tous les côtés mesurant environ 5,8 [[mètre]]s. Il reposait sur des [[pilier]]s en [[Brique (matériau)|brique]]s et des [[mur]]s faits d'une sorte d'[[Adobe (brique)|adobe]] d'une hauteur d'environ 46 décimètres<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>.
La grande innovation intervint néanmoins tout a fait ailleurs, à [[Londres]]. C'est là qu'en [[1638]] fut inauguré le premier théâtre anatomique construit dans un bâtiment autonome<ref name="Brockbank"/>, un événement que Schumacher localise quant à lui dans la capitale [[France|française]] en [[1694]]<ref name="Schumacher"/>. Cette structure londonienne ne coûta que mille [[Livre sterling|livres]] en travaux, le chantier n'ayant duré que deux ans<ref name="Brockbank"/> ; un demi-siècle plus tard, il fallut trois années pour édifier l'enceinte de la [[Rue de l'École de médecine|rue des Cordeliers]], à [[Paris]]<ref>« ''[http://www.bium.univ-paris5.fr/musee/enseign3.htm Les chirurgiens : une corporation]'' », [http://www.bium.univ-paris5.fr/musee site Internet] du [[Musée d'histoire de la médecine de Paris]].</ref>. Elle ressemblait à une [[église (édifice)|église]] [[Protestantisme|protestante]]<ref name="Schumacher"/>.
Un autre exemple intéressant de théâtre anatomique établi dans un ensemble autonome est le grand amphithéâtre des écoles de [[chirurgie]] construit dans cette dernière ville selon la forme du [[Panthéon de Rome]] de [[1768]] à [[1775]]. D'une capacité de {{formatnum:1400}} places, il était si grand que l'on peine à croire qu'il était possible de distinguer quoi que ce soit de la [[dissection]] depuis les derniers rangs<ref name="Schumacher"/>. Cette remarque vaut également pour le nouveau théâtre anatomique de [[Architecture baroque|style baroque]] que la [[guilde]] des chirurgiens de [[Barcelone]] fit dresser en [[1761]]. L'ensemble était tellement grandiose que rien ne pouvait être vu à partir des sièges. Pour Andrew Cunningham, cela indique que les théâtres anatomiques remplissaient d'autres fonctions que purement pratiques : ils cherchaient également à faire grande impression sur leurs visiteurs<ref name="Cunningham"/>, aidés en cela par leur [[décoration]].
==Décoration, équipement et approvisionnement==
===La décoration et ses messages===
{{Images
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|Image:Pieter Pauw-Leyde.jpg|[[Portrait]] de [[Pieter Pauw]] affairé à côté de la [[table de dissection]] du [[théâtre anatomique de Leyde]], dont la base est ornée de [[Crâne humain|crânes]].
|Image:Anatomical theatre of the Archiginnasio, Bologna, Italy - the statue of Hippocrates.JPG|[[Photographie]] récente d'une [[statue]] en [[bois]] d'[[Hippocrate]] dans le [[théâtre anatomique de Bologne]].
}}
S'il illustre un changement de [[paradigme]] au sein de la science anatomique de son époque, le développement de l'[[Illustration anatomique|illustration spécialisée]] en même temps que l'apparition des théâtres d'anatomie présente par ailleurs l'intérêt de fournir à l'historien des informations quant à l'intérieur des enceintes, au-delà de leur aspect purement structurel. Ainsi, si la plupart des planches des [[Traité d'anatomie|traités]] servaient à imager tout ou partie du [[corps humain]], certaines représentaient les édifices en cours de fonctionnement. Elles étaient souvent placées en couverture des ouvrages, qui par ailleurs comportaient volontiers le mot « ''théâtre'' » dans leur titre, un exemple de cette dernière habitude étant le ''Theatrum Anatomicum infinitis locis auctum'' composé par [[Gaspard Bauhin]] en [[1592]], publié à [[Francfort]] en [[1605]] et réimprimé avec des additions en [[1621]]<ref>{{la}} ''Theatrum Anatomicum infinitis locis auctum'', [[Gaspard Bauhin]], [[Francfort]], [[1621]].</ref>.
Ces supports visuels indiquent que la [[décoration]] des théâtres anatomiques n'était pas forcément sobre, ce que confirme par ailleurs l'intérieur des structures qui nous sont restées. À [[Bologne]], dans l'enceinte construite pour l'[[Université de Bologne|université de la ville]], on voit encore de nombreuses [[sculpture]]s en [[bois]] représentant d'illustres anatomistes, ce qui indique que les théâtres étaient des lieux où l'on honorait les grands pionniers de la discipline, et où s'affichaient sans doute les filiations académiques entre leurs maîtres d'autrefois et leurs disciples vivants : on sait que c'était au professeur détenant la chaire que revenait la charge financière de la décoration de la salle, qui comprenait [[coussin]]s et [[damas (tissu)|damas]]<ref name="Brockbank"/>.
Il y a en l'occurrence [[Hippocrate]], [[Claude Galien]], [[Fabrizio Bartoletti]], [[Giovanni Girolamo Sbaraglia]], [[Marcello Malpighi]], [[Carlo Fracassati]], [[Mondino de' Liuzzi]], [[Bartolomeo da Varignana]], [[Pietro d'Argelata]], [[Costanzo Varolio]], [[Giulio Cesare Aranzio]] et [[Gaspare Tagliacozzi Trigambe]], soit douze personnages [[Statue|statufiés]] qui répondent aux douze signes du [[zodiaque]] représentés au [[plafond (architecture)|plafond]]<ref name="Palais de l'Archiginnasio">{{it}} « ''[http://www.archiginnasio.it/storia_palazzo/visita6.htm Il teatro anatomico]'' », [http://www.archiginnasio.it site Internet] de la bibliothèque du [[Archiginnasio de Bologne|palais de l'Archiginnasio]].</ref>. Le [[théâtre anatomique de Leyde]] comportait lui aussi une galerie de [[portrait]]s destinée à édifier le visiteur<ref name="Huisman"/>, et les signes associés aux grandes [[constellation]]s [[Astrologie|astrologiques]] étaient également représentés sur les murs à [[Londres]]<ref name="Brockbank"/>.
Ainsi affirmés comme des lieux de science, les théâtres anatomiques n'étaient pas pour autant dépourvus de références au [[sacré]]<ref name="Cunningham"/>, et l'on trouve de nombreux ''[[memento mori]]'' dans les illustrations qui les représentent, qui étaient par conséquent de véritables [[vanité]]s. Ainsi, on dispose d'une [[gravure]] de [[1612]] montrant l'amphithéâtre de Leyde encombré par les [[Squelette humain|squelettes humains]] et [[Animal|animaux]]. Sur l'illustration de couverture du ''De humani corporis fabrica'', la référence à la mort est encore plus explicite<ref name="Wilson"/>, puisqu'un squelette humain surplombant toute la scène tient une [[faux (outil)|faux]] qui lui donne l'apparence de la [[Faucheuse (allégorie)|Faucheuse]]<ref name="Vésale"/>. Cependant, il faut bien voir que ces [[relique]]s servaient parfois effectivement pour l'enseignement de l'[[ostéologie]], comme en témoigne un illustrateur qui représenta le théâtre anatomique de [[Madrid]] en [[1728]]<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. Elles faisaient donc partie, en quelque sorte, de l'équipement du théâtre.
===L'équipement et ses dangers===
{{Images
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|Image:Anatomical theatre of the Archiginnasio, Bologna, Italy - the dissection table.JPG|[[Photographie]] de la [[table de dissection]] dans le [[théâtre anatomique de Bologne]], de nos jours.
|Image:Fig02-15.jpg|Représentation datée de [[1665]] d'une [[table]] d'appoint sur laquelle sont posées différentes [[Lame (coutellerie)|lames]] utilisées dans les théâtres anatomiques.
}}
Tous les textes et illustrations en témoignent, le [[corps (biologie)|corps]] [[mort]] était immanquablement le centre du théâtre anatomique, et cette position était suffisamment impressionnante pour déclencher des aspirations [[art]]istiques. Ainsi, entre [[1639]] et [[1646]], le [[poète]] et professeur de [[théologie]] [[Gaspard van Baerle]] composa trois [[poème]]s ayant pour sujet l'anatomie, dont deux sur le théâtre anatomique permanent d'[[Amsterdam]]. Le plus court, ''In locum anatomicum recens Amsteloddami exstructum'' célèbre l'inauguration du lieu, tandis que l'autre, intitulé ''In Domum Anatomicam, quœ Amstelodami visitur'', en décrit la nature, « ''plutôt [[morale]] que scientifique'' »<ref name="Mandressi"/>. Le troisième, intitulé ''In mensam Anatomicam'', pose carrément que sur la [[table de dissection]] centrale gît la condition humaine, sa désolation, les membres [[Nudité|nus]] étant exposés à la vue des misérables mortels<ref name="Mandressi"/>. Le grand public partageait peut-être cet avis, et les théâtres anatomiques suscitaient beaucoup de [[peur]]s à l'origine de [[rumeur]]s. C'est ainsi que l'on affirme encore aujourd'hui qu'une trappe avait été aménagée sous le [[théâtre anatomique de Padoue]] pour pouvoir faire disparaître les [[cadavre]]s à tout instant, une visite inopportune dût-elle avoir lieu<ref name="Schumacher"/>.
Pour Maurizio Rippa Bonati, c'est un [[mythe]]<ref name="Rippa Bonati"/>, et l'historien Luke Wilson fournit peut-être une bonne explication de son origine en indiquant que les [[Anatomie publique|anatomies publiques]] étaient vraisemblablement assimilées à des activités illicites ou à la moralité douteuse du fait de l'utilisation abondante qu'elles faisaient de corps de [[Peine de mort|condamnés]]<ref name="Wilson"/>. Quoi qu'il en soit, la centralité du cadavre au milieu de la pièce était une exigence des anatomistes eux-mêmes, comme en témoignent les auteurs de référence. Pour [[Alessandro Benedetti]], il doit être mis au cœur du théâtre, sur un [[banc]] élevé, dans un endroit illuminé et commode pour le dissecteur<ref name="Ferrari"/>. Pour [[Charles Estienne]], dans le même ordre d'idées, il doit y être posé sur une [[table]] tournante soutenue d'un seul [[pied (support)|pied]] en [[bois]]<ref name="Estienne"/>. À [[Barcelone]], à compter du milieu des [[années 1670]], cette [[table de dissection]] faisait environ deux [[mètre]]s de long et quatre-vingts centimètres de large. La surface plane était faite de [[granit]] [[Pierre de taille|taillé]], et le pied en [[Pierre (matériau)|pierre]] était creux pour faire passer un [[Pivot (mécanique)|pivot]] en [[fer]] et les fluides corporels évacués jusqu'à une [[fosse septique]] d'une profondeur de près d'un [[mètre]] et demi placée à l'extérieur du bâtiment, où elle était couverte de [[pavé]]s<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. À [[Saragosse]], la table elle-même était située à un mètre sous le niveau du sol, et on y accédait par un [[escalier]]. Ses bords étaient surélevés pour contenir les matières semi-liquides issues de la dissection. Des anneaux sur les côtés indiquent qu'elle fut pensée pour permettre l'immobilisation d'[[Animal|animaux]] destinés à subir une [[vivisection]]<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>.
Mais d'autres éléments devaient être pris en considération : au milieu et à côté de la table de dissection, nous dit Estienne, il doit y avoir une [[poutre (élément de structure)|poutre]] de bois fichée au sol au bout de laquelle sera agencée une autre poutre destinée à élever le corps à l'aide de bandes, de façon à pouvoir montrer « ''l'exacte situation et position de chacune des parties'' »<ref name="Estienne"/>. Ainsi soulevé, ou soutenu par des [[poulie]]s, le cadavre ne devra pas, néanmoins, apparaître [[Station debout|debout]] ou en position verticale, quoi que ce soit l'usage chez certains<ref name="Estienne"/>, chez [[André Vésale]] par exemple<ref name="Wilson"/>. D'après Rafael Mandressi, on se servait en tout cas de [[coussin]]s de [[paille]], de [[Ficelle (corde)|ficelles]] et d'[[Aiguille à coudre|aiguilles]] pour le maintenir dans une [[posture]] spécifique, pas tout à fait à l'[[horizontal]]e<ref name="Mandressi"/>.
On sait à ce sujet que le dissecteur disposait de nombreux [[outil]]s, que l'on regroupait sur une petite table d'appoint. Parmi eux, il y avait bien sûr un nombre important de [[Couteau|coutelas]], [[rasoir]]s, [[bistouri]]s et autres petites [[scie]]s, ainsi que des [[maillet (outil)|maillet]]s pour venir à bout des [[os]], ou encore des crochets et des [[fourchette]]s pour enlever les [[membrane]]s<ref name="Mandressi"/>. Il y avait également des [[éponge (objet)|éponge]]s et des [[seau]]x destinés à recueillir les fluides suintant peu à peu du corps mort au fil de sa [[décomposition]], mais aussi « ''des [[panier]]s pour y jeter les parties déjà examinées, tranchées et extraites : les [[viscère]]s, des morceaux de [[muscle]], la [[langue (anatomie)|langue]], la [[graisse]], des bouts de [[Cerveau|cervelle]], un [[œil]] – des débris dont il sera nécessaire par la suite de se débarrasser'' »<ref name="Mandressi"/>. Cet équipement était complété par des [[mouchoir]]s imprégnés de substances [[Odeur|odorantes]] pour atténuer la puanteur, par ailleurs masquée par des [[parfum]]s ou de l'[[encens]]<ref name="Mandressi"/>. Une illustration représentant le théâtre anatomique de [[Madrid]] dans les [[années 1720]] montre à ce sujet de la [[fumée]] qui s'élève d'un réceptacle à droite de la table : il s'agit de substances [[Arôme|aromatiques]] en train de brûler<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. Pour finir, il fallait aussi des sondes dans lesquelles le démonstrateur soufflait pour procéder au gonflement des [[organe]]s creux qui, comme les [[poumon]]s, pouvaient perdre de leur volume avec l'affaissement des chairs<ref name="Mandressi"/>. C'était là un exercice risqué, car la moindre inspiration involontaire condamnait à l'inhalation d'émanations létales<ref name="Mandressi, Pillon et Vigarello">Rafael Mandressi, séminaire de l'[[École des hautes études en sciences sociales]] animé par Rafael Mandressi, Thierry Pillon et [[Georges Vigarello]], [[2008]].</ref>. Or, par ailleurs, le dissecteur n'était pas à l'abri d'une [[blessure]] mortelle avec les [[Lame (coutellerie)|lames]] en [[argent]], [[bois]], [[plomb]] ou [[ivoire]] ayant incisé le corps mort, véritable matière première des théâtres anatomiques<ref name="Mandressi"/>.
===Les difficultés d'approvisionnement===
[[Image:Eustachi Tabulae Anatomicae title.jpg|thumb|right|Frontispice d'un [[traité d'anatomie]] de [[Bartolomeo Eustachi]] comprenant une représentation d'un théâtre anatomique où gisent des corps de [[chien]]s, [[Animal|animaux]] souvent utilisés pendant les [[Anthropotomie|dissections humaines]] pour suppléer au manque de [[cadavre]]s.]]
Avant de procéder à la [[dissection]], il fallait au préalable s'assurer de la possession du [[corps (biologie)|corps]] mort à étudier. Ce n'était pas chose aisée, en particulier lorsqu'il s'agissait de trouver des [[cadavre]]s humains, et de préférence des [[Noyade|noyé]]s, car les personnes [[Décapitation|décapitées]] présentent des [[veine]]s et [[artère]]s anormalement flétries, tandis que les [[Pendaison|pendus]] ont le [[larynx]] brisé par le nœud coulant<ref name="Mandressi"/>. Les condamnés mis à part, on avait généralement recours aux corps d'[[Pauvreté|indigents]] n'ayant pas les moyens de se payer une [[Tombe|sépulture]] ou d'[[étranger]]s sans [[Parenté|parents]] dans la ville susceptibles de réclamer la dépouille<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. Ils étaient fournis par les autorités<ref name="Cunningham"/>, ce qui rendait leur soutien essentiel au fonctionnement des théâtres, comme il le fut d'ailleurs, en [[Espagne]] notamment, à leur création<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>.
Cependant, cela n'était pas toujours suffisant, d'autant qu'on enregistra au fil des ans une augmentation du nombre de dissections à pratiquer dans les exigences statutaires des [[université]]s de tutelle<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. C'est ainsi que le développement des théâtres anatomiques s'inscrivit dans la mise en place d'un véritable [[trafic de cadavres]], une sorte de [[commerce]] illicite souvent court-circuité par des [[vol]]s directement dans les [[cimetière]]s. Les textes anciens regorgent d'indices établissant qu'il existait finalement une espèce de course entre professeurs ou théâtres pour s'assurer de la livraison de corps par tous les moyens<ref name="Mandressi"/>. On sait par exemple que le {{date|3|février|1667}}, lorsqu'une jeune fille de [[Tours]] fut pendue pour avoir, selon la [[rumeur]], « ''[[Avortement|défait]] son enfant'' », un [[carrosse]] arriva aussitôt sur la [[Place (voie)|place]] ; le corps y fut installé, puis emporté pour le [[Palais du Louvre|Louvre]], « ''où quelque grand en voulait avoir la démonstration'' »<ref name="Patin">''Lettres choisies de feu Mr. Patin, docteur en Médecine de la Faculté de Paris, & Professeur au Collége Royal..., Augmentées de plus de trois cents Lettres de cette derniere Edition ; Et divisees en trois Volumes'', [[Guy Patin]], Henry van Bulderen, [[La Haye]], [[1707]].</ref>.
Pour Rafael Mandressi, « ''l'attente de la livraison des corps, la dispute de leur possession, la [[décomposition]] qui guette et scande les temps de la dissection, la [[Odeur|puanteur]] croissante [...], les contiguïtés pratiques des lieux de mort et des lieux de science ne sont pas des traits épisodiques ni le contenu anecdotique d'un moment de l'[[histoire de l'anatomie]]. Il s'agit au contraire de caractères permanents, intrinsèques, à l'ère des dissections, du long cycle qui commence au [[Moyen Âge]] tardif avec les débuts de l'ouverture de cadavres humains à des fins de connaissance'' »<ref name="Mandressi"/>. De fait, le problème ne fut jamais entièrement résolu, et les [[Anatomie publique|dissections publiques]] dans les amphithéâtres ne suffirent plus au développement rapide de l'anatomie. Aussi, faute d'avoir des cadavres réels, on imagina des représentations fidèles de la réalité corporelle<ref name="Mandressi"/> : les difficultés d'approvisionnement participèrent à l'essor de la [[céroplastie]], qui permettait aux professeurs de disposer d'artefacts reproduisant fidèlement les différents organes du [[corps humain]] à partir de [[cire]] peinte<ref name="Mandressi"/>. On utilisa aussi beaucoup d'[[Animal|animaux]] pour faire des digressions sur tel ou tel organe humain que la décomposition avait déjà détruit sur le corps principal<ref name="Mandressi, Pillon et Vigarello"/>. Ainsi, [[André Vésale]] utilisait fréquemment des [[chien]]s et des [[singe]]s<ref name="Brockbank"/>, mais aussi des restes de [[bœuf]]s<ref name="Mandressi"/> : ils étaient conservés pour la fin, pour clarifier certains points précis via une [[Anatomie comparée|anatomie comparative]]<ref name="Wilson"/>.
Cependant, si les [[charogne]]s d'animaux étaient généralement plus disponibles que les [[cadavre]]s humains, ce n'était pas une constante<ref name="Wilson"/>. Dès lors, on envisagea finalement d'autres solutions plus radicales au problème. Le [[philosophe]] [[Denis Diderot]] proposa de réaliser dans les théâtres des [[Vivisection humaine|vivisections humaines]] à partir des [[Peine de mort|condamnés à mort]]<ref name="Mandressi"/>, arguant que « ''de quelque manière qu'on considère la mort d'un méchant, elle serait bien autant utile à la société au milieu d'un amphithéâtre que sur un [[échafaud]], et [que] ce [[Torture|supplice]] serait tout au moins aussi redoutable qu'un autre'' »<ref>« ''Anatomie'' », [[Denis Diderot]], in ''[[Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers]]'', sous la direction de Denis Diderot et [[Jean le Rond D'Alembert]], [[Paris]], [[1751]].</ref>. Des offres concrètes furent faites en ce sens : un [[apothicaire]] rencontré en son temps par [[Nicolas Edme Restif de La Bretonne]] lui assura avoir « ''proposé, dans un petit mémoire, de donner à l'amphithéâtre public, certains scélérats vivants, pour faire sur eux des [[Expérience scientifique|expériences]], qui rendissent leur mort doublement utile à la [[nation]], dont ils ont été le fléau'' ». Cependant, lui dit-il aussi, on l'éconduisit « ''avec [[Horreur (émotion)|horreur]], comme un [[Anthropophagie|anthropophage]]'' »<ref>''Les Nuits de Paris'', [[Nicolas Edme Restif de La Bretonne]], édition de Daniel Baruch, in ''Paris le jour, Paris la nuit'', [[Robert Laffont]], [[Paris]], [[1990]] – ISBN 978-2221056738.</ref>.
==Utilisation==
===Le dissecteur et ses assistants===
[[Image:Cruelty4 - Dog detail.JPG|thumb|right|Détail d'un [[tableau]] composant ''[[Les Quatre étapes de la cruauté]]'' qui montre un [[chien]] mordant dans un [[organe]] du [[cadavre]] disséqué alors qu'un assistant récupère ses [[viscère]]s dans un [[seau]].]]
Une fois le cadavre à étudier trouvé et préparé, le maître pouvait entrer en scène. Pour [[Charles Estienne]], ce [[médecin]] chargé d'interpréter et de commander la dissection se devait d'être assis devant la [[Table de dissection|table]] où se trouve le corps et donc en face-à-face avec les personnes installées dans les gradins<ref name="Estienne"/>, ce qui établit bien, selon Rafael Mandressi, que « ''tout le dispositif est organisé en fonction de la [[vue]] : il faut montrer'' »<ref name="Mandressi"/>.
Le maître était secondé par de nombreux assistants, en tout cas jusqu'à [[André Vésale]], qui fut parmi les premiers à descendre de la [[Chaire (église)|chaire]]<ref name="Mandressi"/>. Auparavant, et depuis [[Mondino de' Liuzzi]]<ref name="Wilson"/>, c'était une véritable division des tâches qui caractérisait les [[Anatomie publique|dissections publiques]] : alors que le [[professeur]] en commandait le déroulement en faisant la [[lecture]] et le [[commentaire]] des écrits des autorités, un ''demonstrator'', ou ''ostentor'', était chargé de montrer à l'assistance ce que le maître explicitait, tandis que la préparation du corps était généralement laissée entre les mains d'un [[prosecteur]], c'est-à-dire un [[chirurgie]]n ou un [[barbier]]<ref name="Mandressi"/>. C'est ce qu'illustre la scène de dissection dans la première édition de l'''[[Anathomia]]'' en [[Italien|langue italienne]]<ref>{{it}} ''Fasciculo de medicina'', Giovanni et Gregorio de' Gregorii, [[Venise]], [[1494]].</ref>, imprimée en [[1494]], à l'époque où apparurent les premiers théâtres : alors que le ''magister'' prononce la [[leçon]] ''ex cathedra'', un [[Livre (document)|livre]] ouvert face à lui, le dissecteur s'apprête à réaliser une première [[incision]] avec un coutelas sur la [[Thorax|poitrine]] d'un [[cadavre]] pendant qu'un troisième individu à sa gauche pointe la scène avec son [[index (anatomie)|index]]<ref name="Mandressi"/>. Généralement, une baguette était utilisée<ref name="Wilson"/>.
Suscitée par la découverte d'erreurs dans les textes de [[Claude Galien]] et des autres autorités<ref name="Mandressi"/>{{,}}<ref name="Cunningham"/>, la prise en charge des aspects techniques de la dissection par Vésale est traditionnellement décrite comme l'un des moments du fait desquels la science anatomique devint [[Modernité|moderne]], car il permit le triomphe de l'''autopsia'', soit littéralement le fait de regarder par soi-même<ref name="Cunningham"/>. Mais ce glissement de la chaire à la chair ne suffit pas à supprimer tout le personnel du théâtre anatomique. Si l'on en croit [[Guido Guidi]], il fallait des techniciens [[Obéissance|obéissants]] et capables de ne pas s'évanouir pour procéder au lavage, au séchage et au dépeçage des corps, mais aussi pour attacher les [[Animal|animaux]] vivants<ref name="Guidi"/>.
Conformément aux recommandations d'[[Alessandro Benedetti]]<ref name="Ferrari"/>, il y avait par ailleurs dans le théâtre anatomique un véritable [[régisseur (théâtre)|régisseur]], qui devait tout contrôler et ordonner, mais aussi quelques [[Garde|gardiens]] pour empêcher l'entrée des importuns<ref name="Mandressi"/>. Tous ces individus contribuaient à la bonne marche [[logistique]] de l'enceinte et pouvaient compter sur l'assistance des nombreux [[chien]]s présents dans la salle, souvent représentés au pied de la [[table de dissection]] dans les illustrations : les restes leur étaient éventuellement confiés<ref name="Wilson"/>{{,}}<ref name="Mandressi, Pillon et Vigarello"/>. En général, néanmoins, les déchets générés par les théâtres anatomiques étaient rassemblés et [[Rite funéraire|enterrés]] à la fin de la démonstration<ref name="Wilson"/>{{,}}<ref name="Cunningham"/>.
===La démonstration et son déroulement===
[[Image:Rembrandt Harmensz. van Rijn 007.jpg|thumb|Représentation par [[Rembrandt]] du début d'une démonstration de [[Nicolaes Tulp]] commencée par l'anatomie de l'[[avant-bras]].]]
Les théâtres anatomiques fonctionnaient dans des conditions qui heurteraient fortement la sensibilité d'un [[public]] du {{XXIe siècle}}<ref name="Mandressi, Pillon et Vigarello"/>. Les démonstrations d'anatomie étaient longues, et étaient dès lors segmentées en plusieurs [[leçon]]s administrées à raison de deux ou trois par journée<ref name="Mandressi"/>. La durée totale de trois jours est souvent avancée par les [[historien]]s, notamment par Andrew Cunningham<ref name="Cunningham"/>, mais on dispose, avec les écrits de [[Félix Platter]], de témoignages de démonstrations de plusieurs [[semaine]]s. Durant cet intervalle de temps, si l'on en croit ses notes, on pouvait disséquer plusieurs cadavres humains et de nombreuses charognes d'origine animale. En outre, les leçons duraient jusqu'à tard, car elles reprenaient après le [[dîner]]<ref name="Platter"/>, et des [[torche]]s devaient donc être prêtes pour la [[nuit]]<ref name="Mandressi"/>, en plus des sources de lumière qui éventuellement servaient déjà de jour.
Les personnes présentes dans les gradins étaient cependant récompensées de leur patience. En effet, on organisait un somptueux [[banquet]] pour les personnalités<ref name="Brockbank"/> ou les membres de la [[guilde]] des chirurgiens<ref name="Heckscher"/>, et il était lui-même suivi d'une [[Défilé|parade]] avec les torches<ref name="Heckscher"/>. Par ailleurs, pendant la démonstration elle-même, elles avaient plus d'une fois l'occasion de voir et [[toucher]] les [[organe]]s étudiés à l'invitation du maître. Ainsi, [[Charles Estienne]] écrit à propos de ce qui est tiré hors du corps, comme par exemple le [[Cœur humain|cœur]] et la [[Utérus|matrice]], qu'il faut les faire circuler : « ''nous entendons que lesdites parties soient portées par les degrés du théâtre et montrées à un chacun pour plus grande [[évidence]]'' »<ref name="Estienne"/>.
Cette circulation des organes dans les travées suivait un déroulement spécifique, qui varia historiquement. Dans un premier temps, les démonstrations menées dans les théâtres étaient conduites de la [[Tête humaine|tête]] aux [[pied (anatomie)|pied]]s et de l'extérieur vers l'intérieur, puis d'autres schémas furent mis en jeu. C'est ainsi qu'Estienne imagina commencer par les parties les plus intérieures, c'est-à-dire les [[os]], pour mieux finir par l'extérieur, soit l'[[épiderme]]. Cette méthode fut reprise et modifiée<ref name="Mandressi"/>, et on peut dès lors distinguer deux étapes au cours de la démonstration, la [[dissection]] et l'anatomie, la première étant un acte portant atteinte à l'intégrité du corps, la seconde pouvant être vue comme sa recomposition<ref name="Wilson"/>.
Dans ce cadre, les théâtres anatomiques étaient souvent, dans l'esprit de leurs utilisateurs, des espaces d'accès à une [[réflexion]] en profondeur sur les origines de l'[[Homo sapiens|Homme]]. C'était le cas à [[Leyde]], où [[Pieter Pauw]] ne considérait pas son théâtre que comme un édifice pour l'instruction de l'anatomie, mais aussi comme le lieu privilégié où penser aux rapports entre l'éphémère et l'[[Éternité]], ou entre l'être humain et son [[Création|Créateur]]<ref name="Huisman"/>. Dans le même ordre d'idées, on peut tenir pour révélateur le message qui flotte au sommet d'une illustration qui représenterait le théâtre anatomique de [[Thomas Bartholin]] à [[Copenhague]] en [[1653]] : ce message est une [[citation]] d'[[Aristote]] citant [[Héraclite]], « ''les dieux sont ici aussi'' »<ref name="Cunningham"/>. Il montre que l'anatomie était perçue comme le chemin de la connaissance de Dieu<ref name="Cunningham"/>, et que le théâtre était censé être son point de départ, un lieu rituel.
===La ritualité et la théâtralité de la leçon===
[[Image:Cruelty4.JPG|thumb|right|Représentation par [[William Hogarth]] d'un professeur pointant un [[cadavre]] depuis sa [[Chaire (église)|chaire]] pour le dernier [[tableau]] des ''[[Les Quatre Étapes de la cruauté|Quatre étapes de la cruauté]]''.]]
Pour Andrew Cunningham, ce qui avait lieu dans les théâtres d'anatomie avait une dimension [[Rite|rituelle]]. Pour le prouver, il compare la [[Anatomie publique|dissection en public]] à la [[Vénerie|chasse]] au [[renard]] dans la [[campagne]] [[Angleterre|anglaise]], qu'il tient pour très ritualisée, et il remarque que les deux activités étaient explicitement inscrites dans un [[calendrier]] spécifique<ref name="Cunningham"/>. De fait, les théâtres d'anatomie ne fonctionnaient pas toute l'[[année]] ; leur utilisation était bornée à quelques semaines bien spécifiques pendant l'[[hiver]]<ref name="Mandressi"/>{{,}}<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Cunningham"/>, un choix qui permettait de ralentir la [[décomposition]] des corps en les mettant hors de portée des fortes [[chaleur]]s<ref name="Huisman"/>. Pour le reste, et par souci d'approvisionnement, on essayait de faire correspondre la saison des dissections avec celle des [[procès]] dans la région considérée<ref name="Cunningham"/>.
Cunningham ajoute que l'anatomie publique et la chasse étaient toutes deux des événements publics et sociaux, proposaient toutes deux des séquences d'actions à accomplir et disposaient toutes deux d'officiers et d'instruments pour prendre en charge ces dernières. Elles avaient également un programme implicite, à la fois [[Symbole|symbolique]], [[Idéologie|idéologique]] et [[Économie|économique]]. Toutes deux étaient des célébrations du [[sang]], de la [[mort]] et du [[plaisir]]<ref name="Cunningham"/>.
Tout cela n'allait pas sans petits drames périphériques<ref name="Wilson"/>. Aussi, le déroulement des dissections publiques telles qu'elles avaient lieu dans les théâtres d'anatomie a conduit [[William Sebastian Heckscher]] à comparer ces espaces aux [[théâtre (bâtiment)|théâtre]]s traditionnels. Il assimile le déroulement de l'ensemble des événements liés aux dissections à une [[Pièce de théâtre|pièce]] [[Drame (théâtre)|dramatique]] en trois [[acte (théâtre)|acte]]s interconnectés comme le requièrent les [[règles du théâtre classique]] : l'[[Peine de mort|exécution]] publique et solennelle du [[Crime|criminel]], son anatomie, publique également, et tout aussi solennelle, et enfin le [[banquet]] postérieur couronné par la [[Défilé|parade]] nocturne<ref name="Heckscher"/>. Pour Rafael Mandressi, si c'est là pousser la comparaison un peu loin, « ''il n'en reste pas moins que les démonstrations étaient des [[cérémonie]]s bien réglées, soigneusement préparées et exécutées selon un protocole précis, dans des espaces spécialement aménagés à des fins d'exhibition'' »<ref name="Mandressi"/>. Et il faut prendre au sérieux, à cet égard, le mot d'[[Alessandro Benedetti]] qualifiant les [[Anatomie publique|anatomies publiques]] de « ''materia theatrali, digna spectaculo'' »<ref name="Ferrari"/>.
D'ailleurs, rappelle Mandressi, le [[théâtre]] traditionnel lui-même fut d'abord un [[spectacle]] délivré dans des lieux temporaires, avant que cela ne change avec la [[Renaissance (période historique)|Renaissance]], comme pour le théâtre anatomique. En un sens, l'[[Occident]] a donc assisté à la même époque au passage des « ''espaces pour les représentations'' » à l'espace du théâtre et des « ''espaces pour les dissections'' » à l'espace de l'anatomie<ref name="Mandressi"/>. Mandressi en conclut que l'on peut donc effectivement considérer les amphithéâtres d'anatomie comme des espaces théâtraux parmi d'autres. Et c'est à ce titre, selon lui, qu'il est nécessaire de s'intéresser au [[public]] des leçons d'anatomie : comme dans les théâtres les plus classiques, les personnes présentes sur les bancs des amphithéâtres anatomiques, que l'on peut finalement appeler des spectateurs, jouaient un rôle tout à fait décisif<ref name="Mandressi"/>.
==Fréquentation==
===La captation du public===
{{Images
|largeur=200
|align=right
|titre=
|Image:Rembrandt Harmensz van Rijn 007 4.JPG|Détail du [[tableau]] ''[[Leçon d'anatomie du docteur Tulp]]'' montrant la captivation du public pour le [[spectacle]] anatomique.
|Image:Miniature-théâtre-anatomique-Bologne.jpg|[[Miniature]] de [[1734]] représentant une [[anatomie publique]] dans le [[théâtre anatomique de Bologne]] pendant le [[carnaval]].
}}
Selon [[William Sebastian Heckscher]], la parenté entre [[théâtre]]s traditionnels et amphithéâtres anatomiques s'étendait à d'autres domaines que le déroulement des représentations qui y avaient lieu, ce qui lui fait dire que l'[[Histoire du théâtre|histoire de la scène]] devrait prendre en compte les seconds. D'après lui, ces derniers étaient expressément conçus pour attirer et accueillir une assistance nombreuse, et leur succès en dépendait largement<ref name="Heckscher"/>. C'est ce qui légitime la présence de [[Flûte|flûtistes]] dans le [[théâtre anatomique de Leyde]]<ref name="Brockbank"/>. C'est également ce qui justifie des bâtiments aussi imposants, qui par ailleurs ne paraissent pas pouvoir s'expliquer par des raisons pratiques, au vu de la courte durée et du caractère saisonnier des activités auxquelles ils étaient destinés<ref name="Mandressi"/>, sauf peut-être si l'on considère l'augmentation du nombre des [[étudiant]]s en médecine à l'époque où les théâtres apparurent<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>.
Quoi qu'il en soit, les spectateurs furent très nombreux à se presser dans les théâtres, et c'est peut-être là la raison de la rareté des textes descriptifs à leur sujet, ces structures étant si bien connues qu'il ne venait probablement pas à l'esprit des auteurs de s'y attarder<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. Les illustrateurs, en revanche, ne s'économisèrent pas. De nombreux frontispices de traités les représentent dans des scènes où les dissections s'accompagnaient de banquets, de [[concert]]s et de représentations théâtrales<ref name="Wilson"/>. Par ailleurs, tout bien considéré, les quelques textes que l'on connaît sont tout à fait parlants quant à la fréquentation des enceintes. Ils indiquent par exemple qu'en {{date||décembre|1659}}, le fils de [[Guy Patin]], doyen de la [[Université de Paris|faculté de médecine de Paris]], fit une [[dissection]] devant une si grande quantité d'auditeurs, qu'hormis le théâtre lui-même, la cour en était remplie<ref name="Patin"/>. Ailleurs, dans la [[Hollande]] du {{XVIIe siècle}}, « ''en tant que spectacles, les anatomies rivalisaient avec les [[sermon]]s des grand [[Prédication|prédicateurs]], avec les arrivées des [[navire]]s chargés de marchandises en provenance des [[Indes occidentales]] ou [[Indes orientales|orientales]], avec les entrées des Princes'' »<ref name="Heckscher"/>. Elles étaient, dit [[William Sebastian Heckscher]], des [[fête]]s que les théâtres anatomiques avaient définitivement incorporées parmi les festivités locales<ref name="Heckscher"/>{{,}}<ref name="Cunningham"/>, développant au passage une fonction symbolique, celle de rendre compte de l'importance acquise dans la vie urbaine par la science anatomique<ref name="Mandressi"/>. À [[Bologne]], les dissections avaient lieu pendant le [[carnaval]]<ref name="Cunningham"/>, et l'érection du [[Théâtre anatomique de Bologne|théâtre anatomique de la ville]] sanctionna la pratique croissante de telles opérations durant cet événement<ref name="Schumacher"/>{{,}}<ref>{{en}} « ''Public Anatomy Lessons and the Carnival: the Anatomy Theatre of Bologna'' », Giovanna Ferrari, ''Past and Present'', n°117, [[1987]].</ref>.
Ce qu'on allait voir dans les théâtres d'anatomie « ''tranchait avec les événements ordinaires du [[Vie quotidienne|quotidien]]'' »<ref name="Mandressi"/>, et « ''les spectateurs balançaient entre le [[dégoût]], le [[plaisir]] et les [[fantasme]]s les plus crus'' »<ref name="Beier"/>. Ainsi, « ''le [[désir]] qui [faisait] converger les masses vers les [[Peine de mort|exécutions capitales]] les [attirait] aussi aux spectacles anatomiques : désir de [[cruauté]] et de [[peur]], d'expériences limites et de [[sensation]]s excessives, mais aussi [[Curiosité (faculté)|curiosité]] puissante, volonté de [[savoir]] de quoi est faite l'intériorité physique.'' »<ref name="Beier">« ''[http://terrain.revues.org/document3036.html Regarder l'intérieur du corps. À propos de l'histoire de l'homme de verre à l'époque moderne]'' », Rosmarie Beier, ''[[Terrain (revue)|Terrain]]'', n°18, {{date||mars|1992}}.</ref>. On trouve la preuve de cette attraction étrange dans l'œuvre de [[Molière]], où l'[[invitation]] à une [[anatomie publique]] est assimilée à un acte d'une suprême [[Politesse|courtoisie]] : dans ''[[Le Malade imaginaire]]'', à l'acte II scène V, lorsque Thomas Diafoirus se propose d'emmener Angélique assister à la dissection d'une [[femme]], la servante Toinette assure que « ''le divertissement sera agréable'' », et « ''qu'il y en a qui donnent la [[comédie]] à leurs [[Adultère|maîtresses]], mais donner une dissection est quelque chose de plus [[Galanterie|galant]]'' »<ref>''[[Le Malade imaginaire]]'', [[Molière]], [[1673]].</ref>.
Selon l'[[historien]] [[France|français]] [[Philippe Ariès]], Diafoirius était « ''un prétendant un peu sot'' », mais il se conformait par là à des usages attestés : « ''la leçon d'anatomie, si souvent reproduite dans la [[gravure]] et la [[peinture]] du {{XVIIe siècle}}, était, comme les [[Soutenance de thèse|soutenances de thèse]] et le théâtre des collèges, une grande cérémonie sociale où toute la [[ville]] se retrouvait, avec [[masque]]s, [[Boisson|rafraîchissements]] et [[divertissement]]s'' »<ref>''L'Homme devant la mort'', [[Philippe Ariès]], [[Éditions du Seuil]], [[Paris]], [[1977]] – ISBN 978-2020047319.</ref>. Ainsi, l'année de la création du ''Malade imaginaire'', en [[1673]], [[Louis XIV de France|Louis XIV]] ordonna que des démonstrations d'anatomie soient faites [[Gratuité (économie)|gratuitement]] au [[Jardin du roi]], dans un amphithéâtre qu'il avait fait construire à cet effet, et précisa que les sujets nécessaires pour conduire ces démonstrations devaient être délivrés à ses professeurs en priorité par rapport à tous les autres<ref name="Dionis">''L'Anatomie de l'homme, suivant la circulation du Sang, & les dernières Découvertes, démontrées au Jardin Royal'', [[Pierre Dionis]], quatrième édition, Laurent d'Houry, [[Paris]], [[1705]].</ref>. La charge de démonstrateur fut confiée à [[Pierre Dionis]], qui l'occupa pendant huit ans jusqu'en [[1680]]<ref name="Mandressi"/> et rassembla à chaque fois quatre ou cinq cents personnes<ref name="Dionis"/>. Ce n'étaient certainement pas tous des [[étudiant]]s en médecine.
===La mixité dans la foule===
[[Image:Vesalius title.jpg|thumb|right|Reproduction de la couverture du [[traité d'anatomie]] d'[[André Vésale]] intitulé ''[[De humani corporis fabrica]]'', où l'on voit une [[foule]] composée d'individus aux origines sociales variées au sein d'un théâtre anatomique inspiré des structures réelles.]]
Le public des théâtres, en plus d'être nombreux, était varié. [[Félix Platter]] en témoigne. D'après lui, le {{date|14|novembre|1552}}, lorsqu'à [[Montpellier]] on opéra un garçon avec un [[abcès]] dans la poitrine, le docteur Guichard présidant l'anatomie, et un [[barbier]] opérant, les étudiants n'étaient pas les seuls présents : « ''il y avait dans l'assistance beaucoup de personnes de la [[noblesse]] et de la [[bourgeoisie]], et jusqu'à des demoiselles, quoiqu'on fit l'autopsie d'un [[homme]].'' »<ref name="Platter"/>. Il remarque néanmoins qu'elles devaient parfois se [[masque]]r le visage face à l'insoutenable ou l'[[Obscénité|obscène]]<ref name="Platter"/>. Quoi qu'il en soit, leur présence est également attestée par une [[gravure]] représentant le théâtre de [[Madrid]] où apparaît sur la droite une figure féminine qui se penche depuis un [[balcon]] auquel on accède depuis l'extérieur<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. Platter, de son côté, ajoute qu'y assistaient même des [[moine]]s<ref name="Platter"/>.
Loin d'être exceptionnelle, la composition de l'assemblée indiquée par l'étudiant suisse reflète une situation commune. [[Aristocratie|Aristocrates]], [[notable]]s locaux, [[Clergé|ecclésiastiques]] et curieux venaient tous à l'amphithéâtre anatomique<ref name="Mandressi"/>. Le public était particulièrement fourni, et donc sans doute hétérogène, lors des démonstrations sur des corps de femmes, et l'étude de leurs [[Appareil reproducteur|parties génitales]], appelée « ''la belle démonstration'' », est ce qui attisait alors le plus la curiosité des spectateurs, en tout cas d'après [[Pierre Dionis]]. C'était là un penchant bien excusable, selon l'anatomiste, car les anatomies de femmes étaient bien moins fréquentes que celles des hommes, mais aussi « ''parce qu'il n'y a rien de si naturel à l'homme que de savoir où et comment il a été formé'' »<ref name="Dionis"/>.
Dans les documents, on trouve d'autres traces d'une pensée assimilant de la sorte la [[Anatomie publique|dissection publique]] pratiquée dans les théâtres à une œuvre d'[[éducation populaire]]. Ainsi, dans ses écrits, [[Charles Estienne]] considère les anatomies comme l'une des choses que l'on propose au [[peuple]]<ref name="Estienne"/>, « ''autrement dit, à une assistance hétérogène, qui n'était pas composée uniquement de médecins et d'étudiants, mais aussi de personnes étrangères au milieu universitaire'' »<ref name="Mandressi"/>. Cela n'allait pas sans désordres, et il fallait donc faire œuvre de prévention contre de possibles débordements. Dans ces textes, Estienne indique que l'amphithéâtre doit être suffisamment grand pour accueillir les spectateurs, mais aussi afin d'empêcher le public de perturber les [[chirurgie]]ns<ref name="Estienne"/>. Dans le [[théâtre anatomique de Padoue]], on jouait de la [[musique]] pendant les temps morts dans le but de calmer l'assistance<ref name="Rippa Bonati"/>. Mais ce n'était pas toujours suffisant, et [[Guillaume Lamy]] rapporte que s'il n'est pas parvenu à entendre [[Pierre Cressé]] au [[Jardin du roi]], c'est parce que « ''plusieurs canailles du [[faubourg]], attirées par une [[Curiosité (faculté)|curiosité]] de voir disséquer un corps, empêchaient les honnêtes gens d'avoir place'' »<ref name="Lamy"/>. Ceci prouve, affirme Mandressi, que « ''si dès le {{XVIe siècle}} l'anatomie avait franchi les limites des écoles de médecine pour devenir un objet de [[consommation]] sociale, à l'époque de [[Molière]] et de [[Pierre Dionis]], elle suscitait en [[France]] un engouement sans précédent, dans tous les milieux'' », même si on estime que les cercles aristocratiques et [[Mondanité|mondains]] manifestèrent toujours l'avidité la plus soutenue<ref name="Mandressi"/>.
Une preuve supplémentaire de cet état de fait est l'illustration du frontispice du traité d'[[André Vésale]]<ref name="Vésale"/>, où l'on voit une [[foule]] indisciplinée prise dans un chaos complet. Bien que l'on sache que le désordre y est exagéré, le compte-rendu de l'étudiant [[Allemagne|allemand]] Balthasar Heseler plaidant pour un certain calme<ref name="Eriksson"/>, il est intéressant de s'y attarder<ref name="Wilson"/>. En attendant d'être elles-mêmes disséquées, les bêtes s'y comportent comme « ''des membres du public, le [[singe]] apparemment désireux de regarder, le [[chien]] peut-être dans l'espoir de lambeaux de chair, tous les deux se comportant à leur façon comme des hommes, alors que les hommes autour d'eux, ceux qui se battent sous la [[table de dissection]] par exemple, se comportent comme des [[Animal|animaux]]'' »<ref name="Wilson"/>. Les théâtres anatomiques étaient ainsi des lieux d'inversion : « ''tous les corps, vivants et morts, [[Vêtement|vêtus]] et [[Nudité|nus]], humains et animaux, sont des sujets potentiels de la dissection, et tous partagent avec le [[cadavre]] le regard dissecteur des observateurs ; les spectateurs eux-mêmes forment un spectacle les uns pour les autres et l'observateur extérieur'' »<ref name="Wilson"/>. On peut attribuer cette caractéristique à [[André Vésale]], avec qui l'analyse du corps disséqué devint une véritable [[Art performance|performance]] dans les [[années 1530]] et [[Années 1540|1540]] : après lui, au centre du théâtre anatomique, « ''celui qui montre est lui-même pris dans l'acte de montrer, et ce qu'il montre est aussi bien le corps que lui-même en train de montrer'' »<ref name="Wilson"/>.
===L'économie des enceintes===
[[Image:Adgangskort til anatomiteatret.jpg|thumb|right|Ticket d'entrée d'un théâtre anatomique [[Danemark|danois]] au {{XVIIe siècle}}.]]
Malgré l'affluence et un certain renversement des valeurs communes, les personnalités d'importance ne furent jamais complètement concurrencées par le [[peuple]] en tentant d'accéder aux théâtres anatomiques, car elles se virent très rapidement proposer des emplacements privilégiés. Le premier à décrire un théâtre, [[Alessandro Benedetti]] invita dès le départ à assigner les places selon le rang des assistants, ''pro dignitate''<ref name="Ferrari"/>. Plus tard, [[Charles Estienne]] recommanda de réserver les [[gradin]]s inférieurs aux [[professeur]]s de médecine, de laisser les suivants aux [[étudiant]]s en [[médecine]] et aux [[chirurgie]]ns pour finalement abandonner les plus lointains aux autres spectateurs présents<ref name="Mandressi"/>. Il proposa donc un ordre [[Hiérarchie|hiérarchique]], organisé selon la distance par rapport au cadavre. Dans le même temps, il conseilla de faire en sorte que chacun puisse se retirer « ''quand il lui plaît pour ses affaires et nécessités sans donner fâcherie aux autres'' »<ref name="Estienne"/>.
On peut supposer que ces considérations en faveur d'un départ aisé en cours de démonstration avaient vocation à augmenter le nombre de places effectivement attribuées pendant une même leçon et à accroître en conséquence les [[Recette (comptabilité)|recettes]] du théâtre anatomique. Car les [[Anatomie publique|anatomies]] étaient payantes, « ''comme pour un [[spectacle équestre]] ou [[Théâtre|théâtral]]'' »<ref name="Beier"/>. [[William Sebastian Heckscher]] estime d'ailleurs que la mise en [[vente]] de [[Place de spectacle|places]] pour assister aux démonstrations publiques d'anatomie dans les amphithéâtres précéda vraisemblablement de plusieurs années la mise en œuvre de cette même pratique dans la sphère des [[Spectacle vivant|arts de la scène]] traditionnels, que l'on attribue généralement au [[libraire]] [[Giovanni Andrea dell'Anguillara]] à la fin des [[années 1540]]<ref name="Heckscher"/>. Au pire, les deux opérations furent contemporaines<ref name="Mandressi"/>.
Concrètement, il y avait dans les théâtres d'anatomie, et ce dès l'époque de Benedetti<ref name="Ferrari"/>, des [[Quête (fonds)|questeur]]s de confiance chargés de collecter l'argent<ref name="Mandressi"/>. À [[Amsterdam]], les recettes s'élevaient généralement à deux cents [[Florin néerlandais|florins]] environ, mais quand le corps était celui d'une [[femme]], elles augmentaient considérablement : l'ouverture d'un cadavre féminin pouvait rapporter une somme « ''exceptionnellement élevée'' », dépassant les trois cents florins, c'est-à-dire 50% de plus que la moyenne<ref name="Heckscher"/>.
Les fonds récoltés servaient notamment à procurer tout ce qui était nécessaire à la dissection et au [[banquet]] final<ref name="Heckscher"/>, un [[dîner]] qui coûta 93 [[Livre sterling|livres]] et une [[Cuillère|cuiller]] en [[argent]] lors de l'ouverture à [[Londres]] en [[1638]]<ref name="Brockbank"/>. Cette recette était tellement convoitée par les établissements de tutelle qu'à [[Saragosse]] les responsables firent noter en [[1689]] dans les statuts de l'[[Université de Saragosse|université]] qu'une [[amende]] de vingt [[Réal espagnol|réal]]s serait émise à l'encontre des professeurs d'anatomie pour chaque dissection non réalisée, sur un total de dix-huit à effectuer dans l'année. Le [[Délation|délateur]] recevait un tiers de cette amende, le reste étant acquis à l'université elle-même, qui la versait dans ses coffres<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>.
==Déclin, reconversion et bilan scientifique==
===Le déclin des théâtres===
{{Images
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|titre=
|Image:Samuel Thomas von Soemmering.jpg|[[Portrait]] de [[Samuel Thomas von Sömmering]], un anatomiste qui encouragea le développement des instituts d'anatomie, qui supplantèrent en partie les théâtres.
|Image:Vue-institut-anatomie-Senckenberg.jpg|Vue de l'institut d'anatomie [[Muséum Senckenberg|Senckenberg]].
|Image:Plan-institut-anatomie-Senckenberg.jpg|Plan de l'institut d'anatomie [[Muséum Senckenberg|Senckenberg]].
}}
En se transformant en produits de [[consommation]], les théâtres anatomiques prirent le risque d'affronter une crise de fonctionnement aussitôt que cesserait l'attrait du [[public]] pour le [[spectacle]] proposé. C'est ce qui se produisit à compter du troisième quart du {{XVIIIe siècle}} et tout au long du {{XIXe siècle}}. Précisément, et si l'on suit Andrew Cunningham, le déclin des démonstrations effectuées dans les théâtres anatomiques eut lieu durant le demi-siècle autour de [[1800]], et il fut très rapide, car les années qui précédèrent, entre [[1720]] et [[1775]], furent peut-être les plus grandes pour l'[[anatomie]]<ref name="Cunningham"/>. De fait, rappelle le chercheur, cette période fut appelée par [[Albrecht von Haller]], un grand anatomiste, « ''la perfection de l'anatomie'' »<ref>{{la}} ''Bibliotheca Anatomica. Qua Scripta ad Anatomen et Physiologiam Facienta a Rerum Initiis Recensentur'', [[Albrecht von Haller]], [[1774]].</ref>. C'est le moment où opérèrent [[Jean-Louis Petit]], [[Georges-Louis Leclerc de Buffon]], [[Lazzaro Spallanzani]], [[Antoine Portal]] et autres [[Alexander Monro (1697-1767)|Alexander Monro]]<ref name="Cunningham"/>. En outre, on construisait encore des théâtres au milieu du {{XVIIIe siècle}} : à [[Londres]], par exemple, [[William Cheselden]] parvint à en faire ériger un au début des [[années 1750]]. Mais vers [[1790]], le peuple et les anatomistes eux-mêmes avaient oublié à quoi pouvait bien servir la démonstration d'anatomie<ref name="Cunningham"/>. Dans la capitale anglaise, désormais, on développait une méthode nouvelle, que l'on disait d'origine [[paris]]ienne, et qui consistait à laisser l'étudiant disséquer par lui-même<ref name="Cunningham"/>.
De nombreuses explications ont été avancées pour expliquer ce basculement, ce qui fait par ailleurs varier sa datation. On évoque par exemple la miniaturisation des observations et des découvertes des anatomistes, qui devinrent peu à peu moins aisées à exposer au grand public<ref name="Huisman"/>. Rafael Mandressi considère quant à lui un long phénomène [[culture]]l qui vit la disparition de ce qu'il appelle la « ''[[civilisation]] de l'anatomie'' », et qui s'opéra à compter du {{XIXe siècle}} seulement<ref name="Mandressi"/> pour se prolonger tout au long de celui-ci jusqu'à la [[Première Guerre mondiale]]<ref name="Mandressi, Pillon et Vigarello"/>. Ce phénomène se mesure à l'aune de la distanciation prise dans le [[langage]] courant avec la métaphore anatomique, qui était jusqu'alors très couramment employée, mais surtout du déplacement de la [[Curiosité (faculté)|curiosité]] du [[public]] vers les [[Champ de foire|champs de foire]] à la faveur de l'engouement pour le [[Pathologie|pathologique]]<ref name="Mandressi"/> et le [[Monstre|monstrueux]]<ref name="Mandressi, Pillon et Vigarello"/>, qui se développa alors. L'apparition d'infrastructures concurrentes est également envisagée par Gerst-Horst Schumacher, qui indique la mise en chantier à compter des [[années 1770]] de nouveaux établissements à l'architecture remaniée, et auxquels on accorda un nom différent, les « ''instituts d'anatomie'' ». D'après lui, ces établissements s'affirmèrent autour de deux modèles, celui de l'[[Muséum Senckenberg|institut Senckenberg]] de [[Francfort-sur-le-Main]] et celui encouragé par l'anatomiste [[Samuel Thomas von Sömmering]], qui fut repris par les instituts d'anatomie de [[Munich]] en [[1826]], [[Göttingen]] en [[1828]]-[[1829]], ou encore [[Greifswald]] en [[1854]]-[[1855]]<ref name="Schumacher"/>. Cependant, il convient de relativiser cette mutation, car lesdits instituts, comme leurs plans le montrent, contenaient toujours un espace appelé « ''théâtre anatomique'' », et Schumacher englobe d'ailleurs ces nouveaux édifices sous le vocable de « ''theatrum anatomicum'' »<ref name="Schumacher"/>.
De son côté, Cunningham explique la disparition des théâtres par celle du [[Rite|rituel]] [[sacré]] que l'on organisait à l'intérieur, elle-même suscitée par la [[sécularisation]] qui accompagna les [[Lumières (philosophie)|Lumières]] et la [[Révolution française]]<ref name="Cunningham"/>. Il parle également du recul plus global de la [[philosophie naturelle]], de laquelle relevait la pratique de l'[[anatomie]], mais aussi du développement dans le champ scientifique de l'[[expertise]], et par conséquent du [[laboratoire]], puis enfin de la disparition des [[Peine de mort|exécution]]s publiques<ref name="Cunningham"/>. À ce sujet, on peut considérer avec [[Michel Foucault]] que s'opèra à l'époque considérée un bouleversement du rapport au [[corps humain]], qu'il ne s'agissait plus seulement d'ouvrir et de comprendre, mais aussi de redresser par des principes [[Discipline|disciplinaires]]. Celui-ci motiva la mise au point de dispositifs où le [[regard]] normatif, plutôt que d'être installé à la périphérie, comme c'était le cas dans les théâtres anatomiques, était au contraire placé au centre, selon une configuration spatiale reprise sur le [[Panoptique]] de [[Jeremy Bentham]] : il s'agissait de permettre le contrôle par un seul individu d'une foule dont devait cesser les petits [[trafic]]s<ref>''[[Surveiller et punir]]'', [[Michel Foucault]], [[Gallimard]], [[Paris]], [[1975]] – ISBN 978-2070291793.</ref>.
Dans ce contexte, les petits drames qui se produisaient dans les gradins du fait de l'animalité des comportements et de la [[mixité sociale]] apparurent suspects, et l'accès aux [[cadavre]]s fut bientôt réservé aux futurs [[médecin]]s et à eux seuls<ref>« ''[http://terrain.revues.org/document3060.html "Dans un amphithéâtre..." La fréquentation des morts dans la formation des médecins]'' », Emmanuelle Godeau, ''[[Terrain (revue)|Terrain]]'', n°20, {{date||mars|1993}}.</ref>. On déconseilla par ailleurs de rendre les théâtres anatomiques visibles et attirants. Ainsi, on peut lire dans le ''Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales'' au {{XIXe siècle}} que ces édifices « ''devraient être rejetés, comme les [[abattoir]]s et les clos d'[[équarrissage]], à une certaine distance des localités habitées'' »<ref>« ''Amphithéâtre'' », Amédée Dechambre, ''Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales'', [[Paris]], [[1876]].</ref> et qu'à défaut de les éloigner des [[ville]]s, où ils avaient jusqu'ici une position plus centrale, il faut les « ''entourer de [[mur]]s très élevés'' » tout en faisant en sorte qu'ils soient « ''munis de treillages à mailles serrées ou de [[volet (fenêtre)|volet]]s en tabatière, comme on le fait pour les [[prison]]s de manière à dérober à la vue des [[voisin]]s le spectacle [[Dégoût|répugnant]] des travaux qui s'y accomplissent'' »<ref>« ''Anatomie'' », Amédée Dechambre, ''Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales'', [[Paris]], [[1876]].</ref>.
===La conservation et la reconversion en musées===
[[Image:Anatomical theatre of the Archiginnasio, Bologna, Italy - 3 general view.JPG|thumb|right|[[Photographie]] récente montrant des visiteurs dans le [[théâtre anatomique de Bologne]], de nos jours.]]
Désireuses de continuer à attirer le public plutôt que de s'exiler loin de tout, un certain nombre de structures se transformèrent en [[musée]]s, ou au moins en lieux de visite pour les [[voyage]]urs. C'est le cas, par exemple, du [[théâtre anatomique de Padoue]], reconverti en [[1872]]<ref name="Schumacher"/>, mais aussi de celui de [[Tartu]], construit dans cette ville d'[[Estonie]] à l'époque précise où l'anatomie commençait à être boutée hors du monde social, de [[1803]] à [[1805]]<ref>{{en}} « ''[http://www.visittartu.com/11019 Old Anatomical Theatre]'' », [http://www.visittartu.com site Internet] de l'office du tourisme de [[Tartu]].</ref>. C'est également le cas de celui de l'[[université de Bologne]], le [[théâtre anatomique de Bologne]], qui se trouve à son avantage à l'intérieur du [[Archiginnasio de Bologne|palais de l'Archiginnasio]], un édifice de [[Architecture gothique|style gothique]] datant du {{XVIe siècle}}. Construit en [[1649]], il fut dégradé par un [[bombardement]] durant la [[Seconde Guerre mondiale]]<ref name="Brockbank"/>{{,}}<ref name="Schumacher"/>, le {{date|29|janvier|1944}} précisément, puis il fut restauré [[après-guerre]]<ref name="Brockbank"/>, et de nouveau en [[2006]]<ref name="Palais de l'Archiginnasio"/>. Cette dernière opération, que l'on peut citer comme exemplaire, a duré six mois et coûté {{formatnum:68000}} [[euro]]s, une somme réunie grâce à une [[loterie]]<ref name="Palais de l'Archiginnasio"/>.
Il est établi que dès l'origine de nombreux théâtres supposément permanents furent ainsi restaurés ou carrément reconstruits ''in situ'' à partir de structures plus anciennes, mais aussi que plusieurs ensembles furent totalement [[Démolition|démolis]] pour être érigés ailleurs, comme ce fut le cas à [[Salamanque]] du premier théâtre permanent connu en [[1801]]<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>. Cela n'empêcha pas, néanmoins, de nombreuses disparitions complètes du fait d'un désintérêt soudain, ou faute d'utilisation : à [[Prague]], par exemple, le théâtre s'effondra dès [[1731]] après avoir été presque complètement déserté durant les années précédentes<ref name="Brockbank"/>, et si l'on en croit un ouvrage non spécialisé, il ne resterait plus aujourd'hui que trois théâtres anatomiques du {{XVIIe siècle}} encore debout en comptant celui du [[Gustavianum]]<ref name="Fontoynont"/>, qui est toujours utilisé pour des conférences, mais dont l'essentiel de la surface accueille désormais les visiteurs – on y présente les antiquités que possède l'établissement ainsi que cinq [[Exposition artistique|expositions]] permanentes sur l'[[histoire des sciences]] et l'histoire de l'[[université d'Uppsala]] elle-même<ref name="Gustavianum"/>. Ce chiffre très faible ne laisse que peu de marge au-delà du [[théâtre anatomique de Bologne]] déjà cité.
Il convient néanmoins de savoir que le [[théâtre anatomique de Leyde]], qui fut déboulonné en [[1821]], a récemment été reconstitué dans le [[musée Boerhaave]], dont il constitue l'un des chefs-d'œuvre<ref name="Huisman"/>. Il renoue ainsi avec son fonctionnement ancien, celui qui prévalait à chaque fois que la saison des dissections était finie, c'est-à-dire celui d'un véritable musée<ref name="Schumacher"/>{{,}}<ref name="Huisman"/>. Ses collections étaient surtout composées de [[squelette]]s<ref name="Brockbank"/>, de sorte que ce théâtre anatomique peut être décrit comme une attraction [[Tourisme|touristique]] avant l'heure, et c'est en tant que tel qu'il fut effectivement représenté par de nombreux [[dessin]]s, décrit dans les [[Livre (document)|livre]]s et célébré par les [[Récit de voyage|récits de voyage]]<ref name="Huisman"/>.
D'une façon générale, en fait, les théâtres anatomiques étaient tous des [[Cabinet de curiosités|cabinets de curiosités]] à leur corps défendant, et cette fonction prit effectivement de l'importance avec le temps, en particulier suite au développement des techniques de [[céroplastie]], qui fournirent aux établissements de nombreux artefacts remarquables, en sus de ceux qui étaient directement réalisés à partir de restes humains<ref name="Mandressi"/>. Mais certains historiens comme Andrew Cunningham y voient une cause supplémentaire de leur déclin, plutôt qu'un ingrédient de leur sauvegarde : d'après eux, la constitution de collections entières de ces objets très ressemblants rendit peu à peu moins nécessaires les dissections humaines dans les théâtres anatomiques, où par ailleurs l'activité ralentissait déjà du fait de l'amélioration des techniques de conservation des cadavres<ref name="Cunningham"/>.
===Le bilan scientifique et culturel===
[[Image:SS-harvey.jpg|thumb|right|[[Portrait]] de [[William Harvey]], qui étudia au [[théâtre anatomique de Padoue]] avant sa découverte décisive concernant la [[Circulation sanguine|circulation du sang]].]]
La sauvegarde et la restauration des quelques théâtres anatomiques restants s'inscrit dans un contexte [[Historiographie|historiographique]] qui, d'après Àlvar Martínez-Vidal et José Pardo-Tomás, chercheurs à [[Barcelone]], a fait subir un profond changement à la connaissance et à l'interprétation de l'[[histoire de l'anatomie]] à compter de la [[Renaissance (période historique)|Renaissance]], un changement qui résulte de nouvelles directions prises au sein de l'[[histoire de la médecine]] à la fin des [[années 1970]]. De fait, entre la deuxième moitié des [[années 1990]] et le début des [[années 2000]], de nombreux travaux d'importance ont été publiés. Mais cela n'empêche pas, selon eux, un certain nombre de points aveugles, parmi lesquels la trop rare prise en compte des théâtres anatomiques de la [[péninsule Ibérique]] dans la [[chronologie]] habituelle<ref name="Martínez-Vidal et Pardo-Tomás"/>.
Un autre de ces points morts est le bilan [[Science|scientifique]] et [[culture]]l de l'activité des enceintes, que l'on a surtout interrogées, durant les dernières années, à travers les pratiques qui s'y déroulaient et la symbolique qui leur était liée. S'il est presque systématiquement célébré par les historiens, le rôle des théâtres en tant que lieux de la [[transmission des savoirs]] n'est pas étudié à l'aune de leurs résultats effectifs. On sait seulement que la [[Anatomie publique|dissection anatomique en public]] devint grâce à eux à compter des [[années 1490]] un forum dans lequel les découvertes de la [[Recherche scientifique|recherche]] conduite dans des espaces privés étaient exposées, et qu'[[André Vésale]], souvent cité pour son caractère pionnier, y fut en fait précédé dans sa quête de vérité hors des textes anciens par [[Alessandro Benedetti]], [[Jacopo Berengario da Carpi]] ou [[Gabriel de Zerbis]]<ref name="Cunningham"/>.
On sait également que c'est en assistant à une leçon à [[Théâtre anatomique de Padoue|Padoue]] que [[William Harvey]] se familiarisa avec une pensée qui lui permit de découvrir la [[Circulation sanguine|circulation du sang]]<ref name="Brockbank"/>. Plus généralement, il apparaît que les théâtres d'anatomie de la Renaissance furent les espaces privilégiés d'où émergea une certaine perception du [[corps humain]] qui rendit pensable sa transformation en objet d'étude, et d'où disparut à jamais la résistance [[Épistémologie|épistémologique]] à sa compréhension effective<ref name="Wilson"/>.
D'après Luke Wilson, l'apparition de ces édifices constitua en fait une tentative de contextualiser physiquement l'[[anatomie]] en vue de la faire voir comme une performance normale, [[institution]]nalisée<ref name="Wilson"/>, notamment pour l'armer contre les critiques et les pratiques concurrentes, qu'elle tentait parfois d'incorporer. À ce titre, les [[historien]]s ont établi que les théâtres anatomiques servaient parfois d'[[agora]] pour le règlement des oppositions entre les coteries et autres [[corporation]]s au sein du monde médicosocial. À [[Londres]], par exemple, l'installation d'Harvey était l'un des principaux espaces où se jouait le conflit entre [[chirurgie]]ns et [[médecin]]s, et il offrait un avantage potentiellement décisif aux seconds, car ils étaient les seuls à comprendre parfaitement le [[latin]] dans lequel on pense que le maître administrait sa [[leçon]]. En tout cas, le théâtre anatomique de la ville sectionnait et recomposait le corps médical en même temps que les anatomistes y tranchaient puis reconstituaient le corps biologique<ref name="Wilson"/>.
==Notes et références==
{{Références|colonnes=2}}
==Voir aussi==
{{Commonscat|Anatomical theatres|les théâtres anatomiques}}
===Articles connexes===
;Sur les disciplines et pratiques concernées par les théâtres anatomiques
*[[Anatomie]]
*[[Histoire de l'anatomie]]
*[[Anthropotomie]]
*[[Anatomie publique]]
*[[Théâtre]]
;Sur la structure et l'équipement des théâtres anatomiques
*[[Amphithéâtre]]
*[[Gradin]]
*[[Table de dissection]]
;Sur des théâtres anatomiques spécifiques
*[[Théâtre anatomique de Padoue]]
*[[Théâtre anatomique de Leyde]]
*[[Théâtre anatomique de Bologne]]
*[[Gustavianum]]
===Bibliographie complémentaire===
*{{de}} ''Das anatomische Theater'', Gottfried Richter, Ebering, [[Berlin]], [[1936]].
*{{es}} « ''La construcción de un anfiteatro anatómico en Barcelona en el siglo XVII'' », Antonio Cardoner, ''Medicina Clínica'', n°37(5), [[1962]].
*{{en}} « ''Matters of Life and Death: The Social and Cultural Conditions of the Rise of Anatomical Theatres, with Special Reference to Seventeenth Century Holland'' », Jan C.C. Rupp, ''History of Science'', n°28, [[1990]].
*{{en}} « ''The Anatomical Theatre'' », Mary G. Winkler, ''Literature and Medicine'', n°12, [[1993]].
*{{ca}} « ''L'Aula d'Anatomies i la Casa de les Comèdies: dos establiments vinculats a l'Hospital de la Santa Creu (segle XVII)'' », Antònia M. Perelló, ''Barcelona. Quaderns d'Història'', n°1, [[1995]].
*{{en}} « ''A History of Anatomy Theaters in Sixteenth Century Padua'' », Cynthia Klestinec, ''Journal of the History of Medecine and Allied Sciences'', n°59, [[2004]].
{{Article de qualité|oldid=31029338|date=27 juin 2008}}
{{Portail|Cliopédia|Architecture|Médecine|Spectacle}}
[[Catégorie:Théâtre anatomique|*]]
[[en:Anatomical theatre]]
[[it:Anfiteatro di anatomia]]
[[nl:Anatomisch theater]]
[[no:Anatomisk teater]]
[[ru:Анатомический театр]]
[[sv:Anatomisk teater]]